Ce n’est pas le mariage, mais plutôt l’arrivée d’un enfant qui doit justifier l’imposition d’obligations mutuelles des parents l’un envers l’autre. Voilà pourquoi, dans un couple, le conjoint ayant subi des désavantages économiques en raison de son rôle parental devrait recevoir une compensation de l’autre parent en cas de rupture.
Et cette obligation vaut autant pour les couples mariés que pour les conjoints de fait, selon le comité consultatif chargé de conseiller Québec sur la modernisation du droit de la famille, dont le rapport a été dévoilé hier à Montréal.
« Puisque l’enfant est une responsabilité commune des deux parents, les désavantages économiques de la famille ne doivent pas être supportés par un seul parent », a souligné le professeur de droit Alain Roy, de l’Université de Montréal, président du comité.
« [Les responsabilités] doivent être proportionnellement répartis entre les deux conjoints. »
— Alain Roy, professeur de droit à l’Université de Montréal et président du comité consultatif
« La simple vie commune n’est pas nécessairement source d’interdépendance entre les conjoints, que ce soit en mariage ou en union de fait. En revanche, la venue d’un enfant placera généralement le couple en situation d’interdépendance, d’où le “régime parental impératif” que nous proposons d’instaurer. »
Ce nouveau régime parental serait assorti de compensations, calculées selon les pertes de revenus, d’avantages sociaux, d’ancienneté, d’avancement ou d’opportunités professionnelles pour le conjoint qui a eu un engagement plus important à l’endroit de la famille. La résidence familiale serait aussi protégée.
On ne propose pas ici une obligation de partage des biens faisant partie du patrimoine familial, ni le versement d’une pension alimentaire au parent qui aurait un revenu moindre, comme la loi l’exige actuellement pour les couples mariés en cas de divorce, précise M Roy.
Le comité d’experts va donc moins loin que le souhaitait le Conseil du statut de la femme, qui avait recommandé l’an dernier que les obligations imposés aux couples mariés soient les mêmes pour les couples en union libre après deux ans de vie commune.
Le comité consultatif avait été mis sur pied en avril 2013 dans la foulée de la décision de la Cour suprême dans la célèbre cause Lola contre Éric. Il se penchait sur la modernisation du Code de la famille, pour l’adapter aux nouvelles réalités des ménages.
Le rapport propose aussi un changement majeur pour les couples mariés : un droit de retrait (« opting out ») permettant aux conjoints qui se passent la bague au doigt de se soustraire aux obligations mutuelles. « Les époux auraient la possibilité de se soustraire par contrat de mariage, en tout ou en partie, avant ou pendant le mariage, au contenu juridique qui accompagne le statut matrimonial », explique M Roy. Actuellement, les couples mariés ne peuvent déroger aux effets du mariage.
Pour les conjoints de fait sans enfants, il n’y aurait pas de droits et obligations mutuels, mais l’accès à des contrats d’union de fait, sous forme de formulaires simples, devrait être amélioré.
Par contre, dans tous les cas, que les couples soient mariés ou non, l’arrivée d’un enfant imposerait automatiquement les obligations prévues au « régime parental impératif ».
Le comité explique que ces changements visent à introduire un régime juridique « résolument axé sur l’autonomie, la volonté et la liberté contractuelle des conjoints, tant en matière de mariage que d’union de fait », tout en plaçant les intérêts supérieurs de l’enfant au cœur des priorités.
Les conséquences financières pour un parent qui s’est consacré à la famille pourraient être calculées selon un barème établi par le gouvernement, semblable à celui qui sert à fixer le montant des pensions alimentaires pour les enfants à la suite d’une rupture des parents, a indiqué Alain Roy.
« Les recommandations du comité tiennent compte de l’importance de respecter la liberté de choix des individus, mais reconnaissent aussi le fait que les charges qui découlent de l’arrivée des enfants ne sont pas toujours réparties équitablement entre les conjoints », a commenté la ministre de la Justice, Stéphanie Vallée. En entrevue en fin de journée hier, elle a remercié les experts pour leur travail colossal, un rapport de près de 600 pages contenant plus de 80 recommandations. Elle les étudiera avant de décider comment y donner suite.
« Le nouveau régime qui est proposé aurait comme conséquence de responsabiliser davantage les parents face à leur rôle. »
— Stéphanie Vallée, ministre de la Justice
La ministre Vallée se demande cependant comment sera accueillie la suggestion de permettre aux couples mariés de se soustraire aux obligations actuellement imposées par la loi. « Lorsque la loi sur le patrimoine familial a été adoptée, elle visait à protéger les femmes au foyer qui se retrouvaient démunies en cas de divorce, souligne-t-elle. On veut s’assurer de ne pas porter atteinte à ces protections. Même si la société a changé, les femmes sont toujours plus nombreuses à occuper des emplois précaires, par exemple. »
L’avocate Anne-France Goldwater, qui a défendu Lola dans son combat pour obtenir une pension alimentaire pour elle-même et une partie du patrimoine de son ex-conjoint de fait milliardaire, estime que les propositions provoqueraient un recul pour les droits des femmes. « C’est honteux, on propose un retour en arrière inacceptable », a réagi la juriste bien connue.
« On veut faire du Québec le paradis des hommes. Les femmes vont continuer d’être victimes de discrimination au sein même de leur foyer. »
— MAnne-France Goldwater
Selon elle, comme les femmes gagnent presque toujours des revenus inférieurs à ceux des hommes, elles sont vulnérables face à des conjoints mieux nantis. « Beaucoup d’entre elles vont signer sans comprendre les documents, simplement pour acheter la paix », dit-elle.
Le Québec est la seule province au pays qui ne prévoit pas le versement d’une pension alimentaire aux conjoints de fait en cas de rupture. Le droit québécois de la famille n’a pas été revu de manière approfondie depuis 1980. À cette époque, 8 % des couples vivaient en union libre contre 37 % en 2011. Aujourd’hui, 63 % des enfants naissent de couples non mariés.