Monsieur l’inspecteur

Bon flip, bad flip

Jen et Alexandre cherchaient une maison à étage sur le Plateau Mont-Royal. Ils sont d’abord tombés sur un très mauvais flip, avant de trouver une perle. Récit de deux inspections.

BAD FLIP

C’était un tout petit duplex du Plateau, fraîchement converti en maison à étage. Un flip dans son expression la plus classique : pas de travaux à l’extérieur, entièrement refait à neuf à l’intérieur.

Ni le propriétaire ni son courtier ne sont présents à l’inspection préachat. L’ami qu’ils ont délégué n’a que de vagues réponses à nos nombreuses questions.

Avant même l’arrivée des acheteurs potentiels, Jen et Alexandre, je note au coin gauche de la façade de brique une fissure en diagonale allant en s’élargissant. Alerte rouge ! Sûrement un signe que la fondation s’affaisse. Un expert devra investiguer.

Le mur latéral est recouvert de crépi, sur lequel je vois de nombreuses fissures et un inquiétant bombement. Le crépi est souvent utilisé pour cacher les vieux murs de brique en mauvais état.

La brique derrière le crépi est structurelle, nous informe l’ami du propriétaire. Il ne s’agit donc pas que d’un parement ; la structure du plancher de l’étage est ancrée dans ce mur. Si le bombement n’a pas un impact seulement sur le crépi qui se décolle, il y a un véritable risque que la maison s’affaisse. Pour en avoir le cœur net, il faudra faire retirer une partie du stuc.

L’âge de la toiture d’asphalte et de gravier était inconnu, mais je lui aurais donné au moins 50 ans. Boursoufflures, crêtes, craquelures et amples réparations de piètre qualité. Elle est à remplacer.

À l’intérieur, le coup d’œil sur les matériaux tout neufs est agréable, mais on déchante vite. Une grande armoire de la cuisine est dotée de tiroirs qui ne s’ouvrent pas, puisque sa porte se heurte au frigo. Ce dernier est si à l’étroit que sa porte a elle aussi du mal à s’ouvrir complètement.

La poignée du robinet du bain me reste dans la main. La toilette fuit dans le vide sanitaire, qui est complètement jonché de rebuts de rénovations.

Les fondations sont isolées à l’uréthane giclé, donc impossible d’en apprécier l’état. Dans ce bâtiment construit vers 1910, le plancher du rez-de-chaussée est en partie sous le niveau du sol. L’uréthane risque de retenir l’humidité et de faire pourrir le bois de la structure.

L’inspection s’est terminée abruptement, chacun devant retourner à son parcomètre. Le lendemain, j’envoie le rapport d’inspection, avec sa longue liste de défauts et de mises en garde. « Merci, c’est très clair. On aura besoin de vos services encore si on trouve quelque chose qui fait notre bonheur », me répond Alexandre.

BON FLIP

Deux semaines plus tard, Jen et Alexandre ont trouvé un autre petit duplex converti en maison à étage, toujours sur le Plateau Mont-Royal.

Cette fois-ci, le propriétaire est sur place pour expliquer tous les travaux. Alex Santori a « flippé » plus de 25 maisons avec son père, mais celle-ci, il l’a faite pour lui. Il l’habite depuis trois ans.

La maison à étage est minuscule, mais magnifiquement bien aménagée. Planchers de merisier, comptoir en quartz, armoires de thermoplastique, colonnes et poutres en pruche.

« Je me suis gâté. Je l’ai fait en pensant à mon confort, à celui de mon épouse et de nos futurs enfants », raconte Alex Santori. La seule modification faite expressément pour la revente est la conversion d’un bureau en troisième chambre à coucher.

Qu’il s’agisse d’un flip ou non, l’acheteur en a toujours plus pour son argent quand le vendeur a rénové pour se faire plaisir plutôt que pour la revente rapide.

Les « flippeurs » cherchent habituellement à dépenser le moins possible. Souvent, ils affirment avoir fait les travaux dans le but d’y habiter eux-mêmes, mais ce n’est pas toujours vrai.

Les meilleurs flips concernent les maisons qui ont été habitées avant d’être mises en marché. Les premiers problèmes ont été corrigés, les travaux de finition sont terminés et la consommation d’énergie est connue pour au moins un hiver.

Mon inspection chez Alex Santori s’est déroulée comme un charme. Nous avons discuté le pour et le contre de certains choix de matériaux, puis j’ai exprimé quelques mises en garde sur les problèmes possibles dans les portions du vide sanitaire qui n’étaient pas accessibles.

Jen et Alexandre ont emménagé au cours de l’été. Ils sont ravis de leur achat.

Ce texte provenant de La Presse+ est une copie en format web. Consultez-le gratuitement en version interactive dans l’application La Presse+.