Inspiration
Sciences

Greffer des organes, construire des équipes

Semaine du 16 avril

Mélanie Dieudé et Marie-Josée Hébert

S’il y a un point commun entre pratiquement toutes les personnalités de la semaine que choisit La Presse, c’est bien celui-là : une hésitation spontanée à accepter personnellement une reconnaissance que l’on estime destinée à une équipe. Mélanie Dieudé et Marie-Josée Hébert ont carrément insisté : si on prend une photo d’elles, il faudra la prendre avec tout leur groupe de recherche, ont-elles expliqué en substance. Rien ne serait possible sans l’apport de tous ces gens.

Mélanie Dieudé et Marie-Josée Hébert ont été choisies personnalités de l’année en sciences, car elles ont fait, avec leurs collègues, une découverte importante expliquant une clé dans le rejet des organes transplantés.

Elles ont trouvé que l’organe sain que l’on s’apprête à installer pour remplacer un organe qui ne fonctionne plus – un cœur, un rein, des poumons, par exemple – envoie des signaux de détresse même si c’est lui qui est en forme. En fait, puisque cet organe vient d’être retiré d’un corps qui a subi tout un traumatisme – on prélève les organes sains sur des personnes en état de mort cérébrale, donc qui ont traversé quelque chose de gravissime –, il n’est pas calme et serein, ni conscient qu’il s’apprête à faire une bonne action. C’est cette alarme qui est transmise au corps du receveur, et qui fait réagir son système immunitaire, causant les difficultés.

Dans le monde de la transplantation, la percée est de taille.

Assises dans un chouette bureau tout vitré du nouveau Centre hospitalier de l’Université de Montréal (CHUM), où Marie-Josée est chercheuse et médecin, avec vue imprenable sur l’est de la ville, incluant le fleuve et le pont Jacques-Cartier, les deux scientifiques se disent surprises, touchées qu’on les ait choisies. Et tiennent à parler de collaboration. De l’importance, pour l’avancement de la science, des connexions entre les disciplines.

Mme Dieudé, par exemple, est spécialiste en immunologie. Elle a une formation de premier cycle de l’Université de Montréal, puis elle a fait une maîtrise en endocrinologie à l’Hôtel-Dieu avant de faire un doctorat en sciences biomédicales à l’Université de Montréal, sur les maladies auto-immunes. C’est par la recherche sur les maladies auto-immunes qu’elle a cheminé vers l’étude du rejet des greffons. Aujourd’hui, elle travaille pour le Programme national de recherche sur la transplantation et est chercheuse au Centre de recherche du CHUM.

Marie-Josée Hébert, elle, est néphrologue spécialiste des greffes au CHUM et au Centre de recherche du CHUM, en plus d’être vice-rectrice à la recherche, à la découverte, à la création et à l’innovation à l’Université de Montréal. Originaire de Valleyfield, elle a fait son cours de médecine ainsi que sa spécialisation à cette université, avant de partir faire des études postdoctorales à Brigham and Women’s, l’un des principaux hôpitaux universitaires rattachés à Harvard, à Boston. C’est là, notamment, qu’a été pratiquée la première transplantation d’organe de l’histoire, un rein, en 1954.

Alors non seulement travaillent-elles ensemble, mais elles ont formé un groupe pluridisciplinaire pour pousser leurs recherches. Il y a un microchirurgien, Shijie Qi, qui fait des greffes d’aortes sur des souris, un patient partenaire, Sylvain Bédard, le greffé du cœur qui grimpe des montagnes, qui leur parle de son arythmie, du nouveau cœur dont il a besoin, parce qu’une greffe, ça ne dure pas pour toujours… Il y a des étudiants au doctorat, Héloïse Cardinal, une néphrologue épidémiologiste… Bref tout le monde qui est sur la photo. Et même plus.

« C’est une approche bien différente », explique la Dre Hébert.

« Il faut laisser son ego à la porte, et passer uniquement au service de la connaissance. »

— Marie-Josée Hébert

L’ère du grand chercheur qui règne sur une équipe de chercheurs anonymes à son service est passée, croit-elle.

Et la recherche doit être transparente, communiquée. Surtout au Québec, où les fonds sont largement publics. « Ce que nous faisons doit animer l’imaginaire collectif. »

Et la recherche doit être confrontée, poursuit Mélanie Dieudé. « Les autres disciplines, les autres regards, nous obligent à nous remettre en question, à douter. »

Il faut embrasser le doute, ajoute la Dre Hébert. « Le doute heureux, le doute fertile. »

Que leur réserve 2018 ? La suite des travaux. Les champs de découvertes et d’améliorations sont nombreux, comme l’utilisation de l’intelligence artificielle pour puiser dans les banques de données biologiques, à la recherche de compatibilités optimales pour les futurs greffés. Car le but, expliquent les chercheurs, est de trouver une façon de greffer des organes qui seront bons pour toute la vie du receveur. Aussi, on explore la possibilité d’extraire un jour des organes non fonctionnels du corps, les réparer à l’extérieur et les remettre en place, un concept qui semble relever de la science-fiction, mais qui fait partie des scénarios d’avenir.

Et en marge de tout ça, il y a le don d’organes à démystifier, perfectionner… Saviez-vous que seulement 1 % des organes aptes à la transplantation sont transplantés ? Il y a des tas de problèmes d’identification et de prise en charge à régler. En 2018, personne ne chômera dans l’univers de la greffe.

Ce texte provenant de La Presse+ est une copie en format web. Consultez-le gratuitement en version interactive dans l’application La Presse+.