DAVID BOUCHET

Prendre racine

Soleil

David Bouchet

La Peuplade, 305 pages

Une histoire de migrants. Synonyme de tristesse, comme des millions d’autres que l’on voit aux actualités en ce moment. Mais celle-ci est vue, vécue et vaincue par un courageux enfant sénégalais.

Soleil, c’est Souleymane Gueye. C’est comme ça que l’appelle son amie Charlotte. L’amitié sincère et sans préjugés que vivent ces deux enfants est à l’image du premier roman de David Bouchet, né en France, ayant passé toute sa vie au Sénégal et résidant à Montréal depuis cinq ans.

Cette vie de bougeotte est à l’origine de l’histoire touchante de Soleil et de sa famille sénégalaise qui s’installe au Québec. L’enracinement sera ardu, surtout pour le père, qui souffrira de troubles mentaux. Mais le grand cœur de Soleil change le cours des choses.

« C’est un préado bien allumé, explique David Bouchet. Il se pose des questions auxquelles il ne trouvera réponse que plus tard à travers l’expérience de ses parents. Il a une certaine candeur. Ça m’a permis d’entrer dans un sujet grave sans être misérabiliste. »

David Bouchet avait auparavant écrit de courtes histoires à Dakar, publiées dans le journal… Le Soleil ! Un vrai de vrai Sénégalais parlant wolof… mais blanc.

« J’ai fait mon primaire, mon secondaire et mon école de la rue au Sénégal. Mes parents étaient très ouverts. C’étaient des aventuriers. Mon père porte ses racines dans sa mallette. Il les plante un peu partout où il trouve son bonheur. J’ai grandi dans un quartier très multiculturel à Dakar. »

Il a tourné un court métrage, Dakar Bel-Air, et écrit le scénario d’un long, La pirogue, remarqué à Cannes en 2012, qui traitait de migrants ouest-africains tentant de rejoindre l’Europe en bateau. Immigrer, il connaît.

Son roman sort au moment où le sujet est sur toutes les lèvres. D’un côté, il faut combattre la peur de la différence. Mais l’ouverture doit se pratiquer dans les deux sens, dit-il.

« C’est sûr que ceux qui nous accueillent y sont pour quelque chose. Au Québec, les gens savent accueillir, ils sont curieux, serviables. Mais il y a des gens qui viennent ici avec des préjugés et ils ne s’ouvrent pas. C’est dans la tête, quoi ! Qui dit déracinement dit enracinement. C’est une belle société ici où il y a encore plein de choses à faire. L’intégration, c’est un état d’esprit. »

CREUSER SON TROU

Dans son roman, la peur de l’inconnu se trouve transcendée par le regard de l’enfant, par la générosité de son esprit ouvert à tout vent, au contraire de son père, qui perd les pédales et s’enferme dans le sous-sol de la maison pour y creuser un trou.

« J’ai l’habitude de dire qu’on a tous un problème mental. Il suffit d’un rien parfois pour basculer ou continuer d’aller bien. Ce sont ses enfants qui vont lui ouvrir les portes du Québec où il pourra faire son trou, mais un vrai, pour y mettre ses racines. »

Dans Soleil, David Bouchet pose un regard qui se veut neutre sur les questions d’identité, d’immigration et de racisme. Il observe, fasciné, comme son personnage principal.

« Je n’ai pas abordé de front le racisme, mais je l’ai évoqué. Ça existe dans tous les pays. »

— David Bouchet

« On ne peut pas ignorer cette question. Elle est présente. Ma femme est noire. Même en Afrique, il est difficile d’être noir. Le racisme existe là aussi. Ici, ce n’est pas apparent ni violent. C’est moins pire qu’en France. »

RACINES

Le romancier a beaucoup voyagé avant de s’enraciner avec bonheur ici en compagnie de ses trois enfants et de sa femme qui, la première, a trouvé du travail à Montréal. Le roman souligne d’ailleurs le courage de la mère de Soleil.

« C’est une battante, un socle pour cette famille. Elle ne baisse jamais les bras. Ç’aurait été plus simple de retourner au pays, mais elle décide de continuer contre vents et marées. Au Sénégal, on a cette culture de la résilience, de l’acceptation. On accepte le chemin qui se pose devant nous. Les difficultés, on les affronte, mais on ne va pas en faire grand cas. On sait qu’un jour, on s’en sortira. »

Pour sa part, Soleil n’était pas encore sorti que la maison d’édition La Peuplade annonçait sa traduction en anglais chez Véhicule Press.

David Bouchet peut ainsi rêver de poésie et d’un deuxième roman qui poursuivra la réflexion sur la migration et l’identité. 

« Et si un producteur est intéressé par Soleil, j’ai de l’expérience comme scénariste… »

EXTRAIT

Soleil, de David Bouchet

« Car les Québécois, ils ont facilement peur. Et ce n’est pas une peur normale, comme des monstres ou de la mort. C’est une peur de fondre. Malgré le froid. P’pa nous a dit ça, c’est une peur de se dissoudre comme un cachet dans l’eau, et c’est très compliqué de l’expliquer ou de la comprendre parce qu’elle n’est pas reconnue comme les autres. Et pourtant, beaucoup d’Africains l’ont connue, cette peur, beaucoup d’humains à travers la planète. Avec cette peur, on ne fait pas de grimaces ou de tremblements de mâchoire, on ne devient pas bleu quand on est blanc. Ce n’est pas physique. C’est une peur cachée qui coule avec le sang dans les veines et qui irrigue leur cœur. “C’est une vraie peur sauvage”, dit P’pa, une peur préhistorique qui date de très longtemps. La peur de disparaître. C’est la même peur que les Amérindiens (moi, je croyais que c’était “les amers Indiens” au début et je ne comprenais pas si c’était une histoire de goût ou de caractère), et je comprenais ce que P’pa me disait quand il parlait du problème de fondre. Parce que les Amérindiens (ici, on dit aussi “Premières Nations” ou “Autochtones”), qui sont ceux qui ont vraiment découvert Christophe Colomb, se sont fait dissoudre aussi par la colonisation des Blancs. Et voilà pourquoi les Québécois ont peur. »

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