Opinion  Jocelyn Coulon

Les crimes des Saoudiens

Dimanche dernier, le jeune prince héritier saoudien Mohammad ben Salmane a réuni les représentants d’une quarantaine de pays musulmans au sein d’une grande coalition afin de lutter contre le terrorisme. L’initiative a son mérite. Elle permet une mobilisation des esprits et des moyens contre ce fléau. On voudrait croire à son efficacité, si seulement ce bel aréopage avait au moins eu le courage de discuter du comportement terroriste du pays hôte, l’Arabie saoudite.

Vous croyez sans doute que j’exagère ? Jugez-en. Le 4 novembre dernier, le premier ministre libanais Saad Hariri est convoqué à Ryad par le jeune prince. Ce dernier force Hariri à démissionner et à dénoncer la mainmise de l’Iran sur le Liban, ce que le premier ministre, terrorisé, s’empresse de faire lors d’une allocution télévisée digne d’un épisode du Parrain. Hariri a été détenu en captivité pendant 12 jours avant d’être libéré.

Cet acte de gangstérisme, de terrorisme politique, est rare dans les annales diplomatiques. Il en existe un autre aux similarités frappantes. En mars 1939, Adolf Hitler convoque à Berlin le président tchèque Emil Hacha afin de lui annoncer que l’armée allemande s’apprête à envahir brutalement son pays s’il n’accepte pas de capituler immédiatement. Le pauvre homme, au bord de la crise cardiaque, signe la reddition de son pays.

Hariri a sauvé sa peau grâce notamment à l’intervention de la France. Les habitants du Yémen, eux, n’ont pas cette chance. Ils meurent chaque jour par centaines sous les bombes saoudiennes et dans l’indifférence générale.

Le Yémen est aux prises avec une guerre civile dévastatrice alimentée par l’Arabie saoudite et, dans une moindre mesure, l’Iran, les deux parrains des parties en conflit. Ryad a mis sur pied une coalition d’États musulmans afin d’écraser les rebelles pro-iraniens. Cette coalition agit sans mandat de l’ONU, donc illégalement, et prend un malin plaisir à détruire – sous la direction d’officiers américains et britanniques – écoles, hôpitaux, marchés, infrastructures, dans le but de réduire ce pays en poussière.

Une famine criminelle

La situation humanitaire est telle que l’ONU a lancé un appel à l’aide pour acheminer des secours à 20 des 28 millions de Yéménites privés de nourriture et d’eau potable. En fait, l’ONU estime que la guerre et le blocus imposé par l’Arabie saoudite sont en train de provoquer la pire famine jamais vue sur la planète depuis des décennies. Or, historiquement, les famines sont souvent des actes politiques ou militaires destinés à écraser l’adversaire. Ce sont donc des crimes de guerre.

Le président français Emmanuel Macron va-t-il se rendre au Yémen pour sauver d’une mort certaine des millions de Yéménites ? Bien sûr que non. L’Arabie saoudite veille au grain, car, comme je l’écrivais dans ces pages il y a plus d’un an, elle a depuis longtemps acheté le silence des Occidentaux sur ses crimes par ses juteux contrats civils et militaires.

Et cette politique continue. Avant de démissionner il y a quelques semaines, le ministre britannique de la Défense a demandé aux députés de cesser leurs critiques envers l’Arabie saoudite, car cela pouvait mettre en danger un contrat de vente d’avions de combat de 8 milliards de dollars.

Donald Trump en a rajouté lors d’une récente visite en Arabie saoudite où il a signé pour 100 milliards de ventes d’armes. Dans un discours aussi obscène que grotesque, il n’a soufflé mot des violations massives des droits de la personne en Arabie saoudite et a plutôt demandé au monde d’isoler l’Iran, cette « dictature » qui « arme et entraîne des terroristes ».

Et le Canada dans tout cela ? Selon l’ancien diplomate et maintenant chroniqueur Scott Gilmore, aussi conjoint de la ministre de l’Environnement Catherine McKenna, le Canada fait preuve d’un cynisme absolu dans le conflit yéménite. « Il est rare de voir un pays jouer un double jeu comme le fait le Canada au Yémen. Nous armons à la fois les protagonistes d’une horrible guerre civile, et nous offrons notre aide aux victimes », écrit-il dans le Maclean’s de la semaine dernière.

Justin Trudeau, si prompt à pleurer lorsqu’il rend hommage au chanteur canadien Gord Downie mort récemment, ou lorsqu’il présente des excuses officielles aux pensionnaires autochtones de Terre-Neuve-et-Labrador ou aux persécutés des communautés LGBTQ, a-t-il quelques larmes à verser sur ce camp d’extermination qu’est devenu le Yémen et sur les crimes des Saoudiens ? Poser la question, c’est y répondre.

Ce texte provenant de La Presse+ est une copie en format web. Consultez-le gratuitement en version interactive dans l’application La Presse+.