Ski de fond

Les nouvelles jambes d’Alex Harvey

Alex Harvey reprend la compétition ce week-end en Suède. Il a décroché le septième rang d’un sprint classique à Gällivare, une épreuve préparatoire. Le fondeur de 27 ans s’élancera ensuite pour le circuit de la Coupe du monde, la semaine prochaine, en Finlande. Son objectif : le Globe de cristal couronnant le meilleur au classement général.

La cicatrice est impressionnante. Elle part du haut du genou et remonte l’intérieur de la cuisse presque jusqu’à l’aine.

Cette couture mauve est une bénédiction pour Alex Harvey. C’est là que sa chirurgienne a prélevé une veine. Le tissu recueilli a servi à rapiécer ses deux artères iliaques, dont le flot irrégulier à l’effort compromettait ses performances depuis des années.

Les deux opérations ont eu lieu au printemps, à 10 jours d’intervalle. La veille de la première, Harvey est allé skier au mont Sainte-Anne. Au cas où ce serait la dernière fois.

L’athlète de 27 ans connaissait bien sa chirurgienne, qui avait pratiqué avec succès la même intervention du côté gauche en 2008. Il s’agissait cette fois de réparer les artères sur une dizaine de centimètres supplémentaires.

Il reste que les opérations, d’environ quatre heures chacune, se dérouleraient sous anesthésie générale, avec le bas de l’abdomen ouvert. En 2007, le cycliste Ryan Cox, un ancien champion sud-africain, est mort de complications trois semaines après la même intervention.

« C’est bizarre à dire, mais survivre à l’opération, c’était la première étape », fait Harvey sept mois plus tard. 

« Ma mère et ma blonde étaient stressées un peu. Moi, non. Je faisais confiance. Je me sentais prêt. »

— Alex Harvey

FREINÉ PAR SES ARTÈRES OBSTRUÉES

Le fondeur de Saint-Ferréol-les-Neiges ne compte plus les fois où ses artères obstruées par le frottement répété des psoas l’ont ralenti ou carrément arrêté.

Comme après son attaque audacieuse au skiathlon des Championnats du monde d’Oslo en 2011. Il détenait une avance d’une quarantaine de secondes avec moins de trois kilomètres à faire. Sur le bord de la piste, son entraîneur Louis Bouchard recevait déjà les félicitations de ses rivaux. Son protégé, les jambes bloquées, allait terminer 12e.

Même chose au Tour de ski 2012. Harvey occupait la sixième position au départ de la dernière étape. Il était arrivé 40e au sommet de l’Alpe Cermis, claudiquant, le teint vert. Écœuré, il n’a plus jamais refait cette ascension ultime, où son problème de circulation sanguine devenait particulièrement criant, laissant sur la table de précieux points de Coupe du monde.

Malgré ses deux médailles aux derniers Mondiaux de Falun, en mars, il est resté sur son appétit. Au skiathlon, il n’avait plus rien dans les jambes au moment du sprint. Seule la faiblesse d’un adversaire lui a permis d’arracher le bronze.

« C’est ça qui était frustrant : c’était ma course préférée, j’étais probablement dans la forme de ma vie, j’avais les meilleurs skis du peloton, et c’était juste une troisième place. Je n’étais pas premier. J’aurais pu gagner, mais avec mes jambes, ce n’était pas dans les cartes. »

— Alex Harvey

À trois ans des Jeux olympiques de Pyeongchang, le temps était venu de régler le problème.

UN BON SIGNAL

Le circuit Jean-Larose est un sentier de vélo de montagne de six kilomètres en montée reliant la station de ski alpin du Mont-Sainte-Anne au centre de ski de fond. Les fondeurs s’en servent comme piste d’entraînement de course à pied l’été.

À la fin juillet, quatre mois après les opérations, Harvey a établi un record du parcours. « J’ai battu mon temps d’une minute et demie », dit-il. « Il avait fait 24 min 40 s. Là, il a fait 22 min 29 s », précise Bouchard.

La marge est énorme. Pendant la course, Harvey a senti que le cœur voulait lui sortir de la poitrine. Une libération. « Ça ne m’était jamais arrivé en course à pied. C’était souffrant, je poussais autant, mais j’allais vraiment plus vite et la souffrance était répartie dans tout le corps. Ç’a été le premier signal. »

Le deuxième est survenu quelques semaines plus tard dans un col des Alpes françaises. Dans une ascension en ski à roulettes, il s’est surpris à pouvoir parler à sa copine alors que ses pulsations cardiaques avaient dépassé les 160 battements/minute. Avant, son cœur bloquait à 155.

« Les jambes ne me faisaient pas mal du tout. Je n’étais pas au maximum, mais je me sentais libre, fluide, léger. » En revenant de l’entraînement, il s’est dépêché d’appeler Bouchard pour lui annoncer la bonne nouvelle.

Ces heureuses sensations se sont confirmées la semaine suivante lors d’un stage en Italie. Plutôt que de subir les assauts de ses coéquipiers, Harvey imposait le rythme et finissait par les lâcher. Il en redemandait. « On a fait des efforts longs de 10 minutes où il devait pousser au max à la fin, relate Bouchard. Et il sautait sur ses skis. Je ne l’avais jamais vu sauter sur ses skis, ces dernières années. »

NOUVELLES AMBITIONS

Les limitations physiologiques mettaient Harvey en colère à l’approche des grands rendez-vous. Cela provoquait parfois des frictions avec son coach, qui le trouvait trop défaitiste.

« Avec ses nouvelles jambes, il va avoir du fun », croit Louis Bouchard, qui s’attend à ce le quadruple médaillé mondial adopte un style de course plus agressif.

Serein, Harvey nourrit de nouvelles ambitions pour la saison de Coupe du monde qui commence vendredi en Finlande et se terminera en mars avec le Canada Ski Tour : le premier rang au classement général.

« Il y en a d’autres qui peuvent le gagner : Cologna, Northug, Sundby, Halfvarsson, Legkov, rappelle le Canadien. Mais je pense faire partie de ce groupe. Je crois en mes chances de gagner, c’est la grande différence. »

Et si jamais un doute surgit, une longue cicatrice sera là pour le rassurer.

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