Chronique

SNC-Lavalin a des sosies partout

L’histoire ressemble à s’y méprendre à l’affaire SNC-Lavalin. Elle s’est déroulée autour des mêmes années et avec le même modus operandi de corruption internationale. Elle risque de priver, elle aussi, une multinationale de contrats publics pendant plusieurs années.

De qui s’agit-il ? Du géant franco-allemand Airbus, cette entreprise qui s’est fait connaître au Québec avec l’acquisition de 50,01 % de la division C Series, en 2017, le joyau de notre Bombardier nationale.

Les agissements douteux passés d’Airbus ont refait les manchettes tout récemment, en décembre 2018, à la suite d’un reportage du quotidien français Le Monde. Le journal a alors révélé que le Department of Justice (DOJ) des États-Unis menait une enquête sur Airbus pour une affaire de corruption hors de son territoire. Airbus, comme chacun sait, est le deuxième constructeur mondial d’avions, ennemi juré de l’américaine Boeing.

L’enquête du DOJ a débuté à la fin de 2017, selon Le Monde. Elle serait fondée sur les mêmes actes présumés de corruption sur lesquels enquêtent le Serious Fraud Office (SFO), de Londres, et le Parquet national financier (PNF), de Paris.

Cette affaire Airbus illustre à quel point la tempête qui frappe la firme de génie-conseil SNC-Lavalin au fédéral est loin d’être unique. Elle nous révèle aussi que Bombardier risque d’être touchée, indirectement, par une enquête de corruption. Enfin, elle nous amène à nous demander si les multinationales étrangères reçoivent le même traitement pour leurs méfaits que nos entreprises locales.

Ces dernières années, plusieurs autres enquêtes de corruption à l’endroit de diverses multinationales se sont soldées par des accords de réparation envers les États poursuivants, ce que demande précisément SNC-Lavalin.

Mais revenons à l’affaire Airbus. L’enquête de Paris et de Londres émane des aveux mêmes de la direction d’Airbus, entre 2014 et 2016. L’entreprise a indiqué avoir omis de dévoiler aux autorités qu’elle avait payé des intermédiaires pour obtenir de grosses commandes à l’étranger, notamment en Asie. Les faits qui font l’objet d’une enquête se seraient déroulés entre 2009 et 2013.

Le recours aux intermédiaires est permis à la condition que leurs noms soient dévoilés et que l’on puisse retrouver la trace de l’argent versé. Sans ces conditions, le paiement est considéré comme un pot-de-vin. Londres et Paris ont ouvert des enquêtes pour « corruption d’agents publics à l’étranger, blanchiment, abus de biens sociaux, faux et usage de faux », écrit Le Monde.

Contrats étrangers, intermédiaires, aveux, enquête : les faits ressemblent beaucoup à l’affaire SNC-Lavalin, vous disais-je. La firme de génie, faut-il le rappeler, est accusée d’avoir versé 47 millions de dollars de pots-de-vin entre 2001 et 2011 pour obtenir des contrats en Libye. Son PDG, Neil Bruce, s’est même publiquement excusé « pour les manquements commis avant 2012 ».

Le dénouement pourrait aussi être semblable – ou pas – selon la décision des procureurs du gouvernement fédéral canadien. Airbus tente d’obtenir un règlement à l’amiable global en vertu duquel elle pourrait être tenue de payer aux trois pays qui enquêtent une amende combinée de… plusieurs milliards de dollars, soutient Le Monde. La cible visée : fin 2019.

Pour s’entendre avec les autorités, Airbus fait valoir qu’elle a complètement changé son équipe de direction et corrigé ses problèmes éthiques, comme l’a fait SNC-Lavalin. Selon Le Monde, le départ, ces jours-ci, du PDG d’Airbus, Tom Enders, ne serait pas étranger à cette affaire, bien que le dirigeant, qui est cadre supérieur chez Airbus depuis plusieurs années, nie avoir eu connaissance avant 2014 des agissements douteux.

« Je n’ai aucun regret d’avoir rendu publiques les irrégularités que nous avons découvertes dans le cadre de notre propre audit », a-t-il dit au journal français Le Figaro la semaine dernière. « En tant que CEO, mon rôle est de prendre les plus grands risques et d’en assumer les plus hautes responsabilités. »

Autre ressemblance : si l’enquête américaine mène à un verdict de culpabilité au criminel, elle pourrait priver Airbus de contrats publics pendant cinq ans, que ce soit pour des produits militaires ou civils.

Une privation de contrats ou une lourde amende toucherait indirectement Bombardier. « Évidemment, nous sommes au courant, mais nous ne sommes pas en mesure de commenter sur des conclusions pour le moment très hypothétiques », a dit le vice-président de Bombardier, Olivier Marcil.

Évidemment, SNC-Lavalin est beaucoup plus petite qu’Airbus. Le volume d’affaires annuel de la firme de génie-conseil avoisine les 10 milliards de dollars, contre une centaine de milliards de dollars pour Airbus. La première compte quelque 50 000 employés, comparativement à environ 130 000 pour la seconde.

Et à voir la tournure politique que prend le dossier à Ottawa, avec les démissions de l’ex-ministre de la Justice et du conseiller principal de Justin Trudeau, il devient de plus en plus improbable que SNC obtienne une entente à l’amiable pour le paiement d’une amende, contrairement à ce qui risque d’arriver pour Airbus. Du moins, pas avant les prochaines élections fédérales, en octobre 2019.

Il reste que l’affaire Airbus illustre à quel point le dossier de SNC n’est pas un cas d’espèce. Surtout quand on sait que d’autres sociétés comme Alstom, Total ou Rolls-Royce ont traversé des problèmes semblables il n’y a pas si longtemps. « Il est rare qu’un pays s’acharne ainsi à détruire ses fleurons nationaux », me fait remarquer l’avocat international Bernard Colas.

Ces multinationales sont restées en vie, après avoir fait amende honorable, au bénéfice de leurs employés et de leurs pays. Au rythme où vont les choses, il n’est pas clair que ce sera le cas de SNC-Lavalin…

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