Chronique

Cette parlure pas très propre

La Journée internationale de la langue française avait lieu mercredi dernier. Mais que célèbre-t-on, au juste ?

Mars 2019.

On marque d’un X la case du 20.

Mais est-ce qu’on sort une bouteille de la cave à vin

au nom de la Journée internationale de la langue française ?

On parle encore de la célébrer, mais en réalité,

ma très chère langue, tu me décriras bien quand tu dévoileras à l’humanité

qui t’a pavanée et qui on a blâmé quand dans ma sale gueule et dans mes chansons tes véhémences ne se sont pas fanées.

On dit « célébrer », mais en réalité, chaque année, cette mise en relief ressemble beaucoup plus à une intervention qu’à une révérence :

Langue française, tu sais quoi ? On t’aime beaucoup, mais faut te l’dire, on n’a pas l’choix, t’es en détresse et voici tes errances, ton état.

Quand je recherche toutes les références et les chiffres officiels à partir desquels on se permet de conclure sur cet état, je constate que chacun peut en percevoir et en déduire ce qu’il veut bien.

Alors j’ai décidé de t’écrire, moi aussi. Ce sera maintenant à toi de me répondre…

À tous tes anniversaires, comme chaque jour qui te retient et qui devrait pourtant te faire éloge, c’est l’même refrain. On nous martèle des propos qui m’bousculent.

J’entends le mot « recul », j’entends le mot « déclin » qui résonnent comme des chaînes qu’on forge.

Fait que j’interroge ton destin.

Je navigue ton bipolaire entre les sabords et les hublots.

Parce que d’un bord du débat, bien sûr, y’a ceux qui parlent toujours le statu quo.

Et de l’autre, ben y’a encore les autres.

Les autres ? Le frein ?

Ceux qui croient que ton éclat, ni à la « haute société » ni à ton passé n’est restreint ?

J’aurais dû m’en douter que toi aussi, tu ferais ériger des frontières.

On s’est tellement servi de toi pour en nommer !

Aujourd’hui, on veut t’assujettir, on voudrait t’arrimer !

Des syntaxes de douanes autour des bienvenus, onéreux.

La jeunesse étouffée sous des discours et des règlements poussiéreux…

Qui parle faux, alors que nos libertés s’harmonisaient ?

Qui a sorti l’échafaud dès qu’on t’a fait peau neuve, croyant qu’on se payait ta tête et qu’on s’en amusait ?

J’vais m’inspirer d’ma grand-mère, qui elle s’inspirait de Musset, pour dire à mon

tour, de mon mieux, que je crois que l’avenir se retrouve et se raconte quelque part sur la frontière entre deux mondes : ceux pour qui il est toujours trop tard et ceux qui leur répondent : « C’est toi qui es déjà trop vieux… »

Mais aujourd’hui, peu importe les limites que je franchis,

Francophonie, dès qu’on entend que j’te connais à tous les temps,

que je te parle encore, par cœur et au présent, fidèle au « feel » du temps,

on me distingue et toi, on t’affranchit.

Cette parlure pas très propre ? Elle est pourtant locale.

Tachée de rouille et de chrysocale.

J’ai mon voyage de la peur de l’envahisseur. Vague sur ça.

Expressions créoles dans l’accent joual, all day fo sho !

Sur mes lèvres fuchsia, je n’porterai pas le vaisseau des fachos.

Je m’en calice jusqu’à la lie.

L’humanité m’parle quand j’me relis.

Et personne ne peut salir l’authenticité de sa diction.

Ils peuvent haïr le script du reality show

Cependant, tout l’monde sait que c’est aussi celui d’la misère et du ras-le-bol commun qui n’a plus besoin de traduction.

Je n’ai pas choisi la langue de la globalisation.

J’lui dis simplement what’s up, descendant de ma tour d’ivoire,

bienvenue chez moi, dans plus de 300 000 ans d’histoire.

Tu n’oublieras pas que je parle le français.

Mais on va remonter ma mémoire.

Puisque désormais, elle s’étend bien au-delà des colonisations.

Tu montais la garde aux accès, maintenant tu sépares les accents ?

Salaire recherche employé qui se présente absent. N’est-ce pas ?

Car autrement dit, sans qu’on entende son origine.

Dans une langue belle, celle qui sait faire la job, on r’vire de bord les mots trop clean comme ceux qui ne nous sont pas très propres.

