Opinion Nadia El-Mabrouk

La religion reprend du galon

La Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (CDPDJ) vient de se voir retirer, par le ministère de l’Immigration, de la Diversité et de l’Inclusion (MIDI), le mandat de mener une consultation sur la discrimination systémique et le racisme. On ne peut que se réjouir de ce changement de cap, et pour cause !

Au-delà de la mécanique des consultations et des crises internes graves à la Commission, c’est bien l’orientation idéologique choisie par la CDPDJ qui est le plus problématique.

En consultant les deux documents élaborés par la CDPDJ à l’attention des organismes à but non lucratif (OBNL) sélectionnés pour récolter les témoignages des victimes de discrimination, on constate un biais en faveur de la religion, qui était absent de l’appel d’offres lancé au mois de juillet par le MIDI. Il était alors très clair que les discussions porteraient « seulement sur la discrimination sur la base de la "race", de la couleur, de l’origine ethnique et nationale ». Or, dans les documents de la CDPDJ, voilà que la religion est promue comme motif principal de discrimination ! De plus, la religion est systématiquement présente dans toutes les phrases parlant de discrimination sur la base de la « race » ou de l’origine ethnique. Ce faisant, la Commission contribue à associer toute critique de la religion à du racisme.

Un glissement de sens

La CDPDJ serait-elle en train de dénaturer l’esprit des chartes en considérant l’affichage de son appartenance confessionnelle, au même titre que l’appartenance ethnique, comme un élément constituant du citoyen ? 

La Charte des droits et libertés de la personne, rédigée au moment où le Québec se libérait du contrôle excessif de l’Église catholique, a permis que la religion ne soit plus un marqueur de la personne. 

Elle a fait en sorte qu’un employeur ne puisse plus demander la religion de son employé. Cet anonymat religieux est une avancée et un élément de progrès dans une société.

La Commission prône-t-elle maintenant le rétablissement de la religion comme critère d’embauche ? Devra-t-on bientôt demander la religion des personnes pour assurer la représentativité des groupes religieux dans les services publics ? Et comment va-t-on s’assurer de bien montrer cette représentativité ? En demandant à chacun d’afficher ostensiblement ses croyances religieuses ?

Vers une hiérarchie des droits

Les directives de la CDPDJ suggèrent une nouvelle hiérarchie des motifs de discrimination, à savoir le motif religieux au-dessus des autres motifs prévus par la Charte, dont le sexe, l’âge ou le handicap.

Curieusement, en novembre 2016 lors des travaux parlementaires concernant le projet de loi 62 sur la neutralité de l’État, la CDPDJ s’était opposée au fait qu’un accommodement religieux soit soumis à la contrainte de respecter le droit à l’égalité entre les femmes et les hommes. Isoler un motif de discrimination risquait, selon le représentant de la CDPDJ, de créer une hiérarchie des droits. N’est-il pas paradoxal que la Commission se soit opposée à la primauté du droit des femmes, mais consacre maintenant la primauté de la religion ?

Est-ce là un autre exemple du détournement de l’esprit de la Charte qui s’opère par l’entremise de la CDPDJ ? Rappelons que l’égalité entre les femmes et les hommes est un principe fondateur de notre société et figure même en préambule de la Charte québécoise. 

L’égalité des sexes et celle des non-croyants avec les croyants sont des valeurs non négociables de notre société et le fondement de notre démocratie. 

C’est ce qui en fait sa force, assure un mieux vivre-ensemble et attire de nombreux néo-Québécois.

Une vigilance de mise

Avouons qu’il y a de quoi mettre en doute la crédibilité de la Commission dont l’errance idéologique n’a échappé à personne. Comme l’a déclaré le ministre David Heurtel, « ce n’était pas le véhicule approprié » permettant d’aboutir à des mesures concrètes en matière d’emploi. On ne peut donc que se réjouir du retrait du mandat à la Commission, et du « recadrage » de l’exercice autour de la question de l’emploi. Mais bien des inquiétudes demeurent.

Il faut savoir que les 31 OBNL sélectionnés pour récolter les témoignages, dont certains ont été fortement contestés en raison de leur manque de neutralité, conserveront leur mandat. De plus, dans un communiqué du 20 octobre dernier, la CDPDJ annonce son intention de poursuivre ses travaux visant à lutter contre la discrimination systémique et le racisme. Peut-on espérer que ces travaux se feront sur une base scientifique et non pas idéologique ?

Pourrait-on enfin, au-delà de toute récupération politique, passer à l’action et mettre en œuvre des solutions concrètes pour résoudre les problèmes de discrimination à l’emploi et favoriser l’intégration de tous, dans le respect de la société d’accueil ?

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