OPINION

POLITIQUE ET ÉCONOMIE Vers un nouvel internationalisme ?

Le sommet de l’OTAN a été marqué par les déclarations incendiaires du président Trump remettant en question l’alliance atlantique.

La présence turque au sommet deux jours après l’inauguration officielle d’Erdogan a laissé place à un aussi grand malaise, en raison des rapprochements entre la Turquie et la Russie. En pratique, Ankara envisage de se procurer des systèmes de missiles russes S-400. Ceux-ci sont non seulement incompatibles avec les systèmes de défense de l’OTAN, mais cela pourrait remettre en question la vente des avions F-35 à la Turquie par les Américains.

Ainsi, les rapprochements Trump et Poutine et la distanciation de la Turquie par rapport à l’OTAN, pourtant membre depuis 1952, sont autant de signes que l’échiquier géopolitique est susceptible de se transformer dans les prochaines années.

Une recentralisation des relations internationales hors de l’Occident est-elle à considérer ?

Le XXe siècle a été marqué par un mouvement général d’occidentalisation dans ce qu’on a appelé le « tiers-monde ». Toutefois, aujourd’hui le balancier semble changer de bord et il y a lieu de se questionner sur les raisons de ce changement.

D’ailleurs, dès l’annonce officielle de la victoire du président Erdogan aux élections à la fin juin, des musulmans du monde musulman saluaient sur les réseaux sociaux l’arrivée d’un nouveau sultanat ainsi que la fin d’un monde centré sur le parcours historique de l’Occident. Certains l’affirmaient avec ironie, d’autres moins.

Le président du Venezuela faisait une étrange déclaration quelques jours avant l’inauguration d’Erdogan, qualifiant ce dernier de « leader d’un nouveau monde multipolaire ». Certains ont d’ailleurs qualifié le culte voué au dirigeant turc « d’erdoganisme », un peu à la manière du kémalisme qui formait la Turquie moderne au début du XXe siècle. Toutefois, alors que le kémalisme visait l’occidentalisation, l’erdoganisme d’aujourd’hui s’en éloigne, en principes comme en actions.

Le déclin de l’internationalisme libéral

Auparavant gage d’améliorations sociales et économiques, le modèle occidental fait face, depuis les années 70, à une série de crises économiques, financières et politiques. Celles-ci ont entraîné des politiques d’austérité et le désenchantement graduel des populations locales face à l’occidentalisation. Ces politiques draconiennes ont été mises en œuvre par les États et les organisations internationales d’origine occidentale dans le but de « redresser » les sociétés de ce que l’on nommait péjorativement le « tiers-monde ».

Toutefois, cette austérité a finalement atteint les sociétés occidentales, engendrant un repli sur soi marqué par des politiques promouvant un désengagement dans les institutions interétatiques qui régulent les relations internationales.

La remise en question de l’administration Trump des organisations internationales telles que l’OTAN et l’UNESCO, ou encore des grandes rondes de négociations multilatérales tant sur le plan commercial que pour la lutte contre les changements climatiques sont symptomatiques de ce repli sur soi, qui n’est pas exclusif à l’administration américaine.

Ce repli signifie que le monde, aussi interconnecté soit-il, n’intéresse plus ceux qui s’en étaient donné garants autant sur le plan économique et sécuritaire. La glorification, volontaire ou non, du nationalisme et de l’isolationnisme économique signifie la fin des idées universalistes qui ont mené à l’occidentalisation du monde par l’entremise des organisations internationales comme l’ONU, l’OMC, le FMI ou la Banque mondiale, soutenues par la puissance américaine et ses alliés.

Ces derniers tentent tant bien que mal de s’adapter aux changements qui surviennent. Autrement dit, la Pax Americana s’effrite étant donné que Washington fait de plus en plus cavalier seul, accentuant la perte de vitesse de l’occidentalisation observée depuis trois décennies et menaçant l’internationalisme dit libéral.

La naissance d’un nouvel internationalisme à l’Est

En Eurasie, une autre forme de coopération internationale, axée d’abord sur l’intégration économique, est mise de l’avant par d’autres sommets qui ne sont pas limités aux puissances occidentales. Le forum économique d’Astana au Kazakhstan, tenu en mai dernier, rassemblait les présidents de la Banque asiatique d’infrastructure et de développement (AIIB), de la Banque de développement eurasienne (EDB), de la Commission européenne ainsi que le député directeur général de l’OMC.

Ce sommet visait principalement à favoriser l’intégration et l’autonomie collective des États de l’Union économique eurasienne (EAEU) et de contrebalancer l’influence américaine incarnée par le dollar américain comme valeur de change. Le président de l’AIIB, Jin Liqun, évoquait justement de contrer la « guerre commerciale américaine contre le monde » lors de ce sommet.

Le dollar américain n’est d’ailleurs plus la valeur étalon pour le commerce du pétrole en Eurasie, soit une cassure dans un demi-siècle de géopolitique pétrolière.

Selon Glenn Diesen, expert en politique étrangère de la région, la création de blocs économiques régionaux comme l’EAEU vise à favoriser l’indépendance des acteurs régionaux en soutenant une « balance de dépendance » ou une plus grande interdépendance économique en maintenant un contrôle local sur les modes d’administration, afin de prévenir la domination, que celle-ci soit américaine ou chinoise. On crée ainsi une meilleure symétrie commerciale entre les États dans une région donnée.

Concrètement, cela signifie l’abolition des barrières tarifaires et l’établissement d’un corridor de transport régional afin de réduire ou prévenir les tensions politiques et d’améliorer la symétrie ainsi que les capacités économiques des États membres.

En d’autres mots, les échanges sont plus faciles avec nos voisins immédiats, spécialement lorsque les infrastructures commerciales nécessaires sont en place. Ainsi, la création d’un bloc eurasien permettrait non seulement d’améliorer la position de négociation avec le géant chinois, mais faciliterait également la coopération commerciale et économique entre l’EAEU et la Chine pour mener à bien de grands projets d’intégration comme la Belt and Road Initiative (BRI), projet clé de la gouvernance globale chinoise mise en œuvre par le dirigeant actuel, Xi Jinping.

D’ailleurs, le Forum économique international de Saint-Pétersbourg, l’équivalent eurasien du forum de Davos, se déroulait à la fin mai sans aucune couverture médiatique. Pourtant, à l’ordre du jour figuraient nombre de résolutions centrales au projet d’intégration économique eurasien touchant la péninsule coréenne, l’Iran et la Chine, toutes des questions économiques et sécuritaires de l’heure. Au final, la portée de l’EAEU et celle de la BRI chinoise sont globales, souhaitant générer de nouvelles relations commerciales s’étendant de l’Europe de l’Est à la Corée, et de la Russie à l’Indonésie.

En somme, ce nouvel internationalisme est largement différent de celui prôné au XXe siècle en s’articulant autour d’acteurs comme la Chine pratiquant le capitalisme d’État, la quasi-dictature turque et la théocratie iranienne, coopérant avec des États intégrés étroitement aux pays occidentaux comme la Corée du Sud ou Singapour.

UN Risque pour les droits de la personne

Ce nouvel internationalisme se voudrait également moins interventionniste que le précédent, ce qui à la fois l’anime et reste son plus grand talon d’Achille. Celui-ci semble plutôt promettre une certaine neutralité politique. Toutefois, cette plus grande latitude locale laisse beaucoup à craindre quant au respect des droits de la personne, tels qu’inscrits à la Déclaration universelle de 1948, et dans les Pactes de 1966. Cette désoccidentalisation risque-t-elle de sonner le glas des droits de la personne ?

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