Analyse

un appel à repousser la retraite

Québec — Plus que la croissance économique, le peu d’intérêt des Québécois pour un report de leur retraite est la source de la pénurie de main-d’œuvre que subit actuellement le Québec, comme la plupart des autres provinces. Si les baby-boomers du Québec restaient au travail aussi longtemps que leurs collègues ontariens, la pénurie de main-d’œuvre serait jugulée, disparaîtrait comme par magie.

Ce constat, c’est celui du ministre du Travail, Jean Boulet, qui a lancé cette année une « Grande Corvée » partout au Québec pour mieux synchroniser la formation et le marché du travail. « Dans toutes les régions, la population vieillit à un rythme assez effarant », constate l’avocat de Trois-Rivières. Depuis 2013, la population active, de 15 à 64 ans, est en déclin constant au Québec.

« Il s’agit d’un problème vraiment nouveau, souligne le premier ministre François Legault dans une entrevue accordée à La Presse. Il y a des industries où les salaires sont moindres qui devront être épaulées pour améliorer leur productivité, les moderniser. La majorité des emplois disponibles sont ceux qui sont moins bien payés, la réalité est que partout dans le monde industrialisé, il y aura beaucoup de difficulté pour ces entreprises à trouver des employés. » Même les établissements de restauration rapide devront se mettre à la robotisation, lance François Legault.

Les traces sont partout, tangibles. Des bannières « Nous embauchons » sont monnaie courante : tel propriétaire de pub est « à un cuisinier du bonheur » ; cet entrepreneur en toiture accroche son marteau, il vient de perdre son meilleur ouvrier, attiré par un emploi chez Costco.

Pour le ministre Boulet, le problème lancinant aujourd’hui deviendrait « académique » si, pour la rétention des travailleurs de plus de 60 ans, le Québec avait autant de succès que l’Ontario. « C’est épouvantable, on a beaucoup de rattrapage à faire », lance-t-il. Ce sont 90 000 travailleurs qui apparaîtraient subitement sur les listes de paie, partout au Québec.

Cette situation explique l’attention mise par Québec sur le maintien au travail des travailleurs « d’expérience ». C’est près de 900 millions sur cinq ans qui ont été injectés, dans le dernier budget, en allègements fiscaux pour les salariés et leurs employeurs. Pour les salariés de 55 à 59 ans, le portrait au Québec et en Ontario est comparable : 72,2 % des Québécois sont encore au travail, 71,6 % des Ontariens font de même.

C’est passé 60 ans que ça décroche : ici, 48,5 % des gens de 60 à 65 ans sont au travail, alors qu’on en trouve 55 % en Ontario et 53 % dans l’ensemble du pays.

Pourquoi est-ce différent ici ? Pas d’études sociologiques, pas d’explications non plus de la part du ministère du Travail.

Forte croissance, bas chômage

La diminution de la population active agissait, il n’y a pas si longtemps, comme un frein sur la croissance économique. Celle-ci a été fouettée par le bas loyer de l’argent, « des taux d’intérêt exceptionnellement bas, des excédents budgétaires successifs, une vague d’immigration et un marché du logement prospère », selon une analyse de la Banque Royale publiée au début du mois. Selon la Banque, il faut prévoir une « frénésie d’embauches ».

Statistique Canada confirme d’ailleurs cette tendance : le taux de chômage est tombé à 4,9 % en avril, le plus bas niveau en plusieurs décennies. En mai, toutefois, il est remonté à 5 %, ce qui demeure historiquement très faible. Dans la région de Québec, on est dans la zone du plein emploi, avec 2,9 % de chômeurs.

Mais ces résultats étincelants sont aussi un mirage. Pour la Fédération des chambres de commerce du Québec (FCCQ), le retour au plein emploi, « du jamais vu depuis près de 60 ans, […] est largement dû au vieillissement de la population. C’est une bonne nouvelle, mais pas pour la bonne raison ».

Travailleurs étrangers

Et l’immigration, dans tout ça ? Encore cette semaine, Le Quotidien, de Saguenay, a publié un grand reportage autour de 34 travailleurs mexicains qui iront s’installer à Roberval, ils ont déjà du travail dans une industrie locale. Les règles ont été assouplies pour les travailleurs saisonniers qui traversent la frontière, un apport névralgique de bras pour les maraîchers québécois.

Pour le ministre Boulet, toutefois, l’afflux de travailleurs étrangers n’est pas une panacée pour régler le problème de pénurie auquel fait face le Québec. La main-d’œuvre venue de l’étranger, « on en parle beaucoup, mais ce n’est pas la solution à tout ». « C’est, selon moi, 20 % de nos besoins en main-d’œuvre pour les 10 prochaines années », observe M. Boulet.

Pour Stéphane Forget, PDG de la FCCQ, convaincre plus de travailleurs âgés de rester en emploi est une solution à court terme au déficit de main-d’œuvre. Dans un horizon plus éloigné, la clé reste un niveau d’immigration plus robuste.

Ce problème du déficit de travailleurs n’est pas près de disparaître. Jean Boulet rappelle que « les jeunes qui sont sur les bancs d’école actuellement représentent environ 50 % de nos besoins de main-d’œuvre dans les six ou sept prochaines années ». D’où viendra l’autre tranche de 50 % ? Même en automatisant les usines, le Québec aura tout de même besoin de plus de 1 million de travailleurs supplémentaires en 10 ans.

Les prévisions de la FCCQ sont sombres. Sur la période 2015-2030, le nombre de Québécois en âge de travailler va diminuer de 1,5 %. Durant cette même période, l’Ontario verra sa classe active augmenter de 2,5 %, ce sera 3 % de plus sur l’ensemble du Canada.

François Legault aura fort à faire pour garder le cap sur ses repères de prédilection, les investissements privés et les revenus des autres provinces. 

Augmenter les salaires n’est pas la solution à la pénurie de main-d’œuvre – le Québec s’achète des problèmes en haussant trop agressivement le salaire minimum, observe M. Boulet. D’abord, il contribue au décrochage scolaire des élèves alléchés par de meilleurs revenus. D’autre part, il risque de plonger dans le pétrin des petites entreprises qui peinent à garder la tête hors de l’eau. Avec la dernière hausse à 12,50 $ l’heure, pour la première fois, le salaire minimum dépassait la barre des 50 % du taux moyen.

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