Ils peuvent acheter. Mais pour se vendre, pour se vendre à perte d’âme !

Pour se vendre, il faut faire taire tous ceux qui ici ne naissent pas. N’est-ce pas ?

C’est depuis ta naissance, langue française, depuis les vagues indo-européennes, les chemins des soldats romains, les balafres germaniques, les chiffres arabes des magasins, que les classes te disputent entre ceux qui t’élèvent et ceux qui te disent que tous les maîtres veulent te garder pour eux, de peur que nos échanges jettent de l’oïl sur le feu.

International, joual, créole, franglais… qui n’a pas été relégué aux cuisines ?

Particulièrement ceux qui ont appris à te dire avec Senghor et à t’aimer avec Césaire.

Mais on veut nous faire croire que le peuple s’endort, qu’aujourd’hui on ne te prêche que dans l’désert, que ton silence est d’or… et déjà victime.

Or, divisez tant que vous voudrez, le monde entier discute en ce moment et, quoi qu’on dise, les mots se rencontrent et le vague se brise. C’est dans la voix du peuple et dans son quotidien qu’une langue s’enrichit.

C’est dans l’slang de la rue, les murmures des usines. Sur tous les street corners funèbres où la survie fulmine. Dans les quartiers, les bleds, les hoods, les lèl

ces shit holes, ces trous d’merde qui maintenant se combinent, dans l’blues existentiel qui chante son départ, and it’s a rap ! – qu’on ne pourra plus refouler dans l’abîme.

Sur toutes les terres agricoles qui savent crier famine.

Les visages maussades, d’argent, de cobalt, de cuivre.

« Mon gars, t’apprendras pas à lire, tu vas m’suivre à’ mine. Parce’ faut qu’tu nourrisses tes enfin jusqu’à ce que mort s’ensuive… »

C’est dans les cases, où se cachent des châteaux dans des livres.

Des livres cachés hors de vue, loin des bullies et des maîtres,

loin des tablettes, là où se trouvent les voix de la liberté dont on nous prive.

C’est dans notre jeunesse abrasive qui nous fait briller !

Quand on leur parle sans les spolier, sans nous polir. Sans croire qu’en nous le verbe s’est fait cher, pis pauvres eux autres qui savent pas lire !

C’est dans notre cinéma quand il sait comment nous dire, uniques, sans doublage international.

Dans nos mélodies qui respectent tous nos accents toniques sans faire déchanter le tonus des autres cultures orales.

C’est dans toutes les écoles que les griots transmettent.

Les tounes de cachots, les films de condamnés qui tournent autour du monde pis qui nous restent dans la tête.

Cette vieille cassette que tu fais jouer en boucle et qui te délivre.

C’est à qui, l’tour ?

Taisez les mots reculs, taisez les mots déclins !

À qui l’tour, quand ici les mots amour et liberté sont devenus trop kétaines pour nos refrains ?

Alors ? Laissez-nous dire je t’aime en se donnant du love, en étant fuckin’ free !

Langue française, dis-leur que j’te laisse voyager, que c’est pas moi qui t’fuis !

Encore cette semaine, je t’ai entendue couronnée, chaperonnée… telle une reine à son crépuscule.

Pendant que d’autres nous déparlent de toi, te comparent à une guidoune qui

déambule, qui s’ouvre à toutes les langues pour frencher l’amour qu’elle n’a pas et prétendent que, prisonnière de ton appât, à l’aube, tu ne te démaquilleras pas.

Moi, je l’sais qu’tu fais ton shift, que tu fais ta ronde, comme tout l’monde,

tu fais d’ton mieux pour exister, pour t’lâcher lousse !

Pour qu’on s’raconte à nos enfants, tels que nous sommes, dans toute notre rigueur et nos dérives.

Reine ou guidoune, shake it, mama, you doing good, entre ceux qui t’défendent et ceux qui à toi te livrent.

À l’aube, quoi qu’on dise, Francophonie, nous descendrons tous de toi.

Pour l’instant, je sors du bateau ivre, les deux bras levés vers le ciel de givre

Car ma vitre est un jardin d’ogives.

Être et laisser suivre !

Shoutout au franc-parler de tous les charrieux de pitoune qui ont perdu leur royaume dans l’espérance de vivre…

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