Chronique

Ma mère

Ma mère est couchée dans sa chambre toute rose. Cette chambre où j’allais me réfugier quand j’avais peur la nuit. Quand j’avais fait un mauvais rêve et que je n’arrivais pas à m’en sortir. Elle me prenait dans ses bras, me chuchotait à l’oreille, pour ne pas réveiller mon père : « Tout va bien aller, Stéphane… » Et tout allait bien, parce qu’elle était là.

Ma mère est couchée dans son bon vieux lit. Ce lit dans lequel j’allais faire des siestes, l’après-midi. Durant ces années avant l’école, où toutes mes journées tournaient autour de maman. On se collait, l’un sur l’autre. Elle me lisait des contes de fées. Et durant cette heure-là, j’avais l’impression d’en vivre un, parce que j’étais avec elle. Et qu’elle était la plus belle.

Ma mère est couchée, les yeux ouverts. Ses yeux qui m’ont toujours regardé avec amour. Qui ont toujours cru en moi. Et même si plein d’autres yeux me regardent froidement, me regardent avec dédain, parce que je ne suis pas comme eux, parce que je suis différent, ça ne m’arrête pas. Ça ne me brise pas. Parce que c’est ceux de maman qui comptent pour moi. C’est elle qui sait qui je suis. Ce dont je suis capable. C’est elle qui m’a fait. Avec amour.

Ma mère est couchée, je lui tiens la main. Cette main que j’ai tenue pour aller à l’école. Pour traverser la rue. Pour monter les escaliers. Pour aller dans la mer. Pour aller partout où je voulais aller. Un jour, je l’ai lâchée. Pour devenir un homme.

Et toutes les autres mains qui viennent se blottir dans la mienne, pour m’aimer ou pour m’aider, c’est à cause de la sienne, si je sais les serrer. Si je sais les aimer, si je sais les aider, en retour.

Ma mère est couchée, je lui tiens la main. Et dans cette main, il y a un chapelet. Un chapelet qu’elle serre toutes les nuits. Comme on tient une corde pour gravir une montagne. Pour se rendre au ciel. Ma mère a la foi. Pas la foi des commandements, pas la foi rigide, pas la foi extrême. Non. Une foi toute pure. Tranquille. Gentille. Profonde. Elle ne cherche jamais à l’imposer. C’est pas une foi pour nuire aux autres. C’est une foi pour les protéger.

Toutes ses prières, tous ses psaumes, toutes ses messes, toutes ses croix au mur, tous ses petits anges, tous ses chapelets, ça se résume en une phrase, en une croyance qui guide son être : il faut être bon pour être bien. Ma mère est bonne et bien. Tant mieux, si c’est grâce à Dieu.

Ma mère est couchée dans sa chambre rose. Là où j’allais pour avoir moins peur. Aujourd’hui, j’y suis encore pour ça. J’ai peur. Comme je n’ai jamais eu peur. Le mauvais rêve est devenu réalité. Ma mère est en train de mourir. Couchée dans son bon vieux lit, là où elle me lisait des contes de fées. Ils vécurent heureux jusqu’à la fin des temps. La fin des temps est arrivée.

Elle a les yeux ouverts. Ses yeux si pétillants, dans lesquels elle a mis tout ce qu’elle aime : sa famille, ses amis, sa maison, ses fleurs, ses livres, ses peintures, ses voyages. Ses yeux qui rendent joyeux tous ceux qu’elle croise. Parce que trop ronds. Parce que trop bons. Ses yeux ne sont plus comme avant. Il y a une fissure dedans. De laquelle s’échappe son âme. Doucement. Inexorablement. Comme les grains d’un sablier. Ses yeux se vident lentement.

Je lui tiens toujours la main. Elle ne me la tient plus. Pour la première fois. Elle ne respire plus. Elle est morte.

Ma mère est morte.

Et durant un instant, je me demande si je suis vivant.

Un morceau de moi est parti avec elle, sûrement.

Est-ce sa chambre rose, son bon vieux lit, ses yeux encore ouverts, sa main encore dans la mienne, son chapelet, mais j’ai l’impression que c’est elle qui me console. La première. Qu’elle me chuchote : « Tout va bien aller, Stéphane… »

Ma mère est morte, mais ce n’est pas ça qui va l’empêcher de m’aimer encore.

C’est ça, l’amour d’une mère. De ma mère.

Je t’aime, Maman.

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