Chronique

Ce n’est pas le bon jour…

Le mot du jour est austérité, même si certains lui préfèrent son corollaire, le rigorisme, voire sa version édulcorée, la lucidité. Le premier budget du gouvernement Couillard, qualifié de régime minceur, a des airs de « carré magique ». Non, ce n’est pas le titre d’une pièce de théâtre sur le printemps étudiant…

Austérité, rigorisme, lucidité… J’aurais dû choisir un autre sujet de chronique. J’ai été, je suis, je resterai, un partisan de l’investissement accru de l’État en culture. Non pas par provocation, en ce lendemain de budget austère. Mais pour des raisons qui relèvent à mon sens de l’évidence et que la metteure en scène Brigitte Haentjens explique mieux que moi.

« Il est évident que l’élaboration d’une création artistique originale et forte ne peut se faire sans un investissement massif de l’État ; au Québec comme ailleurs certes, mais aussi davantage qu’ailleurs en raison de la fragilité de notre statut. Le cinéma d’auteur, le théâtre, la danse, l’art visuel, la musique ont besoin de l’État pour se vivifier, se renouveler. En l’absence de cette source, la vie artistique se sclérose et se folklorise. Elle devient lieu commun, clichés ; elle fait appel au connu et rabâché, au vite fait bien fait. »

Je ne pourrais être davantage d’accord avec ce point de vue, exprimé par Brigitte Haentjens dans le nouveau numéro de la revue Spirale, à l’occasion d’une charge sentie non seulement contre les politiques, mais contre les médias qui, selon elle, ne parlent pas assez d’art et trop souvent de divertissement.

C’est un autre (vaste) sujet. Revenons à nos moutons : l’austérité, le rigorisme, la lucidité. Des termes qui manquent cruellement de poésie. Je ne suis pas poète. Carlos Leitao non plus, que je sache. Hier, le ministre des Finances du Québec a annoncé, parmi de nombreuses mesures, des compressions de l’ordre de 20 % de crédits d’impôt destinés notamment à la production cinématographique.

Bien sûr qu’il faut faire des choix, à la lumière de nos maigres moyens. Tout le monde doit faire sa part, se serrer la ceinture, alouette. On ne peut tout se permettre, il faut être responsable, l’argent ne pousse pas dans les arbres, etc. Oui, papa !

Forcément, quand il faut faire des coupes, on les fait dans ce qui est considéré comme superflu. Et pourquoi pas le cinéma, un luxe semble-t-il pour plusieurs que l’on a fini par convaincre qu’il ne leur était pas destiné? À preuve, ils le fréquentent de moins en moins.

Je ne suis pas naïf. Je sais bien que faire des coupes dans la culture, en 2014, est un geste sans conséquence d’un point de vue politique. C’est au contraire une mesure populaire sinon populiste.

Faire des compressions dans ce qui est perçu comme élitiste, c’est s’assurer de ne pas froisser la majorité de l’électorat. Je ne vous apprends rien.

Je le redis, ce n’est pas le bon jour pour écrire cette chronique. Parce que le consensus veut qu’on n’ait plus les moyens de nos ambitions. Surtout les ambitions de nos artistes. Un jeune cinéaste québécois triomphe à l’étranger et, dans la foulée, plusieurs parlent des subventions qu’il a reçues, du manque de rentabilité du cinéma québécois et de l’argent « gaspillé » des contribuables, qui n’iront pas voir ses films de toute manière.

Une semaine plus tard, le gouvernement nouvellement élu réduit les crédits d’impôt à la production cinématographique de 20 %. Ce sera assurément la mesure la moins décriée de ce budget. Payer plus cher mes bouteilles déjà trop chères à la SAQ : scandale ! Rendre plus complexe la production déjà complexe de longs métrages québécois : bof ! Que voulez-vous, comme disait l’autre. C’est l’époque.

Il est vrai qu’en culture, on n’a plus les moyens. Parce qu’on ne se les donne plus. Les artistes et les organismes en sont réduits à un statut de quémandeurs. À tous ronger le même os, faute de viande. Qu’ils fassent leur part, ces assistés sociaux de luxe ! leur renvoient en chœur les plus conservateurs.

C’est le mauvais jour pour écrire cette chronique. Un jour où bruisse entre les branches la rumeur d’une nouvelle menace de fermeture du cinéma Excentris. Le temple montréalais du septième art survit de peine et de misère depuis qu’il a rouvert ses portes, en 2011. Il affiche un taux de fréquentation enviable depuis l’an dernier, mais a accumulé des dettes, pour toutes sortes de raisons, si bien qu’on craint de nouveau pour sa survie.

Le danger, semble-t-il, est imminent. Dans un contexte où les salles de cinéma sont moins fréquentées, et que le cinéma hollywoodien obtient des parts de marché énormes (frôlant les 90 %), il est plus que jamais primordial de préserver le pôle de la cinéphilie qu’est Excentris. Car il ne s’agit pas d’une salle de cinéma comme une autre.

Excentris est un lieu de diffusion hors du commun. Un joyau national, qui faisait il y a à peine 10 ans l’envie de bien des diffuseurs canadiens et étrangers. (On a parfois ce travers, au Québec, de ne pas savoir reconnaître ce qui fait notre force.) Si Excentris disparaissait définitivement, il y aurait un effet domino important sur la diffusion du cinéma d’auteur à Montréal et au Québec, qui ne se porte déjà pas très bien.

On en a d’ailleurs ressenti les effets lorsque le complexe a temporairement fermé ses portes il y a quelques années, avant d’être racheté en 2011 par le cinéma Parallèle, un organisme à but non lucratif. On ne s’en est toujours pas remis. Sans financement public récurrent, en particulier du gouvernement du Québec, la mort à court terme d’Excentris est quasi assurée. C’est aujourd’hui qu’il faut agir pour assurer sa pérennité. Pas demain.

Un quartier général qui menace de disparaître faute de financement public adéquat, la production cinématographique fragilisée par une mesure budgétaire étonnante. Ce n’est pas le bon jour pour écrire cette chronique…

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