Chronique

La curieuse prime des médecins

C’est quand même incroyable. Le Québec entier s’est fait convaincre que le programme de « primes Bolduc » accordées aux médecins de famille est déficient et que décide Gaétan Barrette ? Il ramène les primes.

Dans la récente entente avec le syndicat des médecins, il est écrit que la mesure qui remplace l’ancienne « vise à payer au médecin un supplément pour la première visite associée à une inscription de tout nouveau patient orphelin ».

Que disait l’ancienne ? « Un montant supplémentaire sera versé au médecin omnipraticien pour la prise en charge d’un patient sans médecin de famille. »

Blanc bonnet, bonnet blanc.

Le ministre de la Santé pourra dire que les primes ont tout de même réussi à faire augmenter de 800 000 le nombre de patients inscrits auprès d’un médecin de famille depuis 2011.

Néanmoins, comme on l’a vu dans le cas du Dr Yves Bolduc, les médecins avaient-ils vraiment le temps de traiter adéquatement leurs nouveaux patients ?

De plus, le dernier système de primes n’a pas réussi à résoudre adéquatement l’un des principaux problèmes : la prise en charge rapide des patients vulnérables.

À ce sujet, une récente étude sur le programme de primes est fort révélatrice. L’étude dirigée par la chercheuse Roxane Borgès Da Silva, de l’Université de Montréal, compare le système de primes avant et après le changement d’octobre 2011.

Avant, le programme ne donnait rien aux médecins pour accepter un nouveau patient en santé, mais 104 $ pour un nouveau patient vulnérable. Après, la prime est passée à 100 $ pour les patients en santé et 209 $ pour les patients vulnérables (diabétiques, asthmatiques, cancéreux, hyperactifs, etc.).

Résultat : avant, les patients vulnérables attendaient 87 jours pour se voir désigner un médecin de famille. Après : 181 jours. Autrement dit, la prime plus généreuse a fait augmenter de 94 jours le temps d’attente pour les patients vulnérables ! L’étude ne porte pas sur un échantillon, mais sur l’ensemble des milliers de nouveaux patients inscrits aux guichets d’accès.

Que s’est-il passé ? Il appert que le changement de primes ait incité les médecins à suivre davantage les patients en santé. Leur temps d’attente est resté le même (à 112 jours contre 181 jours pour les vulnérables), mais le nombre suivi annuellement a quadruplé, passant de 4500 à 16 800, pendant qu’il doublait seulement pour les patients vulnérables (de 3800 à 7600).

Les quatre chercheurs ont trouvé une explication économique à ce phénomène. Selon les études, le médecin cherche à maximiser son bien-être en fonction du revenu qu’il tire de sa pratique et de son temps de loisirs (hors travail), mais aussi en fonction du bien-être relatif qu’il procure à ses patients.

Or, tout indique que ces trois facteurs ont incité les médecins à choisir davantage de patients en santé avec les nouvelles primes. En effet, non seulement ce choix leur a-t-il permis d’obtenir un revenu équivalant ou supérieur à ce qui prévalait avant, compte tenu de leur horaire fort chargé, mais les patients consultés en ont tiré davantage de bien-être, puisque davantage en santé et donc plus faciles à satisfaire.

L’entente de principe Barrette-Godin ne précise pas les modalités du nouveau système de primes. Tout ce qu’on sait, pour le moment, c’est que la même enveloppe annuelle de 25 millions sera versée aux médecins pour atteindre l’objectif.

Les deux parties assurent que l’argent sera versé seulement pour la prise en charge de patients après un examen exhaustif, et non pour une simple inscription ou pour un problème mineur, comme avant. Ils justifient la prime par le fait que la première visite d’un nouveau patient requiert bien plus de temps (antécédents familiaux, etc.).

Or, ce genre d’examen complet majeur (ECM) est un acte médical qui rapporte déjà davantage aux médecins de famille, selon le manuel des tarifs. En cabinet privé, le tarif d’un ECM facturé au gouvernement est de 74 $ contre 20 $ pour un examen ordinaire. La différence est justifiée par la durée de l’examen et son exhaustivité (antécédents familiaux, etc.), peut-on lire en page A-11 du manuel.

Pourquoi ajouter une prime à ce qui fait déjà l’objet d’une rémunération additionnelle ? Et l’octroi d’une prime à l’acte donnera-t-il plus de temps aux médecins souvent débordés ?

Les parties jugent que le suivi rigoureux de l’assiduité des médecins, soit leur disponibilité à rencontrer rapidement leurs patients selon leurs besoins, améliorera la situation.

L’entente précise que le Ministère et le syndicat des médecins déploieront tous les efforts pour améliorer l’environnement de travail des médecins, notamment le travail d’équipe (avec les infirmières, les pharmaciens, etc.).

Le hic, c’est que le mode de rémunération des médecins décourage le travail d’équipe. En effet, les médecins sont payés s’ils réalisent un acte médical. S’ils délèguent le suivi annuel d’un patient asthmatique à une infirmière clinicienne, par exemple, ils ne sont pas payés et il appert que l’entente ne changera rien à cette problématique.

Pourquoi les deux camps ne s’entendent-ils pas pour instaurer plutôt un système de primes qui encourage les résultats de l’équipe médicale élargie, comme le suggèrent plusieurs experts ? L’entente finale n’est pas signée, mais pour l’instant, on a l’impression de tourner en rond.

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