ÉDITORIAL FRANÇOIS CARDINAL

PARTI QUÉBÉCOIS Les germes du déclin

Pour analyser le résultat électoral catastrophique du Parti québécois l’automne dernier, Jean-François Lisée évoque toutes sortes d’excuses dans son livre* en s’attardant longuement au « discours mortuaire » des médias.

C’est commode. Mais ce faisant, l’ancien chef prend l’effet pour la cause. Il mélange l’origine des problèmes du PQ et ses conséquences.

Si les médias ont bel et bien présenté Lisée comme le fossoyeur du PQ, s’ils ont parlé de la mort annoncée du parti et de ses funérailles, c’est que la formation n’a pas attendu le vote du 1er octobre dernier pour se retrouver dans une situation morbide.

Soyons honnêtes, les difficultés qui affligent aujourd’hui ce parti dont certains prédisent la disparition imminente ne remontent pas au dernier scrutin et ne s’expliquent pas par le discours des journalistes.

Pas plus que par la bourde commise par Lisée envers Manon Massé lors du débat des chefs, d’ailleurs.

Il suffit de lire l’analyse historique du déclin du Parti québécois publiée récemment par le politologue Éric Montigny**, dont nous publierons demain un extrait, pour se rappeler que les problèmes sont bien plus profonds, et surtout, qu’ils remontent bien plus loin dans le temps.

« La remise en question que subit le PQ à la lumière de son résultat électoral historique de 2018, écrit-il, est davantage liée à des phénomènes structurels qu’à une simple conjoncture politique défavorable. »

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Dans son analyse, Montigny rappelle l’évolution de la formation, qui est passée avec le temps d’un parti d’idées à un parti de pouvoir.

Au fil des élections, le PQ a en effet cessé de vouloir modifier son environnement pour s’y adapter tranquillement, en concentrant les pouvoirs entre les mains du chef, en multipliant les virages, en s’éloignant de sa base militante et des groupes sociaux…

Bref, en devenant une formation politique comme les autres.

N’est-ce pas d’ailleurs ce que disait Paul St-Pierre Plamondon dans son rapport Oser repenser le Parti québécois ? « Le PQ des belles années se définissait comme un parti réformiste, inventif et brasse-camarade, alors qu’il serait aujourd’hui décrit par certains comme un parti figé, conservateur et vieillissant. »

Dans un contexte de bipartisme, passe encore. L’alternance du pouvoir donne une chance à un parti qui peine à se distinguer : il finira tôt ou tard par remplacer l’autre formation. Il suffit de changer la vitrine de temps en temps : l’étapisme, le bon gouvernement, les conditions gagnantes, etc.

Mais ce qu’on constate en lisant Éric Montigny, c’est que le PQ n’a tout simplement pas su s’adapter à un échiquier changeant.

Il s’agit peut-être d’un parti générationnel, mais il s’agit surtout du parti d’un contexte politique bien précis.

Un contexte qui lui permettait d’être, par défaut, une coalition pour tous ceux qui rêvent à un pays, peu importe leurs autres allégeances.

Mais avec l’effritement du clivage Oui/Non, la colle de la souveraineté a cessé de tenir. Et avec l’éclatement des fractures politiques identitaires, économiques et sociales, le parti de René Lévesque a perdu sa boussole : propétrole puis antipétrole ; inclusif avec un chef, laïciste avec son successeur ; social-démocrate une année, à droite la suivante.

Et c’est dans un contexte aussi précaire qu’il a osé sa fameuse charte des valeurs. Un triste épisode qui lui a fait plus mal que les souverainistes se l’avouent. A-t-elle fait perdre les élections de 2014 ? Peut-être, peut-être pas. Mais, chose certaine, elle a profondément divisé le mouvement indépendantiste (Duceppe, Harel et Parizeau s’en sont notamment dissociés) en plus d’éloigner les jeunes du PQ pour de bon (le parti a fini 4e chez les 18-24 ans à l’époque !).

Or, pendant que le PQ se cherchait dans son labyrinthe idéologique, il n’a pas vu venir ses concurrents.

La CAQ, qui lui a piqué le nationalisme identitaire et la défense du Québec ; et QS, qui s’est emparé non seulement de la souveraineté, mais aussi de la fameuse étiquette de parti « réformiste, inventif et brasse-camarade »…

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« Le PQ aura atteint son apogée sur le plan de sa maturité à la fin du XXe siècle, écrit Éric Montigny. Depuis, il subit un lent déclin, parsemé de soubresauts. »

Un déclin qui dure depuis 1995, à son avis, alors que le parti était victime d’un double traumatisme dont il n’a jamais su se relever. La défaite référendaire, bien sûr, mais surtout la phrase malheureuse de Jacques Parizeau sur « l’argent et le vote ethnique ».

« Ce discours a coupé l’élan qui découlait de l’appui important, soit près d’un Québécois sur deux, pour changer le statut politique du Québec, explique le professeur de l’Université Laval. Une seule phrase en une seule soirée est venue anéantir tous les efforts déployés pour créer un mouvement rassembleur. Et surtout, pour les années qui vont suivre, elle a privé le Québec de tout rapport de force. Pour plusieurs, elle a même brisé toute envie de se lancer dans une nouvelle aventure référendaire. »

Le PQ, depuis lors, joue défensivement. Il se cherche. Il tente avec une difficulté croissante de justifier sa pertinence dans un contexte où il n’y a toujours aucun référendum à l’horizon.

Sur le plan partisan, le 30 octobre 1995 marque ainsi pour le PQ un véritable drame qui porte en lui « le germe de son déclin », selon Montigny. Une date pas mal plus importante, donc, que celle du 1er octobre 2018.

* Qui veut la peau du Parti québécois ?, Jean-François Lisée, La boîte à Lisée, 2019

** Leadership et militantisme au Parti québécois, Éric Montigny, PUL, 2018

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