Opinion Jean-François Chicoine

Maudit TDA/H

Le trouble du déficit de l’attention avec ou sans hyperactivité rattrape 12 % de la jeunesse internationale. Pour aider, la science est partout pareille, sauf que les cultures pensent autrement.

TDA/H : pour rappel, le plus commun des troubles neurobiologiques. Trois fois plus fréquent chez les garçons. Classiquement défini par des entraves à l’attention, par une modulation défaillante du niveau d’activité ainsi que — on se concentre — par une désinhibition des actions impulsives archaïques.

« Archaïques », vous avez bien lu.

Une décennie de recherches nous a appris que le TDA/H était un vrai patchwork. 

Les brefs passages à vide dans la pensée des enfants atteints émaneraient des dissonances entre les différentes strates de leurs cerveaux, dont les plus primitives.

Pour des raisons génétiques ou de fabrication, par exemple la prématurité ou la malnutrition, des défauts d’activité métabolique appauvriraient l’arbitrage de certains faisceaux de neurones.

Un déploiement irrégulier des fonctions du cortex frontal, dites « cold », comme l’attention, la mémoire de travail ou la planification des actions, ne serait finalement pas seul en cause pour expliquer les fugues de l’esprit ou les comportements irritants.

Aux origines, siégeraient également des « caractères », aurait dit La Bruyère, dits « hot », ou encore des insultes aux zones sous-corticales du cerveau. On réfère ici à des infrastructures dont on ne parle pas chaque jour, comme les ganglions de la base, le gyrus cingulaire et les voies neurohormonales les reliant au cortex orbitofrontal, là où se forge la résonnance affective pour autrui.

En apprivoisant ainsi le TDA/H comme un tout-TDA/H, on s’explique mieux la présence des conditions associées, comme l’anxiété ou les troubles de conduites.

Des enfants sont désengagés comme des ordinateurs tombant systématiquement en mode par défaut sur leur écran de veille. D’autres se déchaînent socialement par des « mouvements pour le mouvement ». Des filles, typiquement inattentives, tombent dans la lune pour y refaire « le portrait d’un oiseau ».

D’où la nécessité pour les parents, soignants ou professeurs d’intervenir de manière concertée, par cercles concentriques de bienveillance, sur les comportements, les environnements… ainsi que sur la gérance des neuromédiateurs cérébraux, notamment par l’activité physique et, une à deux fois sur trois, désolé d’avoir à vous décevoir…

… par de la médication.

En la matière, les États-Unis surprescrivent, la France persiste à sous-prescrire, le Québec lorgne vers l’américanité.

Encore que, reconnaissant les mésusages, des oubliés bénéficieraient au contraire d’une ordonnance.

Aux États-Unis, facilement 13 % des enfants reçoivent des psychostimulants. En France, à peine 1 % des enfants sont sous médication, parfois sans approches psychoéducatives distinctives, au grand dam de leurs associations familiales comme les TDAH-HyperSupers.

Tandis que chez nous, le saupoudrage et la privatisation des services hospitaliers et scolaires opérés par le présent gouvernement auront fait si mal à la prise en charge multidisciplinaire des TDA/H que j’en rage encore.

Des fois en sacrant, j’avoue.

Comme si le Québec n’était pas Salem.

L’exception française

Trépassés, ces best-sellers tricolores qui inondent les salons du livre pour nier l’existence du TDA/H comme diagnostic !

Antédiluvienne, cette prétendue machination pharmaceutique pour dénaturer la créativité des jeunes !

La francophonie tout entière, avec au premier chef la Haute autorité de santé française depuis 2016, reconnaît ardemment la science derrière le trouble.

Depuis longtemps au Québec, maintenant en France, le TDA/H est beaucoup plus que des listes validées de symptômes, notamment répertoriées dans les classifications psychiatriques. C’est un syndrome en éventail, soutenu en clinique, par des trouvailles radiologiques, volumétriques, neuropharma-cologiques subtiles, fruits d’intenses efforts de la communauté scientifique internationale et qui forcent l’admiration.

Sur le plan thérapeutique cependant, on sent bien les frontières qui isolent la France, belle, mais si singulière.

Sauf dans une vingtaine de centres émergents, psychiatrisation et surchauffe psychanalytique y négligent encore les aspects neurophysiologiques rassembleurs du trouble. Des enfants normalement intelligents, mais hyperactifs, y sont toujours vertement classés comme des Hauts potentiels (HP) pénibles à gérer, alors qu’ils n’auraient pas résisté à des techniques comportementales appropriées.

Des polémiques s’installent, on est en France.

Pas de pause-pipi

Lyon, début novembre, je donne une conférence qui dure déjà depuis trois heures. Les Français sont les premiers à reconnaître que leur tolérance à la frustration n’est pas exemplaire, reste que, chapeau, leur capacité à survivre à une activité intellectuelle bat des records qui demeurent absolument universels.

Des questions du public ont trait à l’accompagnement des troubles de comportement.

L’éducation sur l’Hexagone vise plutôt l’excellence que l’ajustement aux différences. Trop jeunes, dès leurs 2-3 ans, certains de leurs enfants malheureux, anxieux ou immatures s’y trouvent heurtés par un cursus édifiant, mais rigoriste, décalé des nécessités adaptatives. Pour aider, on trouve des assistantes de vie scolaire, des psychomotriciennes, un rôle magnifié pour les orthophonistes, mais peu d’ergothérapeutes — les éléments corporels n’étant pas mis en priorités. Les éducateurs à domicile sont rares, il n’y a pas d’orthopédagogues, si doués pour renforcer le sentiment de compétence des écoliers à risque.

Inévitablement, un parent m’interroge sur le TDA/H.

L’accès à un diagnostic valide en France est encore moins facile qu’au Québec. Si nécessaire, le choix d’une médication psychostimulante, ou équivalente, n’est pas diversifié. Surtout, seuls les neuropédiatres et les psychiatres peuvent décider de la prescrire, les médecins de famille et les pédiatres n’étant pas autorisés à le faire, avec les contrariétés qu’on imagine.

Il est minuit, docteur 

J’ai suffisamment pressé le citron. Le plus vieux bar à vin lyonnais nous attend après la conférence.

Dernière remarque, mais elle arrache : les hypothèses pointent pour un système motivationnel fragile à l’origine du déficit de l’attention. Un truc clocherait avec la livraison de l’hormone de la motivation qu’est la dopamine.

Autrement dit, le déficit d’attention ne serait pas qu’un déficit d’attention, mais un déficit en motivation avec ses effets sur l’attention.

Dans le sous-sol de son cerveau, « l’hyperactif » cultiverait une intolérance aux délais, puis une recherche de renforcements immédiats, un penchant pour les rêvasseries ou les plaisirs instantanés, l’éloignant du dur métier de la construction de l’estime de soi.

Maudit TDA/H, putain de TDA/H.

Bonheur d’une science vivante.

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