La fée-marraine a pris du galon

Quelque 330 finissantes de 5e secondaire auront une robe pour leur bal de fin d'études grâce à un organisme de Saint-Léonard.

Au début, c’était trop fois rien. Un petit placard, au fond d’une salle de professeurs qui ne payait pas de mine dans une polyvalente de Saint-Léonard. Dans le placard, des robes de bal, que récoltait à droite et à gauche une fée-marraine pour ses élèves défavorisées. Aujourd’hui ? C’est 2000 robes de bal, Karine Vanasse comme porte-parole, des tonnes de dons, un conseil d’administration et toute une armée de bénévoles.

« Cette année, on a habillé 330 filles pour le bal », raconte Linda Blouin, l’instigatrice du projet.

Il y a trois ans, La Presse a évoqué l’initiative de cette enseignante de langue seconde à l’école Antoine-de-Saint-Exupéry qui, à la petite semaine, récoltait les robes pour les remettre à ses élèves les plus pauvres qui, autrement, n’auraient pas pu aller au bal.

On l’avait baptisée « la fée-marraine de Saint-Léonard ». L’appellation est restée et est devenue le nom d’un organisme sans but lucratif qui s’est transformé en une grosse affaire qui a largement dépassé le seul cadre de l’école.

« On habille maintenant des filles de 70 écoles, dont l’école Rosalie-Jetté fréquentée par de futures jeunes mères, de même que des écoles qui scolarisent des handicapés physiques ou des jeunes avec des déficiences intellectuelles. On a aussi eu des diplômées de Saint-Lin, de Rawdon, de Saint-Jérôme… »

— Linda Blouin

Mieux encore, à Sept-Îles, à Gatineau, dans le centre du Québec, d’autres personnes se sont inspirées de l’idée pour lancer un projet semblable dans leur région.

« Des élèves de collèges privés ou du programme international ont fait des “levées de robes” pour nous, explique Mme Blouin. Des femmes d’affaires nous en ont remis. Une femme nous a remis la robe qu’elle avait portée en 1965 pour son propre bal ! Karine Vanasse, qui m’a appelée tout bonnement, un jour, pour proposer ses services de porte-parole, nous a donné deux robes de gala. Mettons qu’elles ne sont pas restées longtemps sur le rack ! »

Une collecte

Au printemps, les Fées marraines organisent une collecte de robes, qu’elles publicisent sur les réseaux sociaux.

Elles ont maintenant un inventaire de 2000 robes, qui sont entreposées dans le sous-sol d’un magasin Renaissance, à Montréal-Nord.

Les Fées marraines s’assurent que les filles choisies sont réellement dans le besoin. Certaines leur sont présentées par des professeurs, d’autres ont déjà droit à l’école à une aide alimentaire. Les Cendrillon d’un jour vivent le plus souvent dans la précarité depuis toujours. « Ce sont toutes des battantes, des filles d’une grande résilience qui n’ont jamais lâché et qui sont parvenues à terminer leur 5e secondaire. »

Pour quelques-unes, la misère est plus ponctuelle, et elle leur est tombée dessus du jour au lendemain.

« Il nous est arrivé d’habiller des filles d’écoles privées, raconte Mme Blouin. Un très mauvais concours de circonstances est si vite arrivé : un père qui a un accident, une mère frappée d’un cancer, et la vie d’une famille peut basculer. »

Au printemps, une fois les filles sélectionnées, toute la collection de robes est transportée par camion (lui aussi offert gracieusement) à l’école Pierre-Dupuy, qui devient alors méconnaissable grâce aux bons soins d’une designer d’intérieur (gratuitement, encore !) qui rend l’évènement très « wow ». « Il y avait des ballons, des fleurs, un tapis chic, j’ai été très surprise », lance Karin Pop-Guzman, qui, comme les autres, est repartie avec la robe de ses rêves, des chaussures, un sac à main, des bijoux, un chèque-cadeau dans une boutique et une trousse remplie de maquillage.

Grâce à une commandite d’un salon de beauté, sept filles ont en plus droit à la totale : elles seront coiffées, elles auront un pédicure, un manucure.

Lors des journées de sélection des robes, deux travailleuses sociales sont sur place.

« Certaines des filles ont eu une vie très difficile et c’est très émotif, tout cela, pour elles. Certaines ont toujours vécu dans des maisons fermées, à la DPJ, et il arrive qu’elles soient incapables de faire un choix ou qu’elles soient si mal à l’aise dans leur corps qu’elles ne trouvent rien à leur goût. »

— Linda Blouin

Elles sont alors prises sous l’aile des travailleuses sociales et des Fées marraines, qui s’assurent que toutes trouvent leur bonheur.

Un attachement sentimental

Les robes leur sont données. « Les femmes qui garnissent notre entrepôt ont très clairement un attachement sentimental à leur robe, qui leur rappelle un moment important de leur vie. Il est important pour nous que les filles puissent elles aussi garder leur robe et qu’elles puissent elles aussi, de temps à autre, la sortir du placard et se souvenir de leur grand jour », dit Mme Blouin.

Le conseil d’administration des Fées marraines est aujourd’hui constitué de 10 personnes, toutes bénévoles. Personne ne touche un sou et les entreprises sont généreuses.

Linda Blouin regarde tout cela et n’en revient pas. « À la fin de la quarantaine, je n’aurais jamais pensé me lancer dans un tel tourbillon. C’est beaucoup d’heures de travail, mais ça a changé ma vie. Je me suis découvert une fibre entrepreneuriale. Moi, j’aurais envie d’habiller le Québec au complet, mais heureusement, je suis maintenant entourée d’un conseil d’administration de femmes ultra-compétentes et dévouées, qui me ramènent sur terre au besoin ! »

Bref, trois ans plus tard, tout va bien. Comme c’est le cas de Cendrillon, les Fées marraines ont cependant un petit problème de pied.

« On manque de chaussures ! Ah oui, et de robes de grande taille et de partenaires financiers, aussi ! », lance Linda Blouin à l’univers, à l’aide d’une tactique qui lui a déjà très bien réussi.

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