Opinion

La Terre plate médiévale

Depuis quelques années, l’idée de la Terre plate revient au-devant de la scène. Qu’on pense au documentaire Behind the Curve de Netflix, sorti en 2018, où l’on voyait une pléthore d’individus en manque d’attention qui propageaient des idées aussi folles qu’insignifiantes. On était transporté dans les arcanes de la Flat Earth Society et d'émissions complotistes hautes en couleurs. 

Dans une publication Facebook, The Flath Earth Society a pris le temps d’écrire, non sans une forme d’ironie paradoxale : « The Flat Earth Society has members all around the globe. » Plus près de nous, au Québec, en février 2019, Nathalie Lemieux conseillère du district de Touraine et mairesse suppléante à Gatineau, au Québec, a dit : « Qui a décidé que la Terre est ronde et pourquoi le croire, lui ? »

On pourrait ici multiplier les exemples pour évoquer ce genre de déclaration à l’emporte-pièce. Mais le plus intéressant est de voir combien ceux qui critiquent ces discours sont prompts à les qualifier de « moyenâgeux », en partant du principe qu’au Moyen Âge on pensait que la Terre était plate. Ce qui est faux, et est du reste largement connu des médiévistes et des amateurs d’histoire, à défaut forcément du grand public.

Au Ve siècle av. J.-C., soit à l’époque de Périclès, ils sont plusieurs, dont Pythagore de Samos et Parménide, à commencer à se représenter la Terre sous la forme d’une sphère. Assez logique, se disent-il, dans la mesure où on observe aisément, notamment à bord d’un navire, une courbure de l’horizon.

Ératosthène (276 av. J.-C.-194 av. J.-C.) est lui aussi persuadé que la Terre est ronde et il entend bien le prouver. Il va parvenir à mesurer le méridien, donc, à connaître la dimension de la Terre. Dans sa Géographie, Ptolémée (IIe siècle après J.-C.) va reprendre les calculs d’Ératosthène et affirme clairement que la Terre est ronde. Or Ptolémée est un des auteurs les plus lus et les plus enseignés au Moyen Âge.

Dans les textes médiévaux, dès le VIe siècle, on parle de la Terre en disant « le globe » ou « la sphère ». C’est ce qu’on va enseigner dans les universités dès le XIIIe siècle.

Certaines représentations de la Terre prennent cependant une forme plate. Pourquoi ?

Cynocéphales et Ichtyophages

Il s’agit d’une tradition iconographique, un moyen de figurer l’ensemble de la planète en deux dimensions avec les continents connus : Europe, Asie, Afrique. On ne connaît alors qu’un hémisphère et on pense que de l’autre côté vivent des êtres extraordinaires… tels les Sciapodes, les Blemmyes, les Cynocéphales ou encore les Ichtyophages. Mais, pour autant, on ne pense pas qu’ils vivent sur une Terre plate. Les Antipodes sont par exemple un peuple que l’on imagine vivant de l’autre côté de la Terre, sous nos pieds, liés au globe par un champ magnétique… La tête en bas, leur manière de vivre serait la stricte opposée de celle des humains du haut !

S’il y a un débat au Moyen Âge, c’est celui qui touche le géocentrisme. En effet, les clercs médiévaux pensent que la Terre a été placée par Dieu au centre de l’univers.

Galilée et Copernic s’attirent les foudres de l’Église en prouvant que la Terre tourne autour du Soleil, et pas en disant qu’elle est ronde…

L’idée d’un Moyen Âge qui aurait cru à une Terre plate est un mythe inventé au XIXe siècle pour noircir l’image de la période médiévale.

Ainsi, en 1828, l’écrivain américain Washington Irving, pour son livre sur Christophe Colomb (History of the Life and Voyages of Christopher Columbus), dans lequel il affirme qu’il a consulté les archives, ce qui est faux, décrit un débat entre Colomb et des théologiens à Salamanque dans lequel ces derniers disent que Colomb est fou car la Terre est plate. Or il s’agit évidemment d’un mythe : non seulement cette assemblée ne s’est jamais tenue, mais encore, répétons-le, personne à l’époque, et surtout pas des théologiens, ne croyait que la Terre était plate.

Peu à peu, l’idée d’un Moyen Âge noir et obscurantiste fait son chemin. Il devient un repoussoir pour définir ce qu’on ne veut pas être, le mot moyenâgeux étant le symbole le plus évident de ce glissement de sens.

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