Entrevue avec John Saul

Éloge des autochtones

Depuis près d’une vingtaine d’années, John Ralston Saul s’intéresse à l’apport autochtone à l’identité canadienne. L’essayiste ontarien revient sur le thème avec son dernier livre, Le grand retour, qui affirme que les autochtones sont en bien meilleure position qu’on ne le croit. La Presse l’a rencontré hier lors d’un passage à Montréal pour la promotion de son essai.

Pourquoi avoir écrit Le grand retour ?

Il fait partie d’une série de livres sur la mythologie de la narration, ce que c’est que de vivre ici. Notre plus grand problème, c’est que nous avons toujours la narration mise en place dans la deuxième moitié du XIXe siècle, la culture impériale sortie de l’Europe. En réalité, pendant les 250 premières années du pays, nous avons été plus influencés par les autochtones que par l’Europe.

Comment pouvez-vous dire que les autochtones vont mieux qu’on ne le pense, avec toutes les histoires de maladies infectieuses, l’abus de drogue, la violence contre les femmes ?

Avec le mouvement Idle No More, on a vu de jeunes autochtones reprendre en main leur vie, avec un désir de changer les choses, de les améliorer, une fureur devant les choses qui ne vont pas bien. En parallèle, on voit des ententes d’un nouveau genre, imparfaites, mais des pas en avant, comme la convention de la Baie-James, le Nunavut, la Paix des Braves, l’entente avec les Nishgaas. Ça me rappelle la jeunesse québécoise des années 60. Le problème, c’est que contrairement au Québec, Ottawa n’a pas abandonné l’approche traditionnelle voulant que si on accorde quelque chose aux autochtones, ceux-ci doivent abandonner certains de leurs droits. Depuis un siècle, les autochtones sont passés d’un creux démographique de 150 000 personnes à plus de 2 millions aujourd’hui, l’un des plus grands groupes culturels du pays.

Vous faites un rapprochement entre Idle No More, le mouvement Occupy et la grève étudiante de 2012 au Québec. Ces mouvements sont-ils vraiment la preuve que la population est prête pour un changement ?

Je ne suis pas certain qu’Occupy, par exemple, ait été un échec. Quand on voit des gens braver l’hiver au Canada pour faire valoir leur point de vue, comme Occupy ou Idle No More, ça veut dire que les choses changent. Si on n’écoute pas ces gens, on ne sait pas ce qui surviendra. Mussolini était au départ de gauche. Si Donald Trump devient président aux États-Unis, il pourrait y avoir une explosion de nature inconnue.

Sur le plan de la santé, n’y a-t-il pas un problème avec le désir des autochtones de renouer avec leur médecine traditionnelle ?

On parle de deux cas montés en épingle d’enfants qui n’ont pas été soignés pour cette raison. Quand il y a eu la crise de l’eau potable à Walkerton, en Ontario, en 2000, on a mis les sommes nécessaires pour régler le problème. On n’a pas demandé aux gens de Walkerton de changer de maire. Mais devant le même problème chez les autochtones, dont seulement la moitié ont l’eau potable chez eux, on dit que leurs dirigeants et leur démocratie manquent de transparence. C’est la même chose en éducation, on écrit sans arrêt sur le décrochage ou les suicides, mais on dépense 30 % moins par enfant autochtone que pour les Blancs [l’Assemblée des Premières Nations avance les mêmes chiffres]. Et nous sommes le seul pays nordique à ne pas avoir d’université dans le Nord.

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