Décryptage

Les limites du populisme

Et si l’année 2019 était celle où la vague de populisme qui déferle sur la planète allait connaître ses premiers signes d’essoufflement ?

Le nombre de gouvernements dirigés par des partis affichant un populisme carburant au nationalisme exacerbé et au rejet de la diversité n’a jamais été aussi élevé sur la planète. En 1990, on en dénombrait quatre. Aujourd’hui, ils sont une vingtaine, soit cinq fois plus, constate l’Institut pour le changement global de Tony Blair dans une récente analyse.

Selon cette même étude, les populistes remportent des gains aujourd’hui non seulement en Amérique latine et en Europe de l’Est, où la tendance n’est pas nouvelle, mais aussi en Asie et en Europe occidentale, dans des pays importants campés dans de fortes traditions démocratiques.

Bref, le populisme a le vent dans les voiles. Et pourtant, depuis l’automne dernier, quelques signaux indiquent qu’il n’est pas invincible.

Prenez l’Inde, où le parti BJP (Bharatiya Janata Party) de Narendra Modi, qui prône un hindouisme intolérant, a reçu une série de gifles électorales dans des élections régionales à la mi-décembre.

Le BJP a perdu le pouvoir dans trois États importants, incluant le Rajasthan, où des hindous extrémistes avaient mené une campagne de terreur soi-disant pour protéger le caractère sacré des vaches.

Ce n’est pas nécessairement cette campagne de haine qui a détourné les électeurs du BJP, mais des politiques économiques qui ont cruellement frappé ses électeurs traditionnels, notamment chez les paysans, signale Narendra Subramanian, spécialiste de l’Inde et professeur de science politique à l’Université McGill.

Au cours des dernières années, Delhi a notamment sabré l’aide aux agriculteurs, qui représentent la moitié de la main-d’œuvre du pays, note Narendra Subramanian.

Une réforme monétaire menée il y a deux ans a aussi durement éprouvé les familles. Résultat : le BJP a perdu des appuis même chez les nationalistes hindous.

Le fait que les forces de l’opposition se soient rassemblées pour faire face au BJP a aussi écorché ce parti.

Mais peu importe les raisons, le parti de Narendra Modi risque d’arriver aux élections nationales d’avril en position de faiblesse. « Je crois que ce scrutin sera très serré », prévoit Narendra Subramanian, selon qui le BJP pourrait se retrouver minoritaire, voire carrément perdre le pouvoir. Dans les deux cas de figure, cela pourrait signifier la fin de ses politiques restrictives ciblant les minorités religieuses, particulièrement les chrétiens et les musulmans. À suivre en avril, donc.

Des revers chez les ultraconservateurs polonais

Autre développement indiquant peut-être un changement d’humeur électorale : les élections municipales d’octobre dernier en Pologne. Même si le parti ultraconservateur Droit et Justice (PiS) est arrivé en tête à l’échelle nationale, l’opposition libérale lui a infligé des camouflets magistraux dans les plus grandes villes du pays, notamment à Varsovie, à Lodz et à Lublin.

Arrivé au pouvoir en octobre 2015, le PiS avait rapidement lancé une série de réformes visant à affaiblir les tribunaux et d’autres contre-pouvoirs ainsi qu’à prendre le contrôle de plusieurs institutions nationales. Un projet de réforme de la Cour suprême a entraîné un bras de fer entre l’Union européenne et la Pologne, forçant celle-ci à faire marche arrière.

Globalement, le PiS a poursuivi le modèle de « démocratie illibérale » construit par Viktor Orban en Hongrie.

Le recul du PiS aux élections locales ne signifie pas automatiquement qu’il est en voie de perdre les législatives de l’automne 2019, voire la présidentielle du printemps 2020. Mais il indique clairement une baisse de popularité qui pourrait se traduire lors des prochaines épreuves électorales, sur la scène nationale.

Le camp pro-Brexit divisé

Troisième exemple : les mouvements populistes qui ont milité en faveur du Brexit en Grande-Bretagne piquent du nez eux aussi. Les slogans simplistes de l’UKIP, parti pour l’indépendance du Royaume-Uni, qui promettait une séparation facile, se sont heurtés au mur de la réalité : le pays est plutôt empêtré dans une impasse, alors que les modalités du divorce ne sont toujours pas établies.

« Aujourd’hui, l’UKIP a pratiquement disparu comme force politique, et le camp pro-Brexit apparaît divisé et incapable de réussir quoi que ce soit », résume Frédéric Mérand, spécialiste de la politique européenne au Centre d’études et de recherches internationales de l’Université de Montréal.

Cela ne signifie pas que le discours populiste isolationniste soit mort et enterré en Grande-Bretagne. Mais qu’un éventuel deuxième référendum sur le Brexit n’aboutirait peut-être pas au même résultat.

Et puis, il y a les récentes élections de mi-mandat qui ont redonné la majorité aux démocrates à la Chambre des représentants tout en faisant souffler un vent de fraîcheur à Washington.

Il reste toutefois quelques pas à franchir avant d’affirmer que les populistes sont sur la voie du déclin, avertit Frédéric Mérand. La tendance est lourde. « Il faudra composer longtemps avec cette force politique », prévoit le politologue.

Mais cela montre à tout le moins que cette force n’est pas indélogeable. Et qu’elle pourrait connaître de nouveaux revers en 2019.

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