Les lignes horizontales

Histoire de verglas

La tempête

Gabriel Anctil

XYZ, 224 pages

L’ouvrage trônait sur ma tablette depuis à peine deux jours. Il y a une grande différence entre trôner et traîner sur une tablette. De vieilles factures traînent, mais un livre non lu trône, son heure de gloire est à venir, un monde complet encore inconnu, un objet fier. Une facture rappelle seulement une soirée au restaurant où le serveur nous a récité à haute voix le menu au complet, quand on l’avait sous les yeux et que nous aurions pu le lire tranquilles.

Je suis déjà hors sujet, désolé.

Puis, j’ai aperçu quelqu’un lire La tempête, mais debout, en marchant dans la rue. Il y a longtemps que je souhaite m’exprimer sur les lecteurs-marcheurs : je n’y crois pas.

Lire en marchant, c’est complètement débile. Vous me direz : ah, mais tout le monde regarde son téléphone en marchant. Oui, exactement, et c’est complètement débile. Ce n’est pas parce que tout le monde fait quelque chose que c’est brillant.

Pensez aux obstacles possibles : plaque de glace, dame âgée avec une canne, small talk avec Geneviève Borne ou Pénélope McQuade (je croise l’une ou l’autre littéralement chaque fois que je sors souper en ville). Le marcheur montréalais doit être prêt à tout, et je crois aussi que lorsqu’on utilise l’extérieur, on se doit de le regarder. Et justement, le lecteur-marcheur marchait sur un trottoir glacé (c’était avant notre faux printemps de 12 heures du Vendredi saint) !

L’histoire se déroule en pleine tempête du verglas, où il est quand même pas mal question de glace, et l’autre confiant de la semelle s’en allait comme s’il avait acheté le hasard et que rien ne pouvait lui arriver.

Je me suis dit que si le livre suscitait un tel comportement chez le lecteur, l’intrigue devait être captivante. Circuler à Montréal sans surveiller les trous et les vélos, faut vraiment avoir une bonne raison.

Le 7 janvier 1998, Jean, 14 ans, et ses parents, Marie et Louis, sont propulsés par les circonstances verglaçantes chez Irène, mère de Marie, grand-mère de Jean. Irène cohabite avec son fils Arthur qu’elle co-endure avec Manon, épouse d’Arthur.

J’avoue avoir eu un léger kick sur Manon au début de l’histoire. Elle portait un short de jean délavé, une camisole Vuarnet aux couleurs fluo et ses cheveux blonds bouclés étaient attachés sur le côté. Elle paraissait sortir tout droit d’un défilé de mode des années 80…

Mais ça passe rapidement lorsqu’on découvre sa passion pour les lignes ouvertes à CKAC, la Wildcat, la cigarette, et réveiller tout le monde en sacrant sans arrêt.

Il n’y a rien que je trouve moins sexy qu’une fille qui sacre à simple interligne avant même d’avoir déjeuné.

Six personnages se retrouvent donc pris entre eux dans le même lieu, tout au long de l’histoire, un peu comme dans une pièce de théâtre. D’autres intervenants font surface, mais ne pénètrent jamais dans le lieu officiel, la maison. Ce qui se prend toujours bien, soyons franc. Avouez-le, combien de fois vous êtes-vous retrouvé à la page 622 d’un roman choral en vous disant : oups, je croyais que Brendan et Pedro étaient le même gars…

Aucune ? Ah, moi non plus. Non, non, c’était juste un exemple…

C’est donc l’histoire de personnages fictifs lors d’un événement réel. J’aime toujours cette approche.

Et je souhaiterais que quelqu’un invente une histoire avec l’homme qui pleure en tenant dans ses bras son bébé, à la défaite du Oui au premier référendum, ou ceux qui ont lancé des roches sur Pierre Elliott Trudeau pendant le défilé de la Saint-Jean-Baptiste en 1968, ou le fan du Canadien qui était débarqué sur la glace du Forum pour narguer le banc des joueurs des Sabres de Buffalo et qui a mangé la volée de sa vie.

Demi-hors sujet, demi-désolé.

N’importe quel Québécois de 22 ans et plus doit encore conserver de vifs souvenirs de cet épisode tragi-hygiénique marqué par les jours sans électricité et les coupures d’eau courante du grand verglas. Certains dialogues sont très crus, mais d’autres doivent avoir été prononcés textuellement dans la cuisine de mes parents en 1998. Disons qu’on s’y retrouve.

Les quatre jours passés chez sa grand-mère changeront la vie de Jean. De vieux conflits referont surface et les confrontations se multiplieront, probablement le cas d’un million de gens ayant réellement vécu le verglas dans une promiscuité familiale datant d’une autre époque.

Mais, à la fin, une note nous dit : « La tempête est une œuvre de fiction. Toute ressemblance entre les personnages du roman et des personnes ayant réellement existé est purement fortuite. »

Bonne nouvelle, surtout dans le cas d’oncle Arthur, qu’on espérera le plus fictif possible…

Sinon, pour vrai, j’ai longtemps pensé que les commentateurs de hockey Norman Flynn et Dany Dubé étaient le même gars. Même chose dans les années 80 avec le pianiste Daniel Hétu et Yves Corbeil…

Bon, complètement hors sujet, complètement désolé.

Bonne lecture.

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