Les lignes horizontales

Mes phrases préférées

Bondrée

Andrée A. Michaud

Québec Amérique, 304 pages

J’ai le plaisir d’être parrain d’honneur de la 12e édition du Prix littéraire des collégiens. Mes textes de février et mars portent sur les œuvres finalistes, dont fait partie Bondrée, d’Andrée A. Michaud.

J’aime les premières phrases qui arrivent comme un train déjà en marche, qui décollent vite et auxquelles on doit s’agripper pour monter dans le livre.

Bondrée ouvre avec : « Bondrée est un territoire où les ombres résistent aux lumières les plus crues, une enclave dont l’abondante végétation conserve le souvenir des forêts intouchées qui couvraient le continent nord-américain il y a de cela trois ou quatre siècles. »

Des ombres, des lumières, des enclaves, des forêts, des continents et des siècles. Pas pire. Trop de romans commencent avec « C’était sa deuxième camomille ».

Et la deuxième phrase, elle aussi, va droit au but et nous donne ce qu’on a besoin de savoir :

« Son nom provient d’une déformation de boundary, frontière. Aucune ligne de démarcation, pourtant, ne signale l’appartenance de ce lieu à un pays autre que celui des forêts tempérées s’étalant du Maine, aux États-Unis, jusqu’au sud-est de la Beauce, au Québec. »

En sept lignes, on trouve plus d’informations pertinentes qu’en une saison complète de La guerre des enchères, à Canal D.

L’histoire se déroule à l’été 1967 avec un contre-emploi du « summer of love », où tout était beau. Pour cette petite communauté de vacanciers, la disparition de deux jeunes filles tache l’arc-en-ciel qui trône au-dessus de cet été mythique et féerique. On croit que rien ne peut nous arriver quand le tube du moment est Lucy in the Sky with Diamonds des Beatles. T’sais ?

Gilles Ménard est le premier suspect. Mais on n’y croira pas trop. Gilles Ménard n’est pas un nom de meurtrier. C’est toujours sympathique, un Gilles Ménard. Et sa femme s’appelle Jocelyne. Re-t’sais ?

Après les deux premières, d’autres phrases ont provoqué chez moi une réaction, un soulèvement de sourcil approbateur ou un vague miaulement admiratif… dont il est difficile de traduire les nuances sur papier, mais si jamais nos chemins se croisent dans un endroit public, faites-moi signe, je vais vous miauler ça pour 5 $.

Donc, phrase de miaulement, page 88 : « Zaza Mulligan avait de trop longs cheveux pour ne pas aimer la vie. »

Le premier meurtre aura lieu dans la nuit du 21 au 22 juillet, qui est une date épouvantable pour être assassiné. Le plus été des jours d’été. C’est tellement joyeux, un 21 juillet. C’est le Gilles Ménard des dates.

Phrase préférée numéro 2, page 177 : « Il lui fallait traquer cette peur, au risque de bousculer davantage la jeune fille, car il était évident qu’elle mentait comme un mauvais arracheur de dents. »

Il est curieux comment certaines descriptions, certains détails, peuvent donner à une histoire de meurtres crapuleux quelque chose de réconfortant.

Les réunions d’hommes entourant les meurtres, pourtant extrêmement tendues, sont souvent adoucies par la préparation de café frais, de buns chaudes, de chips, de bière.

Les battues en forêt pour retrouver des pistes ou les interrogatoires menés par les deux enquêteurs chez les familles s’agrémentent ou se terminent avec une boisson rassurante.

Il est aussi souvent question d’embrasser sa femme avant de quitter la maison, de retrouver sa femme le soir devant un repas chaud, de partir le matin avec un thermos de café préparé par sa femme…

Jamais grossièrement plaqué, on sent vraiment, mais avec subtilité, l’époque de la femme à la maison et les 50 ans d’écart avec aujourd’hui. Pour les pères de famille de Bondrée, le climat d’horreur est apaisé par la présence rassurante de l’épouse.

Page 185 : « Lorsqu’il était rentré, Dorothy l’attendait. Elle lui avait gardé des macaronis qu’elle avait réchauffés pendant qu’il se servait un bourbon et lui racontait les grandes lignes de l’affaire. »

Ça donne le goût de s’en verser un. Ce que je fis. Mais juste un, car on ne lit pas Bondrée avec les petits yeux mous. Faut suivre. Et à 26,95 $ pour 300 pages, cher monsieur qui m’a écrit en me disant ne pas lire de livres où le coût revient à plus de 10 sous la page, vous en aurez pour votre argent (on est à neuf sous la page.)

Notez également, à la page 60, la présence du mot putride, que j’estime sous-utilisé en littérature. Probablement dû à l’expression faciale qui se colle à notre visage au moment de la prononciation du « i ». Putriiiide… Ça se prononce avec une face de désagrément… Encore une fois, peut-être floue sur papier, mais comme je vous l’ai dit, si on se croise en public, je vous la mime en direct… Mais celle-là se détaille à 7 $.

Bonne lecture.

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