Opinion

La nouvelle politique mondiale anticorruption

Nicolas Sarkozy, Lula, Pablo Kuczynski, Park Geun-hye, ou Jean Charest dans l’enquête Mâchurer : ces leaders, et plusieurs autres comme Jacob Zuma en Afrique du Sud, Benyamin Nétanyahou en Israël, ou Nawaz Sharif du Pakistan, ont tous en commun d’être ou d’avoir fait l’objet d’une enquête pour corruption, ou d’avoir été contraints de démissionner à cause d’accusations ou d’allégations de corruption. Plus près de nous, et à d’autres échelons de gouvernement, le maire de Montréal Michael Applebaum et son homologue de Laval, Gilles Vaillancourt, ont tous deux été emprisonnés pour corruption. 

Ces événements aux quatre coins du monde, dans des pays fort différents, apparaissent peut-être aléatoires, isolés et indépendants les uns des autres. Mais ils ne le sont pas. Ils sont la conséquence des politiques anticorruption des gouvernements.

Depuis une vingtaine d’années, partout dans le monde, de nouvelles lois ont été adoptées et de nouvelles institutions ont été créées pour combattre la corruption, ce cancer des sociétés qui creuse les inégalités et plombe le développement humain. Depuis son adoption en 2003, la Convention des Nations unies contre la corruption a été signée par plus de 180 pays. La Convention exige des signataires qu’ils s’engagent à se doter de lois et de structures, comme l’Unité permanente anticorruption (UPAC), pour lutter contre l’abus de pouvoir public à des fins privées. Tout cet arsenal judiciaire, légal et institutionnel fait maintenant sentir ses effets sur le monde politique, mais aussi économique, avec des poursuites contre de grandes entreprises comme SNC Lavalin et d’autres firmes de génie du Québec Inc. Les élites politiques et du monde des affaires n’ont jamais été sous aussi étroite surveillance. Et celles qui se sentent les plus menacées ripostent avec force, mobilisent leurs ressources pour faire dérailler leur procès ou pour faire changer les lois.

La lutte contre la corruption : un avant et un après

Une fois mises en place, les lois et les agences de lutte contre la corruption transforment la donne sur le plan politique. Elles deviennent des armes de combat partisan que les partis utilisent pour discréditer leurs adversaires, gagner des votes et espérer ainsi prendre le pouvoir. Comme le Québec a été à même de le constater dans l’affaire Guy Ouellet, quand les agences de lutte à la corruption s’approchent de la sphère politique, leur travail est immédiatement politisé, délégitimé et contesté. 

Plus la figure politique visée est haute dans la hiérarchie du pouvoir, plus la contestation est brutale. 

Le public est alors exposé à des nouvelles qui portent de plus en plus souvent sur les bisbilles politiques entourant les enquêtes de corruption. Les citoyens ont l’impression d’entendre plus fréquemment parler d’affaires de corruption et pensent, à juste titre, qu’il y a plus de corruption autour d’eux. Mais qu’en est-il dans les faits ? Entend-on plus parler de corruption de nos jours parce qu’il y en a plus, ou plutôt, parce que les agences qui la combattent sont capables de la détecter là où elle se cache, et qu’elles se font craindre des corrompus ? À ces questions, la recherche n’a pas de réponse claire car il est difficile de mesurer la corruption avec précision et de savoir s’il y en a plus ou moins une fois que des lois et des agences ont été créées pour la combattre.

La corruption comporte une large part de jugement subjectif. Au Brésil, si des élections étaient tenues sous peu, tout indique que l’ancien président Lula, qui vient d’être condamné pour corruption, gagnerait probablement et avec une bonne majorité. Pour ses partisans, Lula n’est pas corrompu. Pour ses adversaires, il l’est complètement. Qui dit vrai ?

La difficulté à définir et à mesurer la corruption est renforcée par la nature secrète et cachée des activités nécessaires à sa réalisation. La plupart des individus n’ont qu’une connaissance indirecte de la corruption. Ils n’ont que des impressions déterminées par des facteurs variés comme l’idéologie, l’identité, la partisanerie, la richesse ou la scolarité. Il est révélateur que le principal instrument de mesure de la corruption soit un « indice de perceptions » compilé par Transparency International. Comme dans l’allégorie de la caverne de Platon, en matière de corruption, seules sont perceptibles les ombres projetées par des objets éloignés.

Or, ces ombres ne sont pas sur le point de disparaître car toutes les lois et structures créées pour combattre la corruption, et les nombreux conflits qu’elles génèrent, font en sorte que l’enjeu demeure omniprésent dans l’actualité. La lutte à la corruption n’est jamais gagnée une fois pour toute. Une société sans corruption est un mythe historique absolu. Il faut plutôt apprendre aux citoyens à demeurer vigilants et exiger des dirigeants politiques un discours sur la corruption moins manichéen et plus intelligent que celui fournit jusqu’à présent.

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