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L’incident entre un cycliste et un chauffeur de la STM continuait de faire parler hier. Patrick Lagacé revient sur la question. De son côté, Vélo-Québec prépare ses propositions pour faciliter la cohabitation sur la route.

Chronique

Nos déficits d’empathie

Ce qui me frappe dans la saga du chauffeur de bus de la STM qui a frôlé un cycliste sur Sherbrooke, séquence filmée par la caméra GoPro du cycliste, c’est le manque d’empathie qui teinte cette affaire.

Je comprends qu’il existe dans cette ville des cyclistes effrontés, des cyclistes téméraires qui frôlent les piétons et qui font des manœuvres dangereuses.

Mais dans le cas qui nous occupe, je vous résume le « combat ».

Dans le coin droit : un cycliste sur son vélo qui doit peser 12 livres.

Dans le coin gauche : un mastodonte qui pèse quelques tonnes.

Sur la séquence, c’est clair : le mastodonte frôle le cycliste alors qu’il a de la place dans la voie de gauche pour se déporter. La manœuvre semble volontaire.

Et si la manœuvre du chauffeur n’est pas volontaire, ce n’est pas ce qui sort de la bouche dudit chauffeur quand il répond au cycliste qui l’apostrophe. Non, ce qui sort de sa bouche, c’est ceci : « Prends la piste cyclable en bas, l’grand ! »

Le chauffeur ne nie pas, le chauffeur ne tempère pas, le chauffeur ne s’excuse pas, nenon : « Prends la piste cyclable en bas, l’grand. » Puis, plus tard : « Non, mais r’garde, y a une piste cyclable en bas, y ont scrappé la rue Maisonneuve pour vous autres, esprit, pis vous êtes à peu près 28 à passer toué matin icitte… »

Ce qui m’a donc frappé, c’est le manque d’empathie, disais-je. L’empathie, la capacité à se mettre dans les souliers de l’autre. Pas le manque d’empathie du chauffeur. Non, le chauffeur, on le voit bien qu’il ne sait pas se mettre dans les pédaliers d’autrui…

Je parle de la réaction à cette scène-là. Je ne compte plus le nombre de personnes qui ont applaudi le chauffeur de la STM, qui ont fait la vague, même. Dans ma page Facebook, un gars s’est vanté : j’en ai frôlé de ben plus proche ! Je suis allé voir son profil. Eh oui, chauffeur à la STM…

Je comprends qu’il existe dans cette ville des cyclistes téméraires, des imbéciles sur deux roues qui se mettent en danger et qui vous envoient promener quand vous leur faites remarquer qu’ils se magasinent un CHSLD. Je comprends tout ça.

Mais celui-là, celui de la rue Sherbrooke, il faisait ce qu’il avait à faire. Il roulait à droite de la chaussée. Sur cette séquence, il n’est un danger pour personne. Il était parfaitement dans son droit. Celui qui agit dangereusement, ici, c’est le chauffeur de la STM bien protégé par l’immense véhicule qu’il conduit et par sa convention collective payée par les contribuables, sans oublier son syndicat qui va le protéger… à mort.

Et il se trouve du monde pour applaudir le chauffeur ?

Ben oui ! Plein.

Comme il s’est trouvé du monde pour dire que le jeune cycliste tué par un Américain qui faisait un demi-tour illégal sur Camillien-Houde n’avait qu’à pas faire de bécyk sur la montagne. C’est dangereux, le bécyk, ti-cul…

Comme il se trouve du monde pour vomir sur les Syriens accueillis ici comme réfugiés. Ces gens sont parmi les plus martyrisés de l’humanité au XXIe siècle, ballon de football dans un Super Bowl géopolitique inhumain, mais c’est pas grave, la meute s’est jetée sur eux, ça a hurlé au péril identitaire et sécuritaire, mes taxes, nos pauvres, tout y est passé…

L’automne dernier, j’ai chroniqué sur une préposée aux bénéficiaires en ressource intermédiaire. Dans le grand totem des salariés, cette femme, d’origine africaine, est tout en bas, au ras des pâquerettes, salaire minimum, effort maximum…

J’expliquais que pendant ses vacances, cette dame travaillait dans un autre centre pour personnes âgées, afin de joindre les deux bouts.

Je ne vous dis pas le nombre de courriels reçus de cœurs de pierre : « Elle n’a qu’à retourner à l’école » et autres « Si elle était mieux en Afrique, qu’elle y retourne », ce genre de choses. Probablement les mêmes qui écrivent les horreurs habituelles sur les autochtones qui-de-toute-façon-paient-pas-de-taxes…

On a vu la même chose il y a un mois, dans l’imbroglio de la fausse fin du « Monsieur, Madame », chez Service Canada. Je ne compte plus les horreurs lues et entendues sur les personnes transgenres dans cet orage médiatique devenu l’occasion de bien des défoulements.

L’ennui avec ce genre de commentaires, c’est bien sûr que le feedback numérique est un miroir déformant. La moyenne des loups crie plus fort sur Facebook et si on prend la peine d’écrire au chroniqueur, peut-être est-ce parce qu’on est en ta…

Bref, malgré les griefs qu’on peut avoir contre DES cyclistes, je pensais que ce coup-ci, au mérite, entre le chauffeur et le cycliste, on aurait une forme d’unanimité : wô, les moteurs, le chauffeur…

Ben non : le cycliste s’est quand même fait lancer des tomates, moins pour ce qu’il a fait ou dit que parce qu’osant pédaler en ville, il en est venu à incarner tous les mauvais cyclistes aux yeux de ses détracteurs…

Et même les bons cyclistes.

