STRATÉGIES À MA MANIÈRE

Le virus Urbania

Philippe Lamarre ne craint pas les mutations.

Le 30 septembre dernier, il annonçait que l’agence de création média qu’il avait fondée en 2000 sous le nom de Toxa portera désormais le nom d’Urbania Média.

Urbania ? Un magazine. Sur papier. Pour les jeunes branchés ! Il y a là comme une contradiction.

Déjà, la plus récente parution d’Urbania incluait un encart à en-tête Urbania spécialement préparé pour Desjardins à l’intention des jeunes.

Urbania. Mouvement Desjardins. Jeunes. Il y a encore là comme une contradiction. Mais Philippe Lamarre ne craint pas non plus les hybridations.

Ce designer graphique avait d’abord étudié en lettres au cégep – sa verve le montre à l’évidence.« On se définit ici comme des designers d’histoire, dit-il. C’est ce qui me passionne : essayer de raconter des histoires de façon différente, originale. »

Les mots soutiennent l’image, et vice versa. « J’aime bien ce paradoxe et me retrouver entre deux univers. »

INOCULATION

Ce changement de visage est le résultat d’une lente et profonde métamorphose.

En 2000, âgé de 25 ans, Philippe Lamarre fonde avec un ami son propre studio de création graphique, qu’il nomme Toxa. Trois ans plus tard, Toxa lance le magazine Urbania, destiné à un public de 18 à 35 ans.

« C’était un coup de tête. On est allés vendre de la pub à nos clients. C’était un peu comme une impulsion créative, comme un artiste qui sent le besoin d’exprimer quelque chose. » — Philippe Lamarre

Mais sans qu’ils le sachent, ils avaient inoculé un virus dans leur petite agence.

Rapidement, ils se découvrent infectés : « On a des abonnés, on a une couverture médiatique, on a lancé une marque qui commence à exister : on ne peut pas arrêter ça. »

Sur cette lancée, ils produisent en 2006 des capsules télé inspirées du magazine pour ARTV, à l’instigation de l’animatrice Catherine Pogonat. « J’ai prétendu savoir ce que je faisais et j’ai embarqué dans le projet de Catherine. »

L’année suivante, TV5 invite Toxa à faire une série documentaire de facture Urbania, ce qui bouleverse définitivement la nature de l’entreprise. Le magazine lui-même n’était pas rentable, « mais tout ce qu’il y avait autour l’était ».

Toxa est de plus en plus intoxiqué par Urbania. Mais Philippe Lamarre n’a pas pleinement conscience de la vigueur de l’infection.

Jusqu’à ce que…

LA TENTATION DU VICE

En 2013, des représentants du groupe Vice Media, éditeur du magazine du même nom, viennent le rencontrer et lui demandent s’il est intéressé à vendre son entreprise.

Pas d’hésitation : il refuse. « C’était flatteur parce que s’il y a une entreprise sur Terre qui me séduit, c’est bien Vice. Mais en même temps, j’avais envie de bâtir quelque chose et de le faire moi-même. »

Leur intérêt lui a néanmoins ouvert les yeux. 

« J’ai réalisé qu’ils venaient me voir parce que j’avais une marque média qui s’adressait aux jeunes. J’ai réalisé que ce qu’on avait bâti de la main gauche était en fait devenu le cœur de l’entreprise. » — Philippe Lamarre

En somme, « la marque Urbania était devenue plus visible que Toxa ».

INCUBATION

La suite semblait logique : il fallait afficher publiquement cette mutation. « J’ai pris le temps de réfléchir. Qu’est-ce que ça voulait dire ? Ce n’est pas seulement un changement de nom. »

La transformation touchait la fibre de l’agence. L’entreprise de services devenait un créateur de contenus.

« Quand tu es une entreprise de services, des entreprises viennent te voir pour répondre à leurs besoins. Quand tu crées du contenu original, tu te demandes ce que tu vas inventer comme projet, qu’il faut aller vendre ensuite. C’est deux façons de développer. »

Pour générer des idées, il met sur pied une « cellule de développement », qui réunit chaque semaine les créateurs et l’équipe de marketing de l’entreprise.

« Ç’a été dur. Non seulement il faut changer l’ADN et la façon de développer dans l’entreprise, mais il faut même changer la façon de gérer les projets et la comptabilité. Il a fallu apprendre tout ça en le faisant. »

Cette nouvelle âme s’est concrétisée dans une transformation physique : en mars dernier, l’entreprise a déménagé son siège social dans l’ancienne phonothèque de la Ville de Montréal, rue Roy.

FAIRE SA MARQUE

Urbania a tout bouleversé, y compris la manière de générer des revenus avec les médias. « On essaie de faire de plus en plus de contenu de marque, d’intégrer des marques dans l’aventure. »

C’est ce qu’il a fait avec Desjardins, pour qui il a créé un mini-magazine Urbania.

« Si tu m’avais dit il y a trois ans qu’Urbania allait pouvoir travailler pour une banque ou une caisse populaire comme Desjardins, je ne l’aurais pas cru. » — Philippe Lamarre

LA NOBLE PLACE DU PAPIER

Le magazine qui a tout lancé est devenu annuel en 2014. Philippe Lamarre veut en faire une revue qu’on conserve en bibliothèque. La dernière édition de 200 pages porte sur le Canada, avec en couverture un saisissant cadrage du visage de Justin Trudeau.

« Le magazine pour moi est devenu une manifestation physique de la marque. Il est important de le faire exister dans les chaumières. »

Il ne fait toujours pas ses frais. Peu importe. Le virus Urbania a déjà fait pleinement effet.

LE GROUPE URBANIA EN BREF

Trois divisions : média (dont le magazine), télé, agence de création

Actionnaires :  Philippe Lamarre et Raphaëlle Huysmans

Philippe Lamarre : 40 ans (« Je ne suis même plus dans mon propre auditoire ! »)

27 employés

Le chiffre d’affaires a doublé depuis trois ans

Près de la moitié des revenus proviennent dorénavant de la télévision.

Six séries télé et deux films documentaires en cours de production.

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