Transferts en santé

Ottawa envisage des ententes individuelles pour chaque province

Le gouvernement Trudeau envisage une nouvelle version du « fédéralisme asymétrique » : plutôt que de simplement bonifier les transferts fédéraux en santé, Ottawa souhaite conclure des ententes individuelles « dans des domaines spécifiques » avec chaque province.

Le gouvernement Trudeau n’a pas pris de décision définitive quant à savoir s’il haussera les transferts fédéraux en santé de 3 % à 6 % par an à partir de 2017-2018, mais la ministre fédérale de la Santé Jane Philpott estime qu’il « est possible » pour les provinces de gérer leurs systèmes de santé avec une hausse des transferts fédéraux de 3 % par an (de 3 % à 4 % selon la croissance économique), la formule décidée par le gouvernement Harper. Les transferts fédéraux en santé ont été augmentés de 6 % par an depuis 2004.

« Au lieu de rajouter de l’argent pour relever les défis, nous devons trouver une façon d’innover […] C’est possible de le faire [avec une hausse des transferts fédéraux de 3 % par an]. Le défi à long terme n’est pas tant une question d’argent, mais comment nous développerons un système plus efficace, mieux intégré. [...] Il y a plusieurs pays qui livrent des meilleurs soins avec des meilleurs résultats et qui dépensent moins d’argent que nous. », dit la ministre Philpott en entrevue à La Presse.

Selon la ministre Philpott, les nouvelles sommes investies en santé par le gouvernement Trudeau ne seront « probablement pas associées avec le transfert canadien sur la santé ». Le gouvernement Trudeau envisage d’injecter de l’argent frais en santé « dans des domaines spécifiques » par l’entremise d’ententes individuelles avec chaque province. « Nous aurons des ententes bilatérales avec chacune des provinces, dit la ministre Philpott. C’est ce que je suppose, mais nous n’avons pas pris de décision finale. »

Ce serait une nouvelle version du « fédéralisme asymétrique », puisque toutes les provinces auraient leur entente individuelle en fonction des objectifs communs chers aux libéraux fédéraux comme les soins à domicile, la santé mentale, l’accès aux médicaments et les soins palliatifs. Ottawa ne s’attend pas à un choc avec Québec. « En réalité, toutes les provinces ont relativement pris leurs propres décisions sur la façon d’utiliser l’argent », dit la ministre Philpott.

LES PROMESSES DES LIBÉRAUX

Les provinces feraient-elles donc mieux de ne pas compter sur une hausse des transferts de 6 % par an ? La ministre Philpott a transmis cette question au ministre fédéral des Finances Bill Morneau, qui n’a pas commenté hier.

Mais selon la ministre Philpott, les défis des systèmes de santé au pays ne sont pas seulement financiers. « Alors que nous nous préparons à investir dans des domaines spécifiques et que les transferts canadiens en santé vont certainement augmenter d’au moins 3 % l’an prochain [2017-2018], les changements à apporter au système de santé ne sont pas seulement une question d’argent », dit-elle.

Ottawa estime qu’il faut « trouver d’autres façons de livrer de meilleurs services », notamment en privilégiant les soins à domicile et le rôle des médecins de famille plutôt qu’axer le système sur les soins à l’hôpital.

En campagne électorale, Justin Trudeau avait promis d’investir 2,95 milliards sur quatre ans pour les soins à domicile, la santé mentale, l’accès aux médicaments et les soins palliatifs. « [Les provinces] savent les domaines où nous avons fait des promesses aux Canadiens », dit la ministre Philpott, qui dit « appuyer le fédéralisme asymétrique » et ne pas vouloir imposer de conditions aux provinces. Mais sa conception du fédéralisme asymétrique diffère de celle du gouvernement libéral de Paul Martin, qui avait signé en 2004 une entente sur la santé avec le Québec et une autre avec les reste des provinces (les deux ententes étaient similaires).

Ottawa s’attend-il à un choc avec Québec ? En avril dernier, le ministre québécois de la Santé Gaétan Barrette estimait que « ce n’est pas le rôle » du fédéral de développer des programmes en santé. La ministre Philpott a bon espoir de pouvoir « appuyer les initiatives souhaitées [par Québec]. […] Nous nous sommes entendus [en janvier avec les provinces] sur un nombre de priorités que nous partageons. Le ministre québécois de la Santé convient qu’il est intéressant de collaborer avec nous dans ces domaines », dit la ministre Philpott.

FRAIS ACCESSOIRES :  UN AVERTISSEMENT À QUÉBEC

Plusieurs mois avant que le gouvernement Couillard fasse volte-face et annonce sa décision d’interdire tous les frais accessoires, Ottawa a averti Québec que l’imposition de frais accessoires aux patients par les médecins ne respectait pas la Loi canadienne sur la santé. Et qu’Ottawa verrait à faire respecter la loi fédérale.

« J’ai indiqué à tous mes homologues provinciaux que nous appuyons fermement la Loi canadienne sur la santé. […] Ce serait juste de dire que les frais accessoires […] ne respectent pas la loi. »

« Le ministre Barrette et moi n’avons pas discuté des ramifications potentielles, mais j’ai indiqué très clairement à mes homologues [des provinces] que nous croyons que les Canadiens doivent avoir accès aux soins. »

— Jane Philpott, ministre fédérale de la Santé

Québec a adopté en novembre sa loi balisant les frais accessoires (ils sont interdits, sauf ceux permis par règlement). Puis, en mai dernier, le gouvernement Couillard a annoncé qu’il interdirait finalement tous les frais accessoires facturés aux patients, renonçant ainsi à en autoriser certains par règlement.

Entre-temps, lors d’une réunion en janvier dernier, la ministre Philpott avait lancé un avertissement en privé à ses homologues provinciaux dans le dossier des frais accessoires. La Loi canadienne sur la santé permet à Ottawa d’imposer des sanctions, notamment la réduction des transferts fédéraux en santé.

Le gouvernement Couillard a une autre version des événements et soutient avoir pris sa décision en mai sans égard à la position d’Ottawa. « Nous avons décidé de régler la question des frais accessoires. Ce ne sont pas les propos de la ministre Philpott qui ont fait que nous avons décidé d’inclure les frais accessoires dans la rémunération des médecins, parce qu’au Québec, bien qu’on respecte les principes de la Loi canadienne sur la santé, nous n’avons jamais reconnu cette loi », a souligné Julie White, attachée de presse du ministre québécois de la Santé Gaétan Barrette.

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