Intelligence artificielle

L’ère des robots-avocats

André Roy se rappelle avec nostalgie ses soirées de travail chez… l’imprimeur.

Dans les années 80, alors qu’il était encore un jeune avocat en droit des sociétés, André Roy devait se rendre chez l’imprimeur pour corriger les prospectus des entreprises de Québec inc. qui entraient en Bourse. « Nous avions une équipe au bureau et une autre chez l’imprimeur. On soulignait les changements par fax, on faisait les corrections directement chez l’imprimeur », dit Me Roy, aujourd’hui associé directeur du cabinet montréalais de Stikeman Elliott.

Une décennie plus tard, une technologie révolutionnaire allait faire cesser ces visites chez l’imprimeur : le logiciel de traitement de texte. « Ce qu’on faisait en un mois se fait maintenant en deux semaines », dit-il.

André Roy n’a donc pas peur de l’arrivée de l’intelligence artificielle dans son milieu de travail, encore moins de se faire remplacer un jour par un robot. Bien au contraire.

« L’intelligence artificielle va améliorer l’efficacité des avocats. »

— André Roy, associé directeur du cabinet montréalais de Stikeman Elliott

Les avocats des grands cabinets du pays sont déjà plus efficaces grâce à des logiciels d’intelligence artificielle. À divers degrés, McCarthy Tétrault, Stikeman Elliott, Norton Rose Fulbright et Fasken Martineau ont tous recours à l’intelligence artificielle. « Beaucoup de gens testent beaucoup de choses actuellement », dit Matthew Peters, associé et leader national en innovation chez McCarthy Tétrault. En droit des sociétés, on utilise les robots virtuels pour vérifier les milliers de documents lors d’une transaction. En litige, pour savoir quels documents divulguer ou quelle stratégie adopter en cour.

Le Québec en retard

En raison de la langue et du droit civil, les avocats québécois ont accès à moins de logiciels d’intelligence artificielle que leurs confrères du reste du Canada ou, surtout, des États-Unis, selon plusieurs intervenants.

« Le gros défi, c’est que la plupart des logiciels ne maîtrisent pas encore le français, et les logiciels qui le font ont été élaborés en France, où le droit est différent [de celui] du Québec. »

— Sylvie Hébert, directrice de la gestion du savoir chez Stikeman Elliott

« Ça demande un entraînement important du logiciel au niveau de la langue et des notions de droit québécois », ajoute Mme Hébert.

La taille du Canada par rapport à celle des États-Unis joue aussi contre lui. Un exemple ironique ? ROSS Intelligence, une entreprise fondée à l’incubateur de l’Université de Toronto, offre seulement ses logiciels juridiques d’intelligence artificielle, très prisés, aux États-Unis.

« Nous ne voulons pas être réactifs. J’aimerais qu’on soit un leader mondial dans ce domaine, c’est notre ambition », dit le nouveau bâtonnier du Québec, Paul-Matthieu Grondin, qui ne croit pas que les robots remplaceront les avocats à court terme. « Dans 200 ans, je ne sais pas. Mais à court terme, non », dit Me Grondin.

De toute façon, sur le plan juridique, même le robot le plus brillant ne peut pas remplacer un avocat. Au Québec, la loi est claire : seul un avocat peut donner un avis juridique, rappelle le Barreau du Québec. La question est plutôt de savoir si les gens préféreront s’adresser à un robot – qui ne donnerait pas officiellement des avis juridiques – plutôt qu’à un avocat.

« Ça dépend à quelle échéance », répond Yoshua Bengio, professeur à l’Université de Montréal et chercheur de renommée mondiale en intelligence artificielle. « Ce qui se développe à court terme, ce sont des outils pour aider les avocats », dit-il. Mais d’ici deux ou trois ans, l’intelligence artificielle pourra donner des services juridiques spécialisés dans des domaines précis du droit. « Au début, ça va probablement être des services spécialisés, pas un système qui remplace un avocat. Des systèmes qui regardent des problèmes particuliers, par exemple des formulaires d’immigration », dit M. Bengio, qui est chef du Laboratoire d’informatique des systèmes adaptatifs (MILA).

Inventeurs de robots

Non seulement les cabinets veulent accueillir des robots virtuels dans leurs bureaux, mais certains tentent même d’en inventer.

En mai dernier, Norton Rose Fulbright, une firme internationale comptant six bureaux au Canada, a organisé un « hackathon » d’un week-end avec des étudiants en informatique du King’s College de Londres. Avocats et informaticiens étaient jumelés et devaient créer des prototypes de robots juridiques. Les meilleurs tandems poursuivent leur travail. À Toronto, Norton Rose Fulbright s’est aussi associée avec un laboratoire informatique de l’Université de Toronto pour créer des solutions internes.

« Environ un tiers de nos avocats à travers le Canada utilisent l’intelligence artificielle. Nous verrons davantage d’idées pratiques, mais les humains resteront dans le jeu [in the loop]. »

— Maya Medeiros, associée et l’une des responsables de l’innovation chez Norton Rose Fulbright

S’ils tentent eux-mêmes d’en inventer, c’est donc que les avocats n’ont pas peur des robots. André Roy – celui-là même qui faisait des allers-retours chez l’imprimeur en début de carrière – a même hâte de les utiliser à leur plein potentiel. « Les robots vont rendre les avocats encore plus intelligents, mais c’est toujours l’avocat qui va être ultimement responsable », dit l’associé directeur de Stikeman Elliott.

Ce texte provenant de La Presse+ est une copie en format web. Consultez-le gratuitement en version interactive dans l’application La Presse+.