Éditorial François Cardinal

La tentation populiste

Il y a longtemps que le Québec n’avait pas connu un gouvernement aussi populiste que celui de François Legault. Depuis Maurice Duplessis, en fait.

Ah, bien sûr, le premier ministre s’en défend. Il dit être en communion avec la population, tout simplement. Ce qui ne fait pas de lui un émule du « cheuf » de l’Union nationale.

Donnons-lui raison là-dessus. Il ne suffit pas de se réclamer du peuple, comme il le fait constamment, pour être taxé de « populiste », puisque tous les politiciens le font jusqu’à un certain point. C’est leur rôle de représenter la population, après tout.

Le populiste, c’est plutôt celui qui prétend incarner le peuple… contre les élites et les institutions.

Et c’est là que le jupon populiste de la CAQ commence sérieusement à dépasser.

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Déjà, depuis son élection, François Legault avait tendance à confondre son gouvernement et le Québec. Comme s’il était l’incarnation « des Québécois » (francophones, devrait-on ajouter). Comme si le premier ministre parlait au nom d’un bloc monolithique, toujours derrière lui.

Bref, quand il agit, il agit parce que la population lui a commandé de le faire.

La loi sur la laïcité, par exemple, était une demande expresse « des Québécois ».

Et la baisse du seuil d’immigration étant supposément une revendication de l’électorat, il a donc baissé le seuil d’immigration.

La CAQ gouverne ainsi, pour reprendre les mots prononcés en janvier dernier par la ministre Geneviève Guilbault, « pour cette majorité silencieuse qu’on n’entend jamais nulle part », voire pour « le monde ben ordinaire ».

Jusqu’ici, c’était un populisme bon enfant. En fait, jusqu’au dérapage du ministre Simon Jolin-Barrette avec le Programme de l’expérience québécoise (PEQ), c’était un populisme soft.

Mais ce dérapage en cachait un autre : soudainement, la CAQ parlait « au nom du peuple »… contre les élites, les institutions, les contre-pouvoirs.

Voyez par vous-même. Pour justifier la réforme du PEQ qu’aucun acteur ou organisme n’appuyait, le premier ministre a dit « travailler pour tous les Québécois ». Il a ajouté que le Québec ne pouvait accueillir tout le monde. Puis, il a brandi sa page Facebook pour prouver que les électeurs étaient derrière lui… car sur sa page, « 90 % des gens appuient ce que fait le gouvernement » !

Déjà surréelle, cette sortie a été suivie par une attaque en règle contre le président de la Chambre de commerce du Montréal métropolitain, le milieu des affaires qui veut du cheap labor et les recteurs qui pensent à l’argent en accueillant plus d’étudiants dans leurs universités.

Voilà qui est inusité pour un premier ministre. Voilà qui est étonnant pour un dirigeant qui fait de l’économie et de l’éducation ses priorités. Voilà surtout qui place la CAQ dans la catégorie des gouvernements populistes.

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Contrairement à ce que prétendent certains commentateurs de droite, le mot « populiste » n’est pas accolé à François Legault parce qu’il refuse « le discours diversitaire ». Il lui est plutôt accolé parce qu’il le mérite, et pas seulement dans le dossier identitaire !

Avouons-le, c’est à l’égard de ces enjeux que la CAQ s’est surpassée, en brandissant une loi contre le bonjour-hi, par exemple. En évoquant l’expulsion des femmes qui portent le burkini. Ou en affirmant qu’une « certaine élite au Québec doit se remettre en question », comme l’a fait François Legault avec maints sous-entendus.

Mais il y a aussi du populisme dans l’attaque en règle menée par le gouvernement contre la Régie de l’énergie, un contre-pouvoir que M. Legault n’a pas hésité à émasculer.

Il y a du populisme dans le rehaussement de l’âge légal de la consommation du cannabis à 21 ans, contre l’avis de l’écrasante majorité des experts en santé publique.

Et il y a beaucoup de populisme dans le traitement que la CAQ fait du transport.

Rappelez-vous comment Éric Caire avait répondu quand on lui avait signalé qu’aucune étude ne confirmait que le troisième lien réduirait la congestion. Pas important, avait-il dit ! Les automobilistes n’ont « pas besoin d’une étude très élaborée » pour savoir que le projet est bon…

Et quand François Legault a défendu l’élargissement des autoroutes 13 et 19 malgré les données scientifiques qui démontrent que cela aggravera le problème de congestion plutôt que l’inverse, il a tout simplement répondu : « Je ne suis pas d’accord avec ces études. »

On remplace ainsi les experts, les études et les données par… le gros bon sens, version Legault.

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Bien sûr, un gouvernement peut contredire des études, être en désaccord avec « les élites » et réformer le rôle de certains contre-pouvoirs. Il peut même avoir de bonnes raisons de le faire.

Mais ce qu’il y a de répréhensible dans l’attitude de plus en plus populiste de la CAQ, c’est qu’elle fait de tout ça un leitmotiv. Elle introduit ainsi une dose de populisme dans une province qui en était plutôt épargnée jusqu’ici.

Rien de plus facile que de balayer d’un revers de main la moindre critique en la taxant de « discours élitiste » et « déconnecté ». Surtout après les années Couillard, qui ont donné une impression de distance avec l’électorat.

Or, les mésaventures de la CAQ avec le PEQ, pour lesquelles le ministre Jolin-Barrette a fini par s’excuser avec raison ces derniers jours, ont justement prouvé les limites du discours populiste dont elle se réclame.

Le « peuple » n’a pas accepté qu’on menace d’expulsion des étudiants étrangers en voie d’intégration. Il n’a pas apprécié qu’on revoie les règles du jeu en cours de route pour des immigrants potentiels de bonne foi.

Preuve que le gouvernement Legault peut se tromper dans sa lecture et sa compréhension de ce que veut le peuple. Même s’il prétend en être l’unique représentant.

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