Quand l’université s’intéresse à l’icône populaire

Professeure au département de communication de l’Université de Montréal, Line Grenier est la première universitaire à s’être penchée sur le phénomène Céline Dion dans le cadre de ses recherches sur la renommée, puis sur le vieillissement dans la musique populaire. Elle a discuté du fruit de ses recherches avec La Presse.

« La première fois que j’ai fait une demande de subvention, mes collègues chercheurs se demandaient comment je pouvais m’intéresser “à quelque chose comme ça”. Il y avait encore cette charge très forte portée sur un type de répertoire, de chansons, de célébrité », se souvient Line Grenier, chercheuse depuis plus de 30 ans sur des questions relatives à la musique populaire.

Mme Grenier a publié en 2001 « Les mises en mémoire de Céline Dion » dans la revue savante Recherches féministes. Elle y décrivait « le phénomène Céline Dion » comme un phénomène inusité au Québec par l’ampleur de la popularité de la chanteuse, étant donné qu’elle n’était ni auteure ni compositrice.

Au moment où les magazines soulignaient l’arrivée du nouveau millénaire, le discours plutôt critique sur Céline Dion se nuançait et la chanteuse se retrouvait dans de nombreux palmarès de personnalités marquantes du Québec.

« Progressivement, les critiques, même les plus virulents, ont reconnu la durée de sa carrière, ce qui est très important, surtout en pop. Il a aussi été difficile de ne pas saluer son éthique du travail. Les premiers documentaires de type making-of sont apparus et, dans le cas de Céline, on a pu y mesurer l’ampleur d’un succès d’équipe québécois », indique Line Grenier en énumérant les éléments qui ont permis à Céline de se hisser au rang de « héros national ». 

« Un magazine comme L’actualité qui la place au rang de héros national au même titre que Maurice Richard, ça n’évacue pas l’ensemble du discours critique qui a été porté par le passé, mais ça dit qu’on peut la voir sous un autre angle. »

— Line Grenier, chercheuse au département de communication de l’UdeM

« Elle ne laissait personne indifférent. On la haïssait ou on l’adorait, y compris les gens absolument pas intéressés par sa musique. C’est là que le phénomène a pris toute son ampleur et a mis de l’avant un mode de célébrité qui n’était pas strictement lié au fait de faire de la pop », ajoute la professeure.

L’épreuve du temps

Membre de l’ACT, un partenariat de recherche sur le vieillissement, les communications et les technologies, Line Grenier a notamment analysé les célébrations entourant les 25 ans de carrière de Céline Dion dans le cadre de ses recherches sur le vieillissement au regard de la scène culturelle. 

« Ça m’avait beaucoup frappée qu’on taise entièrement le fait que cette femme vieillissait. On parlait toujours du fait que sa carrière connaissait une croissance, du conte de fées de la jeune fille découverte par son agent devenu son mari, sans jamais faire de ça une histoire de vieillissement », précise Line Grenier qui distingue clairement le vieillissement des figures publiques de celui du commun des mortels.

« Une des choses que je ne peux m’empêcher de voir dans le cas de Céline Dion, c’est une forme de vieillissement tellement acceptable qu’elle passe inaperçue sur la place publique. »

— Line Grenier

En tant qu’icône de la musique populaire, Céline Dion serait-elle à contre-courant de la perception généralisée du vieillissement ?

« Le cinéma, la télé ou la musique sont des domaines extrêmement âgistes. On y vieillit selon une norme très particulière qui fait en sorte que le corps doit ressembler à un corps de 40 ans maximum », précise la chercheuse.

« Pensez à la comparaison entre Céline Dion qui va avoir 50 ans et Madonna : le contraste est fascinant ! On a reproché à Madonna de vouloir avoir l’air jeune. On ne peut pas être Madonna à 50 ans », lance Mme Grenier.

Pour elle, le deuil de son mari René Angélil constitue un moment charnière dans la perception de la figure publique de Céline Dion. Mais toujours sans lien avec son vieillissement.

« Elle a vécu un deuil qui va marquer pour beaucoup un évènement important. Généralement, on attend de cette étape quelque chose d’autre par la suite. Ce qui a été le cas : on a très largement discuté des frasques de Céline dans la mode, du renouvellement de son équipe, mais ce qui est incroyable, c’est qu’on fait ça sans le lier au fait que cette figure publique va avoir 50 ans ! », explique Line Grenier.

Comment expliquer que Céline échappe à ce point à la dure réalité vécue par ses consœurs du monde de la musique populaire ?

« Ce ne sont que des hypothèses, mais quand cette femme vieillit, on voit toutes les figures qu’elle a incarnées au fil du temps, en même temps [la mère de famille qui a perdu son mari, l’entrepreneure symbole de l’intégrité au travail et de Québec inc., ou encore la star internationale plus tout à fait au faîte de sa gloire]. Mais elles n’ont pas vieilli de la même manière. Tout ceci colore la manière dont on peut discuter du vieillissement de Céline aujourd’hui », conclut-elle.

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