À l'étude

Le cancer frapperait davantage les grands

Les individus de grande taille courent plus de risques d’avoir un cancer, confirme une nouvelle étude américaine. Mais ce lien n’existe pas pour les gros. Explications d’un phénomène compliqué.

Le contexte

Dans les années 70, un biologiste américain a énoncé le « paradoxe de Peto » : même s’ils comptent plus de cellules, les animaux plus gros n’ont pas plus de risque de cancer que les petits. « On n’a pas plus de cancers que les souris, et les éléphants n’en ont pas plus que nous », dit Leonard Nunney, biologiste spécialiste de l’évolution à l’Université de Californie à Riverside et auteur de l’étude publiée en novembre dans la revue Proceedings of the Royal Society B. « Mais avec l’essor des grandes cohortes d’études cliniques, on a réussi à voir qu’à l’intérieur d’une même espèce, les grands ont un peu plus de cancer que les petits. C’est vrai pour les différentes races de chiens, c’est vrai chez les humains. Quatre grandes études ont calculé depuis une demi-douzaine d’années que la différence était d’environ 1 % par centimètre de hauteur pour l’humain. La question s’est déplacée sur le mécanisme. Deux hypothèses ont été proposées : le simple nombre plus élevé de cellules, ou alors un promoteur de croissance expliquant à la fois la taille et le risque de cancer. »

La genèse

Pour trancher entre les deux hypothèses, directe et indirecte, M. Nunney a étudié l’effet de la taille sur une dizaine de cancers analysés dans ces quatre études. « S’il s’agit simplement du nombre de cellules, l’effet de la taille devrait être logiquement moins grand pour les cancers ayant une cause environnementale. Par exemple, le cancer du col de l’utérus dépend beaucoup de l’exposition à certaines souches du virus du papillome humain. » Le biologiste s’attendait aussi à voir un effet similaire chez tous les cancers n’ayant pas une cause environnementale prédominante, car les organes du corps humain sont plus grands chez les personnes de grande taille.

Ce que révèle l’étude

Le risque relatif de cancer en fonction de la taille est relativement similaire pour presque tous les cancers, ce qui confirme l’effet direct du nombre de cellules. Les exceptions ont toutes des causes environnementales prédominantes : outre le cancer du col de l’utérus, une influence presque nulle de la taille a été observée pour les cancers liés au tabagisme, le poumon ou l’œsophage, par exemple. Les deux cancers qui ne tombent pas dans ces deux catégories sont celui du colon et celui de la peau, pour qui la taille a un effet encore plus prononcé – 18% pour les hommes et 27 % pour les femmes pour le cancer de la peau. « Dans ces deux cas, il s’agit d’organes qui ont un taux de division cellulaire plus élevé que la moyenne des organes, dit M. Nunney. Il pourrait dans ce cas y avoir un effet indirect supplémentaire. On sait par exemple que les personnes de grande taille ont un taux d’hormone de croissance IGF-1, qui est aussi lié au cancer de la peau. » Il y a également une anomalie en ce qui concerne le cancer de la thyroïde, mais elle est tempérée par d’importantes variations géographiques. « Normalement, le lien entre la taille et le risque de cancer est le même pour toutes les populations, mais pas pour celui de la thyroïde. En Corée du Sud, par exemple, être grand n’augmente pas le risque de cancer de la thyroïde. »

Et maintenant ?

Ces résultats ont-ils un impact clinique ? « Difficilement, parce que la plupart des grands ont cinq à dix centimètres de plus que la moyenne, dit M. Nunney. Comparé à la cigarette, qui augmente de 10 fois le risque de cancer du poumon, il n’est pas très efficace de s’attarder à un risque de 1,1 fois plus élevé. La seule exception concerne les personnes de très grande taille, disons deux mètres [presque 6 pi 8 po] pour un homme, pour ce qui est du cancer de la peau et de l’exposition au soleil. » Qu’en est-il des obèses ? « Le gras ne comporte pas plus de cellules, juste des cellules plus grosses, donc l’obésité n’augmente pas le risque de cancer par le même mécanisme que la taille. » Le biologiste de la banlieue de Los Angeles pense que ses résultats pourraient mener à d’autres études sur le lien entre la taille, le facteur de croissance IGF-1 et le risque de cancer, ainsi que sur l’explication des variations géographiques du risque de cancer de la thyroïde chez les grands.

En chiffres

38 %

Augmentation du risque de cancer de la thyroïde chez les femmes à chaque tranche de 10 cm supplémentaires de taille. Par exemple, une femme de 1,70 m aura 38 % plus de risques d'avoir un cancer de la thyroïde qu'une femme de 1,60 m.

16 %

Augmentation du risque de cancer du sein chez les femmes à chaque tranche de 10 cm supplémentaires de taille

3 %

Augmentation du risque de cancer de la prostate chez les hommes à chaque tranche de 10 cm supplémentaires de taille

Source : Proceedings of the Royal Society

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