Comment ils sont passés de la parole aux actes
Hoola One : l’avaleur de sable
Des bouteilles d’huile à moteur, des contenants de savon à vaisselle et beaucoup, beaucoup de brosses à dents : les fondateurs d’Hoola One Technologies en ont vu de toutes les couleurs sur la plage de Kamilo, à Hawaii. Ce ne sont toutefois pas ces rebuts qui ont amené là ces jeunes ingénieurs québécois l’an dernier, mais les microplastiques, impossibles à ramasser à la main. L’aspirateur tout-terrain qu’ils ont conçu à l’Université de Sherbrooke n’en a fait qu’une bouchée.
« C’est un sentiment partagé quand tu arrives là-bas », raconte Samuel Dorval, l’un des trois propriétaires d’Hoola One, avec Jean-David Lantagne et Jean-Félix Tremblay. « On arrive avec une solution qui ne devrait pas exister, puisque ce sont nos mauvaises habitudes de vie qui font qu’on se retrouve avec des plages comme celles-là », souligne l’ingénieur de 24 ans.
L’étincelle est venue d’un ami, Alexandre Savard, secoué par un reportage sur Kamilo, l’une des plages les plus envahies par le plastique sur la planète. Un organisme local avec lequel ils sont entrés en contact leur a parlé des microplastiques, impossibles à ramasser. Ils tenaient leur projet de fin d’études. Une douzaine d’étudiants en génie de Sherbrooke se sont mis ensemble pour concevoir l’appareil, qui a été testé sur la plage hawaïenne pour la première fois au printemps dernier, puis de nouveau à l’été.
L’organisme Hawai’i Wildlife Fund (HWF), à qui ils ont fait don de l’appareil, prévoit s’en resservir bientôt. « Nous voulons finir le boulot que nous avons commencé », indique la présidente de HWF, Megan Lamson.
Le principe est simple. Le sable aspiré sur la plage passe dans un réservoir où est injectée de l’eau de mer. Le sable tombe par le fond et le plastique flotte à la surface, ce qui permet de le retirer, alors que le sable et l’eau sont retournés dans leur milieu.
Le nom de l’entreprise vient de deux termes hawaïens, Ho‘ōla et One. Ho‘ōla, qui figure dans plusieurs raisons sociales à Hawaii, évoque la vie, la santé et le bien-être, alors que One signifie « sable ».
Même si des projets ambitieux tentent de retirer ces plastiques des océans, les plages ne sont pas à négliger. « C’est l’endroit où on peut les ramasser le plus facilement, et 97 % des plastiques de mer aboutissent à proximité des berges », souligne Samuel Duval en citant une recherche de l’organisme The Ocean Cleanup.
Les débris de plastique sont en effet tristement communs sur les côtes d’Hawaii. La plage Kailua, dans l’île d’Oahu, souvent classée parmi les plus belles plages des États-Unis, en a été recouverte en janvier. Mais à la plage Kamilo, dans Big Island, une combinaison de courants et de vents en a fait un problème chronique. Un problème qui n’est pas qu’esthétique ou touristique : une fois enlevé tout ce qui choque le regard, il reste encore les microplastiques, fréquemment ingérés par les animaux marins.
« Une fois que nous aurons fini de nettoyer Kamilo, nous espérons trouver du financement afin d’envoyer la machine à Maui, à Oahu ou à Kaua’i pour pouvoir, en partenariat avec des organisations locales, nettoyer des plages de ces îles. »
— Megan Lamson
Le gros aspirateur industriel d’Hoola One, qui traite 15 mètres carrés de plage à l’heure, intercepte des particules aussi fines que 50 microns (0,05 millimètre). L’engin, dont Hoola One a fait don à l’organisme HWF, lui a valu de nombreuses distinctions, dont le grand prix du Fowler Global Social Innovation Challenge de l’Université de San Diego. Cette prestigieuse distinction, remportée en juin dernier devant une quarantaine d’équipes de 25 universités, leur a procuré une visibilité internationale.
Hoola One a également remporté deux prix à la Compétition canadienne d’ingénierie, dont celui de la conception la plus innovatrice au Canada, a figuré parmi les 10 premiers gagnants québécois du Défi propulsion DEC, organisé par Développement économique Canada, a gagné le Grand Prix recherche au Concours Createk et a reçu la mention du jury au Gala EnviroLys.
Les trois jeunes entrepreneurs travaillent maintenant sur une nouvelle version de leur prototype, auquel ils veulent apporter plusieurs améliorations.
Le trajet hors route de près de deux heures vers la plage Kamilo, sur de forts dénivelés semés de pierres de lave acérées, les a notamment convaincus de réduire la taille de leur appareil, pour qu’il soit plus facile à transporter jusqu’à des endroits isolés. Ils veulent aussi le rendre encore plus écologique, en ne retournant plus seulement l’eau et le sable dans l’environnement, mais aussi le bois et les algues, qui flottent avec le plastique. « On a déjà la solution, il faut trouver moyen de l’intégrer pour ne pas que ça ralentisse le processus », indique Samuel Dorval.
Les associés vont tester et améliorer leurs nouveaux concepts au cours de la prochaine année, puis essayer leur nouveau prototype en situation réelle au Québec à l’été 2021. L’objectif est d’avoir une vitrine technologique avec un premier client en 2022. Il est trop tôt pour déterminer un prix de vente, mais les jeunes ingénieurs souhaitent que leur solution soit abordable. Outre des organismes comme HWF, des municipalités et des agences environnementales pourraient être intéressées, prévoient-ils.
En attendant, les fondateurs d’Hoola One profitent de leur visibilité pour rappeler l’importance de réduire le plastique à la source. « On a nos ustensiles en bambou qu’on essaie de promener partout et des gens nous ont dit que grâce au projet, ils avaient arrêté d’acheter des verres et des ustensiles en plastique à usage unique, témoigne Samuel Dorval. Notre défi, c’est de conscientiser les gens sans les énerver. »