Saint-Joseph-de-Sorel

« Notre richesse et notre inconvénient »

Le territoire de Saint-Joseph-de-Sorel fait un peu plus de 3 km carrés, dont la moitié est occupée par des industries lourdes. À lui seul, le complexe de Rio Tinto Fer et Titane (RTFT), avec ses multiples usines, ses installations portuaires et plus d’une centaine de cheminées qui crachent jour et nuit, domine le paysage. De là à dire que Saint-Joseph-de-Sorel est un greffon de RTFT, il n’y a qu’un pas.

« Je suis fier de dépendre de Rio Tinto Fer et Titane. T’aimerais pas ça, avoir une belle usine de même chez vous qui te rapporte des millions de dollars en taxes ? » Celui qui parle ainsi est le maire de Saint-Joseph-de-Sorel depuis 40 ans, Olivar Gravel. Pour lui, RTFT est « le pilier de la région ».

Il est vrai que les revenus de Saint-Joseph-de-Sorel proviennent à 80 % des taxes que verse le complexe métallurgique de Rio Tinto Fer et Titane et des autres industries comme les Forges de Sorel. « C’est notre richesse et notre inconvénient en même temps parce que c’est vrai, il y a de la pollution : de la poussière, du transport lourd, du bruit et surtout du SO2 », reconnaît M. Gravel.

Les usines de RTFT rejettent 10 000 tonnes par année de dioxyde de soufre (SO2) dans l’atmosphère. Et c’est sans compter la fine poussière noire qui fait partie de l’air ambiant, noircit les maisons, éloigne les moustiques l’été et recouvre la neige l’hiver.

Chez Rio Tinto Fer et Titane, on met surtout l’accent sur la nouvelle usine de récupération des émissions de SO2, un investissement qui fait suite à un resserrement des normes environnementales, en 2011, avec le nouveau règlement de l’assainissement de l’atmosphère. L’usine est actuellement en rodage. Elle fonctionnera à plein régime d’ici un mois. Toute la pollution ne sera pas éliminée pour autant : 3000 tonnes de SO2 vont continuer annuellement à sortir des cheminées de l’entreprise.

POUSSIÈRE ET ODEUR PERSISTANTES

Quant à la provenance de la poussière fine que les vents soufflent régulièrement vers le secteur habité de la municipalité, RTFT ne se prononce pas. « La source de la poussière est complexe », dit-on avec beaucoup d’hésitation en soulignant que cela provient de moins en moins des cheminées et davantage de la circulation sur les lieux.

Une visite de ce site immense, grand comme 100 terrains de football, donne quelques réponses. RTFT entrepose à ciel ouvert des amoncellements de matière première recouverts d’une bâche. On retrouve également de gros amas de charbon qu’un opérateur de pelle mécanique déplace et mélange selon les besoins d’une des usines. Cette activité soulève beaucoup de poussière de charbon, tout comme le fait le passage des camions surdimensionnés qui trans-portent le minerai.

Sur place, une odeur persistante pique un peu le nez même une dizaine de degrés Celsius au-dessous de zéro. Dans la ville, les citoyens qui sont incommodés peuvent se plaindre ; une ligne téléphonique leur est réservée. Année après année, RTFT nettoie à ses frais quelque 350 maisons sur lesquelles la poussière est restée collée.

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Saint-Joseph-de-Sorel se classe au dernier rang au Québec pour sa qualité de l’air, qui était jugée mauvaise une journée sur trois en 2013. 

Les données pour 2014 sont en cours d’évaluation au ministère de l’Environnement et ne seront rendues publiques qu’à l’été.

Pour ce qui est de la santé des résidants de la région, les statistiques ne sont guère plus reluisantes. Les hospitalisations pour des problèmes de santé pulmonaire sont « significativement » supérieures à ce que l’on constate dans le reste du Québec, soulignent les données de l’Agence de santé et services sociaux de la Montérégie.

« IL Y A MOYEN DE VIVRE ENSEMBLE »

Le maire Gravel a d’abord exprimé des doutes sur les problèmes de santé de la population avant de reconnaître du bout des lèvres que « la situation » lui avait été exposée. Mais qu’importe, Olivar Gravel défend et promeut Rio Tinto Fer et Titane comme aucun des quatre porte-parole rencontrés n’a réussi à le faire. Il parle avec emphase des efforts de l’entreprise, de son écoute et de sa grande collaboration. « Il y a moyen de vivre ensemble », dit-il.

Sa fierté devant le complexe métallurgique est partagée par la population, affirme M. Gravel. Mais du même souffle, il admet que très peu de résidants de Saint-Joseph-de-Sorel travaillent dans les usines. « Ça prend un secondaire 5 », laisse-t-il tomber.

La population de Saint-Joseph-de-Sorel est composée à 50 % de personnes âgées, de bénéficiaires de l’aide sociale ou de travailleurs aux revenus modestes, explique le maire. Selon lui, sa municipalité est devenue « un lieu de transition » parce que l’expansion des usines a repoussé les résidants de plus en plus loin, en périphérie de Saint-Joseph-de-Sorel. Aujourd’hui, la ville compte 1600 personnes.

Chez RTFT, on donne l’assurance que la population est bien informée. On dit opter pour « la transparence » et les bonnes relations avec la communauté.

Et si l’usine fermait ou déménageait ses activités ?, demande La Presse de façon tout à fait hypothétique. Le maire Gravel reçoit la question comme un coup de poing à l’estomac. Avec un mouvement de recul, il s’exclame : « C’est impensable ! On crèverait. Saint-Joseph dépend de Rio Tinto », affirme-t-il.

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