GUIDES DE GROSSESSE

« Il est vrai que le passé se réveille »

Professeure au département de psychologie de l’UQAM, Marie Hazan s’intéresse au couple et à la grossesse. La Presse l’a jointe pour parler des guides de maternité édités en France – où Mme Hazan a vécu – et ici.

Les livres de grossesse multiplient les recommandations, parfois différentes d’un ouvrage à l’autre. Est-ce que cela vous étonne ?

Non, cela ne m’étonne pas du tout. Dire aux futures mères – et maintenant aux futurs pères – quoi faire en préconisant une chose et son contraire, et surtout sans être à l’écoute de ce qui les préoccupe, c’est monnaie courante ! Ces conseils en disent plus sur les attentes des auteurs que sur les inquiétudes des lecteurs. Ils ont souvent une visée normative, même si c’est de façon involontaire.

Les guides français soulignent l’importance pour la femme de rester séduisante, tandis que ceux édités au Québec recommandent de piger dans la garde-robe du conjoint pour ne pas gaspiller d’argent en vêtements de maternité. Comment cela s’explique-t-il ?

Je trouve intéressant et amusant que certains livres insistent sur la féminité, d’autres sur la parité (emprunter les vastes chemises du conjoint !). Peut-être s’agit-il surtout de la volonté de symétrie entre les hommes et les femmes, qui prévaut au Québec plus qu’en France, où les rôles familiaux demeurent encore plus traditionnels.

La volonté d’égalité est louable, nécessaire et bienvenue, mais elle recouvre parfois un déni. C’est vraiment au moment de la grossesse, de l’accouchement et de l’allaitement éventuel qu’on fait face à la différence des sexes.

Les couples d’aujourd’hui y sont paradoxalement mal préparés, parce qu’ils s’attendent à tout partager. C’est vraiment merveilleux quand les hommes s’impliquent avec enthousiasme, mais il peut y avoir des (mauvaises) surprises au moment de l’arrivée de bébé, si les attentes sont trop grandes et irréalistes. Par exemple, quand l’un est au travail et l’autre à la maison, ce qui crée une situation nouvelle dans le couple, en plus de la naissance de l’enfant et des perturbations du rythme de vie de tous.

Au Québec, est-on moins prompt à penser que « l’amour que la mère croit ressentir pour son enfant, c’est à elle-même qu’elle le porte », tel que lu dans Attendre un enfant, paru chez Hachette Famille ? Ou que pendant la grossesse, « le passé se réveille » (Le Grand livre de ma grossesse, Eyrolles) ?

Ici, je suis plutôt d’accord avec les auteurs cités. C’est la manière de formuler les livres et les cadres de référence, culturels et psychanalytiques, qui sont différents au Québec, plus que la réalité des parents, à mon avis.

Il est vrai que le passé se réveille, que ses effets inconscients peuvent surgir et surprendre et que la rencontre avec le nouveau-né rappelle les rapports familiaux de chacun. Et l’enfant est vraiment le prolongement narcissique idéalisé des deux parents. C’est vraiment ce qui émerveille à son arrivée, comme Freud l’a découvert.

Est-ce que cela peut aider les futurs parents à prendre tous les avis avec un grain de sel, puisqu’ils changent selon les cultures et les époques ?

Il est en effet important de nuancer, selon la culture, les conseils et préceptes. Ces livres, en effet, sont aussi variables que le temps… Il vaut donc mieux les prendre avec humour et détachement, en prendre et en laisser, car de toute façon, ils procèdent par généralités. Ils devraient plutôt rassurer, ce qu’ils ne font pas toujours. On ne peut pas du tout les suivre à la lettre.

Ce texte provenant de La Presse+ est une copie en format web. Consultez-le gratuitement en version interactive dans l’application La Presse+.