AURORES BORÉALES

Terre d’aurores

YELLOWKNIFE — Les nuits d’hiver sont longues dans les Territoires du Nord-Ouest, mais elles sont rarement noires.

Dans ce vaste territoire du Nord canadien, la beauté du ciel compense le froid mordant et la rareté du soleil. Par temps clair, le spectacle est assuré : la Voie lactée largement déployée et, presque toujours, des aurores boréales qui viennent danser.

Astronome au Planétarium de Montréal, Sébastien Gauthier a grandi sous les aurores, à Matagami, à la Baie-James. C’est toutefois près de Yellowknife, la capitale des Territoires du Nord-Ouest, qu’il a choisi de planter sa caméra pour tourner le documentaire aurōrae, actuellement à l’affiche sous le dôme du Planétarium.

C’est en effet dans ce coin de la planète que les aurores sont les plus fréquentes, les plus intenses et les plus faciles à observer.

240

À Yellowknife, les aurores sont visibles en moyenne 240 nuits par année, de la mi-août à la mi-avril. Par temps clair, en hiver, les chances d’en voir sont de 90 %.

La situation géographique de Yellowknife lui confère un avantage considérable sur les autres villes nordiques d’Europe ou même d’Amérique. « Yellowknife est située directement sous l’ovale auroral, où les probabilités de voir des aurores sont les plus élevées, explique Sébastien Gauthier. L’autre aspect à considérer est la météo ; il faut un ciel clair pour observer les aurores. Or, les Territoires du Nord-Ouest sont privilégiés, car ils reçoivent très peu de précipitations. Le ciel est souvent dégagé, sans couvert nuageux. Et comme le climat est sec, le ciel est transparent. Les aurores apparaissent avec plus de netteté. »

Sébastien Gauthier a passé 10 nuits à Yellowknife pour tourner aurōrae ; il a vu des aurores chaque soir. Et quelles aurores ! « Rien à voir avec celles que j’avais vues jusqu’alors. Dans le Sud, les aurores apparaissent à l’horizon. À Yellowknife, elles sont partout au-dessus de nos têtes. La différence est aussi grande que pour quelqu’un qui connaîtrait la neige et qui, un jour, se retrouve pour la première fois dans une tempête. J’avais vu neiger, mais dans les Territoires du Nord-Ouest, j’ai vu une tempête ! »

UNE VILLE ET SON CIEL

L’ovale auroral ne se limite pas à Yellowknife et ses environs ; d’autres communautés des Territoires du Nord-Ouest et du Yukon profitent d’excellentes conditions d’observation. Le hic : elles sont pour la plupart difficiles d’accès et ne disposent pas forcément d’infrastructures pour accueillir des touristes.

Dans la capitale des Territoires du Nord-Ouest, les restaurants, les hôtels et les bars sont nombreux et animés, surtout en hiver, quand les touristes arrivent en masse, attirés par les lumières du Nord.

Tous ces bâtiments éclairés, ces feux de circulation, ces réverbères pourraient masquer les aurores ; ils en atténuent l’éclat, mais ne les chassent pas complètement. Nous en avons eu la preuve un soir, alors que le ciel au-dessus de Yellowknife s’est rempli de draperies vertes et mouvantes.

Quelques personnes (des touristes, un photographe, une journaliste !) ont grimpé jusqu’au Monument des pilotes, qui surplombe la vieille ville. Sur le Grand Lac des Esclaves, on a vu des voitures s’éloigner de la ville par la route de glace pour s’arrêter au milieu de la baie. Pas besoin d’aller très loin ; quelques kilomètres suffisent pour diminuer l’impact des lumières de la ville. Il était 17 h et nombre de travailleurs rentraient simplement chez eux, sans trop lever les yeux. Pas qu’on se lasse des aurores, mais s’il fallait chaque fois s’empêcher de dormir…

Ce soir-là, les lumières ont dansé plusieurs minutes avant de disparaître dans une noirceur on ne peut plus banale. On a cru à la fin du spectacle, il s’agissait plutôt d’un entracte prolongé.

Autour de minuit, les cieux se sont déchaînés. Nous nous trouvions alors à 30 minutes de route de Yellowknife. Des volutes phosphorescentes d’un vert intense ont embrasé le ciel. Elles roulaient comme des vagues, changeant sans cesse de rythme, de forme et même de couleur (ce qui est plutôt rare). Des touches de rose sont apparues au milieu du vert. Une longue bande rayée s’est mise à clignoter comme des touches de piano activées par un géant particulièrement inspiré. À un moment, des sphères lumineuses (semblables aux sept boules de cristal dans Tintin) ont tourbillonné à la frange d’un long serpent vert.

Parole de journaliste, j’ai rarement vu spectacle aussi grandiose. Le ciel au complet semblait s’agiter. La légende veut que lorsqu’on siffle, on attise les aurores. Pas besoin, les aurores arrivaient de partout, du nord, du sud, de l’est, de l’ouest. Elles fusionnaient, se séparaient au-dessus de nos têtes. Il fallait s’étendre sur le sol gelé pour ne rien rater. Et encore.

Devant un spectacle à si grand déploiement, on passe de la frénésie à la stupéfaction. Certains crient, d’autres restent bouche bée. Moi, j’avais les larmes aux yeux. Trois fois, j’ai visité le nord du Québec ou du Canada dans l’espoir d’apercevoir les aurores. J’étais chaque fois rentrée bredouille.

IMPRÉVISIBLE SPECTACLE

Les scientifiques ont beau en savoir de plus en plus sur les aurores, elles restent imprévisibles. Certes, des satellites sont maintenant capables de capter sur la face cachée du Soleil les éruptions qui causeront plus tard des aurores, des chercheurs peuvent calculer les probabilités d’observation pour telle ou telle soirée. Des statistiques tendent à montrer qu’elles sont plus fréquentes entre 23 h et 1 h. Reste que les lumières du Nord peuvent apparaître sans prévenir et s’évanouir aussi vite, éclipsées par un simple nuage. Le phénomène peut durer quelques minutes ou quelques heures.

C’est sans doute ce qui les rend si précieuses pour ceux qui ont le bonheur de les observer.

Une partie des frais de voyage de ce reportage ont été payés par Northwest Territories Tourism.

AURORES 101

Non, les aurores boréales ne sont pas causées par les reflets du Soleil sur les glaciers (comme le croient encore certains). Elles sont plutôt provoquées par la collision entre des particules électriques venues du Soleil et les gaz de la haute atmosphère terrestre. Lorsque des éruptions surviennent à la surface du Soleil, des particules sont éjectées puis transportées par le vent solaire. Certaines sont dirigées vers la Terre. Guidées par le champ magnétique de notre planète, elles forment un anneau autour de chaque pôle. C’est ce qu’on appelle l’ovale auroral. Lors d’activités solaires très intenses, cet ovale peut s’agrandir, parfois jusqu’au sud des États-Unis.

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