Bien sûr, ce n’est qu’un fait divers, un fait divers moderne et numérique, en ce sens que cette histoire n’aurait jamais « existé » il y a dix, quinze ans : personne ne se filmait ainsi pour diffuser une telle scène, jadis.

Alors un fait divers, oui. Seulement un fait divers ? Pas sûr. Dans ce frôlement du bus sur le cycliste et les applaudissements envoyés au chauffeur, je vois un rappel pas forcément anodin : notre vernis de civilisation est bien mince.

Sécurité des cyclistes

Vélo-Québec prépare ses propositions 

Le centre-ville est devenu dangereux pour les cyclistes, notamment la rue Sherbrooke, selon la présidente de Vélo-Québec, Suzanne Lareau, qui révèle que son organisme présentera à la Ville de Montréal, la semaine prochaine, un diagnostic des déplacements à vélo et des propositions d’aménagements pour les rendre plus sécuritaires.

« Plus il y aura d’aménagements cyclables, moins il y aura de confrontations entre les usagers de la route », souligne Mme Lareau.

Le débat suscité par la diffusion, la semaine dernière, d’une vidéo dans laquelle on voit un cycliste se faire frôler dangereusement par un autobus de la Société de transport de Montréal (STM) sur la rue Sherbrooke justifie la nécessité de réaménager certaines artères pour faciliter la circulation à vélo, selon elle.

« Ça fait 40 ans que je fais du vélo à Montréal, mais j’ai maintenant peur de rouler au centre-ville, parce qu’il y a beaucoup de véhicules, qui sont de plus en plus gros, et à cause des travaux et des embouteillages qui obligent les cyclistes à se faufiler de façon dangereuse, dit-elle. C’est chaotique, on est sur les nerfs, comme le cycliste qui s’est fait frôler par un autobus la semaine dernière. »

Vélo-Québec fera notamment de nouvelles propositions d’aménagements pour la rue Sherbrooke dans son rapport présenté à la Ville. Cette importante artère, la plus directe pour les déplacements dans l’axe est-ouest, est utilisée par de nombreux cyclistes, selon plusieurs études, malgré la densité de la circulation.

« Moi-même, je déteste prendre la rue Sherbrooke parce que je trouve ça dangereux », admet Suzanne Lareau. Pourquoi les cyclistes l’empruntent-ils quand même ? Parce que c’est pratique pour eux, dit-elle.

« Comme les automobilistes ou les usagers du transport en commun, ceux qui vont travailler à vélo cherchent les trajets les plus rapides. Ils ne vont pas faire un détour d’une demi-heure s’ils ont une route plus directe. »

— Suzanne Lareau, présidente de Vélo-Québec

Mme Lareau laisse entendre que les propositions de Vélo-Québec pour la rue Sherbrooke pourraient inclure la remise en question du stationnement sur rue et l’instauration de voies réservées pour les autobus.

C’est l’ex-maire Denis Coderre qui a donné à l’organisme le mandat de préparer ce diagnostic, en septembre 2017.

Moins de plaintes

La vidéo diffusée la semaine dernière par un cycliste qui voulait dénoncer le comportement d’un chauffeur d’autobus de la STM a suscité de vives réactions. On voit l’autobus passer très près du cycliste, qui interpelle ensuite le chauffeur pour dénoncer son attitude. Il a aussi déposé une plainte officielle.

La direction de la société de transport doit rencontrer son employé et a promis de prendre des « mesures appropriées » à la suite de la plainte.

Il a été impossible de savoir si la STM impose des sanctions disciplinaires à ses chauffeurs quand se produit ce type d’incident. « Chaque cas est analysé en tenant compte du dossier de l’employé, des faits reprochés et de leur gravité, des circonstances autour de l’incident., etc. », explique le porte-parole de la STM, Philippe Déry.

Malgré l’augmentation du nombre de déplacements à vélo en ville, il y a moins de plaintes des cyclistes envers le comportement des chauffeurs d’autobus depuis quatre ans, signe que la cohabitation dans les rues s’améliore, selon M. Déry.

Plaintes liées à des comportements de chauffeurs d’autobus à l’égard de cyclistes 

2014 : 75

2015 : 75

2016 : 60

2017 : 53

Source : STM

Plus de 1400 bus sont en service à l’heure de pointe à Montréal, ce qui tend à démontrer que l’incident rapporté la semaine dernière est un cas isolé, estime le porte-parole de la STM, soulignant que la sécurité routière et les enjeux de partage de la route sont abordés durant la formation des nouveaux chauffeurs et dans des activités de sensibilisation auprès du personnel en place.

Même si elle estime que les camions représentent un plus grand danger pour les cyclistes que les autobus, Suzanne Lareau dénonce tout de même la grande réticence du syndicat des employés de la STM à l’endroit de toutes les mesures favorisant les déplacements à vélo. Elle donne comme exemple les supports à vélos sur les autobus, la présence des vélos dans le métro et la circulation des cyclistes sur les voies réservées aux bus.

« Dans toute l’Amérique du Nord, 80 000 bus sont dotés de supports à vélos, mais à Montréal, il n’y en a que sur cinq lignes, déplore-t-elle. Sur la rue Viau, ça fait quatre ans qu’on a un projet-pilote pour permettre aux cyclistes d’emprunter la voie réservée, mais il n’y a rien qui se passe. Chaque dossier demande une longue bataille. »

Un porte-parole du Syndicat canadien de la fonction publique, auquel est affilié le syndicat des chauffeurs d’autobus de la STM, a refusé de faire plus de commentaires sur le dossier, après avoir simplement fait savoir, la fin de semaine dernière, qu’il avait l’intention d’appuyer l’employé visé par la plainte.

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