Hockey

La KHL dans le rouge

Lorsqu’Alexander Radulov s’est entendu avec le Canadien l’été dernier à raison de 5,75 millions pour un an, il a tourné le dos à une offre plus lucrative qui aurait fait de lui le joueur le mieux payé de la KHL.

Il y a quelques jours, le troisième marqueur du circuit russe, Vadim Shipachyov, s’est entendu avec les Golden Knights de Vegas. Ses ex-coéquipiers du SKA Saint-Pétersbourg Ilya Kovalchuk et Evgeny Dadonov entendent aussi revenir dans la LNH. Et c’est sans compter les jeunes Artemi Panarin et Nikita Zaitsev, qui ont vécu un transfert fructueux en Amérique.

Bref, le talent de pointe déserte la KHL et laisse planer une ombre sur l’avenir de ce que plusieurs présentent comme la deuxième ligue de hockey du monde en matière de calibre.

Comment en est-elle arrivée là ?

Il faut savoir que la KHL est une création de Vladimir Poutine lui-même. Le président russe, grand amateur de hockey, espérait en 2008 créer une ligue capable de rivaliser avec la LNH de façon à retrouver l’esprit qui caractérisait autrefois la rivalité entre le hockey russe et celui de l’Amérique du Nord.

Or, la KHL ne s’est pas dotée au départ d’un modèle d’affaires semblable à celui de la LNH, dans lequel un propriétaire – pour peu qu’il investisse dans son équipe, qu’il ait un amphithéâtre récent et de bons revenus au guichet – peut espérer une certaine croissance.

La plupart des équipes de la KHL sont la propriété d’individus, d’entreprises ou de structures gouvernementales liées au secteur de l’énergie. Son plan original était de profiter des revenus astronomiques du pétrole et du gaz sans dépendre de facteurs comme la popularité de son produit ou son entente de télédiffusion.

Or, la chute du prix du baril de pétrole à partir de 2014, qui a du même coup entraîné la dévaluation du rouble, a mis à mal cette structure.

« C’est sûr que sur le plan économique, il y a des problèmes, convient le journaliste russe Igor Eronko, de Sport-Express.ru. La moitié des équipes sont correctes, mais dans l’autre moitié, il y a plusieurs clubs endettés. Cinq ou six formations n’ont pas encore terminé de payer les joueurs pour la dernière saison. Pourtant, tous ces clubs-là ont rempli leurs documents en vue de l’année prochaine, et personne ne veut s’en aller.

« Si le prix du pétrole baissait encore, tout s’effondrerait, craint Eronko. Chaque année, ils dépensent et dépensent encore, sans jamais avoir de retour sur tout cet argent investi. Certains propriétaires fermeraient boutique. La ligue existerait encore, mais il y aurait moins de participants. »

Le CKSA miraculé

L’intérêt en Russie pour la KHL n’a jamais vacillé. Selon les standards européens, le circuit se débrouille plutôt bien. Seules la Suisse et l’Allemagne attirent en moyenne plus de spectateurs. Six des quinze équipes européennes les plus populaires en matière d’assistances proviennent d’ailleurs de la KHL. Elle présente donc une meilleure performance que les ligues de Suède et de Finlande.

Toutefois, les équipes russes ne peuvent espérer vendre des billets à des prix leur permettant de soutenir les salaires élevés. D’une équipe à l’autre, il s’agit donc de savoir combien d’argent les propriétaires sont prêts à perdre d’année en année. D’où la nécessité d’avoir de généreux commanditaires et des oligarques prêts à s’impliquer.

Le cas du CSKA Moscou en est une parfaite illustration.

Ce club légendaire, également connu sous le nom du « club de l’Armée rouge », était autrefois la propriété du ministère de la Défense. Or, il était près de la faillite en 2011 lorsque Poutine a pris contact avec son ami Igor Setchine, patron de Rosneft (deuxième société pétrolière russe en importance), afin qu’il vienne sauver l’équipe.

« Nous nous sommes mis à regarder autour, nous avons sollicité nos firmes d’énergie et nous nous sommes mis d’accord avec Rosneft sur le fait qu’ils devaient – non, qu’ils pouvaient – soutenir une équipe de hockey », a expliqué Poutine dans des propos repris en 2011 par le Moscow Times.

Poutine avait alors ajouté que Rosneft était prêt à investir des centaines de millions dans le CSKA.

Cinq ans plus tard, c’est cette même formation qui allait offrir à Radulov de devenir le joueur le mieux payé en Russie.

De l’expansion à la contraction

Dans ses premières années d’existence, la KHL avait réussi à attirer les Jaromir Jagr et Pavol Demitra, en plus de rapatrier des Russes comme Radulov. À l’époque, ses ambitions étaient grandes : le club suédois AIF Stockholm avait sérieusement considéré la possibilité de rejoindre les rangs de la KHL et des démarches avaient été faites auprès de l’Eisbären de Berlin, de Genève-Servette et de plusieurs autres organisations européennes.

Mais tout a changé à compter de 2014.

Le club tchèque Lev Prague a quitté la ligue cette année-là, faute de fonds. L’Atlant de Moscou a fermé boutique l’année suivante, et le club Donbass Donetsk a dû suspendre ses activités en raison du conflit qui a éclaté en Ukraine. Ce printemps, c’est l’équipe croate Medvescak Zagreb qui a mis fin à ses activités.

En novembre 2014, après la chute du prix du brut, le président de la ligue Alexander Medvedev a été remplacé par Dmitry Chernyshenko, l’organisateur en chef des Jeux olympiques de Sotchi. Ce dernier est beaucoup moins versé dans le hockey que ne l’était Medvedev.

Au moment de sa nomination, Poutine lui aurait demandé de réorienter la KHL pour en faire une ligue qui constituerait la base d’une équipe nationale forte.

Aujourd’hui, le circuit grappille dans de nombreux pays de l’ancienne Union soviétique, mais des 28 équipes encore existantes, trois seulement – le Jokerit d’Helsinki, le Slovan Bratislava et le Red Star Kunlun – dépassent les frontières de l’ancien empire.

Les visées expansionnistes d’autrefois ont laissé place à un plan de contraction encore indéfini qui pourrait voir disparaître d’autres équipes en plus de Zagreb. L’intention de la ligue serait de réduire le nombre d’équipes à 26 de façon à rehausser le niveau de compétition et à diminuer les voyages.

— Avec Guillaume Lefrançois et Associated Press

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