Attentat de Saint-Jean-sur-Richelieu

Un coroner dénonce des failles dans le réseau de la santé

Malgré des signes alarmants de troubles psychiatriques, l’auteur de l’attaque, Martin Couture-Rouleau, n'aurait pas été pris en charge adéquatement.

Martin Couture-Rouleau, l’auteur de l’attentat de Saint-Jean-sur-Richelieu, présentait des signes alarmants de troubles psychiatriques graves et de dangerosité, mais il n’a pas été pris en charge en raison de l’attitude « questionnable » du réseau de la santé et des services sociaux, conclut le coroner chargé d’investiguer sur sa mort.

« Tout patient délirant qui présente une lecture violente de la réalité devrait être vu en psychiatrie par un médecin psychiatre. Il est du devoir de la société de traiter les gens contre leur gré, s’ils sont dangereux, et de procéder à des ordres de cour pour un traitement obligatoire », martèle le Dr André-H. Dandavino dans son rapport.

Ce ne fut pas le cas dans ce dossier.

Couture-Rouleau est mort le 20 octobre 2014 après avoir tué l’adjudant Patrice Vincent en lui fonçant dessus avec sa voiture et avoir appelé au 9-1-1 pour exiger que le Canada se retire de la Coalition contre l’État islamique. Après une poursuite en voiture, il a foncé en hurlant vers les policiers, deux couteaux à la main. Les agents l’ont abattu de 11 balles.

Deux ans et demi après sa mort, le rapport du Dr Dandavino a été rendu public hier. Le gouvernement a attendu jusqu’à 19 h, un vendredi soir, en pleine crise des inondations, pour diffuser le document qui retrace méthodiquement la descente aux enfers de Couture-Rouleau et les vaines tentatives de son père pour obtenir de l’aide.

Drogue, dépression et faillite

Grand consommateur de drogue à l’adolescence, Couture-Rouleau avait cessé l’usage de la plupart des stupéfiants à l’âge adulte, mais il consommait encore jusqu’à 25 joints de marijuana par jour. Le coroner a retrouvé des antécédents de maladie mentale dans sa famille.

Lui-même avait eu d’autres problèmes de santé physique, de sérieuses difficultés à l’école, puis avait paru dépressif vers 2012. Il avait perdu sa conjointe, son entreprise de lavage sous pression, puis avait fait faillite en 2014.

Vers 2013, selon l’investigation du coroner, il est devenu obsédé par les théories du complot sur l’internet : il croyait que les Illuminati, une société secrète, poursuivaient un plan de domination du monde. Que le 11-Septembre avait été organisé par le gouvernement américain. Que les vaccins étaient un complot, tout comme le système monétaire. Il s’est converti à l’islam à cette époque, mais a aussi continué à parler d’esprits, de chakras, de projection astrale. Il a accusé son père d’être un démon et tenté d’exorciser une membre de sa famille.

« M. Couture-Rouleau semblait vivre dans un délire et son comportement antérieur est suspect quant à la présence de pathologie psychiatrique. »

— Extrait du rapport du coroner 

Le père a tenté plusieurs fois d’obtenir de l’aide du système de santé.

À ce moment, « le père est inquiet pour son fils. M. Couture-Rouleau écoute de plus en plus de vidéos violentes mettant en scène des personnages musulmans et passe ses journées à l’ordinateur à communiquer avec des groupes religieux », note le rapport.

« Il croit tout ce qu’il trouve sur internet et crée même son propre blogue où il vante Al-Qaïda. »

Il ne voulait pas d’aide

Couture-Rouleau a bien rencontré une intervenante de la clinique de psychiatrie, mais pas de psychiatre. Après discussion entre le personnel de la clinique, « il est résolu de ne pas suivre M. Couture-Rouleau car il prétend ne pas avoir besoin d’aide », constate le coroner.

« Le père est découragé et ne sait plus quoi faire. » Son fils perturbe un baptême dans une église en vociférant agressivement vers le prêtre, il délaisse la mosquée de Sainte-Jean et commence à fréquenter « une mosquée de la région métropolitaine suspectée d’être liée à Al-Qaïda ».

Il tente aussi de partir vers un pays musulman, sans succès. La police veut l’accuser criminellement d’avoir voulu rejoindre un groupe terroriste, mais abandonne l’idée, faute de preuve. Couture-Rouleau demeure sur leur radar jusqu’au jour fatidique, mais personne n’aura pu le stopper.

« M. Couture-Rouleau présentait des propos délirants, son père manifestait sa grande inquiétude face à la dangerosité de son fils et malgré ses nombreux appels à l’aide, il n’a pas pu être évalué par un médecin psychiatre même s’il s’est présenté à la clinique externe de psychiatrie, et ceci, à cause de leur façon de procéder », déplore le rapport, qui note que le paternel s’est adressé sans succès au CLSC, à la clinique de santé mentale L’Éclusier et à la clinique externe de psychiatrie de l’Hôpital du Haut-Richelieu, en plus de la police et du Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS).

« Questionnable »

« On peut se questionner sur la pertinence que M. Couture-Rouleau soit rencontré par une intervenante [NDLR : plutôt qu’un médecin] pour déchiffrer un cas représentant, potentiellement, un mélange de croyances religieuses associées à des éléments psychiatriques.

« Aucun diagnostic n’a pu être émis, car M. Couture-Rouleau n’a jamais été rencontré par un médecin psychiatre », ajoute le coroner.

« Qu’une réunion d’équipe ait pu conduire à ne pas vouloir rencontrer M. Couture-Rouleau lorsqu’il présentait des propos délirants et que le père s’inquiétait de la dangerosité de son fils est questionnable », conclut-il, dressant une liste de recommandations afin que les intervenants de la santé interviennent et sensibilisent leurs collègues face à des cas semblables à l’avenir.

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