2018, l’année de l’éducation ?

L’éducation semble en passe de devenir une priorité au Québec.

Le vent aurait-il tourné ?

Jusqu’à tout récemment, le chef de la CAQ, François Legault, était le seul politicien à vraiment faire de l’éducation sa priorité. Le gouvernement Couillard, après des coupes regrettables dans le sillage des politiques de rigueur, a changé son fusil d’épaule, choisi lui aussi d’en faire une priorité, avec une réinjection de fonds, l’arrivée d’un ministre, Sébastien Proulx, qui a de grandes ambitions.

Plus récemment, cet intérêt a été mis en relief dans le débat sur l’utilisation des surplus budgétaires, des voix s’étant élevées pour réclamer que la marge de manœuvre aille à l’éducation plutôt qu’aux baisses d’impôt, notamment un éditorial de François Cardinal.

Je ne peux que m’en réjouir. J’ai écrit des dizaines de chroniques sur la question, les résultats scolaires, les écoles privées, la place de l’université, l’importance de l’éducation. Mais je reste inquiet, craignant que l’éducation ne soit la « saveur du mois », que l’opinion politique ne se tourne vers d’autres enjeux, que les politiciens ne soient confrontés à des affaires plus pressantes, surtout s’ils réalisent, en cette année électorale, que le thème n’est pas vendeur.

À mon avis, le véritable virage vers l’éducation ne sera pas durable et ne sera pas sincère tant que deux conditions ne seront pas remplies. La première, c’est que l’on comprenne bien, collectivement, pourquoi l’éducation est si importante. La seconde, c’est qu’on change radicalement notre façon d’aborder cet enjeu, car sinon, nous retrouverons nos vieilles ornières et l’indifférence reprendra le dessus.

Pourquoi est-ce si important ? Parce que l’éducation est un creuset, un point de rencontre, à la fois politique sociale, politique économique et politique d’identité culturelle. Sur le plan social, ça reste l’outil le plus puissant pour assurer un emploi, réduire le chômage, réduire la pauvreté et les inégalités. Sur le plan économique, la formation, l’élévation des compétences sont des déterminants de la croissance et du succès.

C’est aussi par l’éducation que l’on peut renforcer ce qui est au cœur de l’identité québécoise, la maîtrise de la langue.

Encore faut-il que cette passion pour l’éducation, s’il y en a une, s’exprime de la bonne façon. Nous avons souvent tendance, au Québec, à avoir une vision institutionnelle des choses, dans ce cas-ci, à ramener l’éducation au ministère éponyme, à son ministre, à ses établissements, et à mesurer les progrès par l’argent qu’on y consacre, en oubliant que ce qui compte, ce ne sont pas les programmes, les objectifs, les budgets, mais les résultats.

On n’ira pas très loin si on ne sort pas de cette logique en silos pour reconnaître que l’éducation, ce ne sont pas seulement des programmes et des diplômes, mais un état d’esprit, une conception de la société, qui dépend d’un ensemble de mesures, d’attitudes, de pratiques qui feront en sorte que le plus grand nombre de citoyens pourra développer ses aptitudes et exploiter son potentiel au maximum. Cela exige une approche beaucoup plus large, en quelque sorte holistique. C’est un peu abstrait, mais on peut mieux comprendre quand on regarde les enjeux un à un.

L’éducation, ça commence à la maison avec les tout-petits, par les gestes que l’on pose pour les stimuler et leur ouvrir l’esprit.

Ça continue avec nos services de garde dont l’un des objectifs est de stimuler le développement avant l’entrée à l’école. Cette étape, absolument cruciale, ne relève pas du ministère de l’Éducation, mais de celui de la Famille. Les interventions auprès des familles à risque relèveront du ministère de la Solidarité sociale, de groupes communautaires, d’organismes à but non lucratif, comme la fondation Chagnon.

On arrive ensuite au réseau scolaire proprement dit, de la maternelle au secondaire. Mais d’importants volets du processus d’apprentissage, complémentaires à l’éducation scolaire, et souvent essentiels pour la réussite, reposeront sur d’autres outils – sport, loisirs, culture, activités d’encadrement, qui dépendent d’une multitude d’organismes et souvent des municipalités. Des enjeux majeurs échappent en grande partie au Ministère lui-même, à commencer par le drame du décrochage, où les interventions les plus déterminantes se font souvent hors réseau – je pense au rapport de Jacques Ménard, un financier –, au rôle des organismes communautaires – comme l’Ancre des jeunes –, à l’implication du milieu – comme le modèle réussi du Saguenay–Lac-Saint-Jean avec le Conseil régional de prévention de l’abandon scolaire.

Plus tard, quand on arrive aux cégeps et aux universités, on change de ministre, celle de l’Éducation supérieure, mais des éléments déterminants du succès de nos établissements dépendront du maillage avec les entreprises, des campagnes de financement, des politiques de recherche, qui relèvent beaucoup du ministère de l’Économie, mais aussi du gouvernement fédéral, très présent en éducation supérieure, des politiques scientifiques, tant fédérales que provinciales, parfois même des relations internationales, qu’on pense à l’Office franco-québécois pour la jeunesse.

N’oublions pas non plus qu’un pan majeur d’un système complet d’éducation, la formation professionnelle, se fait souvent à l’âge adulte, souvent avec les entreprises, avec d’autres maîtres d’œuvre, comme la Commission des partenaires du marché du travail, qui relève du ministère de l’Emploi et de la Solidarité sociale, tout comme les politiques de réinsertion, par exemple le programme Objectif emploi pour les bénéficiaires de l’aide sociale. Tandis que la prise en charge des immigrés, et leur francisation, dépendra du ministère de l’Immigration.

Bref, de l’éducation, il y en a partout. Et pour fédérer tout cela, pour en faire un projet cohérent, il faut beaucoup de volonté, il faut une vision qui dépasse largement le mandat du seul ministère de l’Éducation.

Si cela n’a pas été fait jusqu’ici, ce n’est pas seulement la faute des politiciens. Les Québécois, surtout francophones, n’ont pas fait de l’éducation une grande priorité. Cela se voit entre autres à notre trop grande tolérance à l’égard du décrochage.

Il est donc difficile pour le monde politique de miser sur cet enjeu qui n’enflamme pas les électeurs. Mais pour briser ce cercle vicieux, il faut commencer quelque part, et pour cela, il faut du courage politique.

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