Joëlle Tremblay

Une prof au front

L’inéducation ‒ L’industrialisation du système d’éducation au Québec
Joëlle Tremblay
Somme toute
96 pages

Un autre livre sur l’éducation ? Oui, et cette fois, c’est une enseignante de philosophie au collégial qui prend la plume. Dans L’inéducation, Joëlle Tremblay dénonce l’industrialisation de notre système d’éducation. Son constat est dur et sans compromis : arrivés au cégep, dit-elle, les jeunes réalisent par eux-mêmes à quel point l’école les a mal préparés. Ils ne savent pas réfléchir et n’ont pas appris à apprendre. Rencontre avec une passionnée qui a l’éducation à cœur.

Depuis plusieurs années, on entend parler de marchandisation de l’éducation. Vous dites qu’il faudrait plutôt parler d’industrialisation. Que voulez-vous dire ?

Ce n’est pas moi qui ai inventé ce terme, c’est une critique qui est née dans les années 60, à peu près en même temps que le concept de marchandisation. Je trouve que lorsqu’on analyse le processus en place dans notre système d’éducation, il est comparable au processus industriel. Nous avons une vision utilitaire de l’éducation. Chaque savoir transmis doit être réutilisable, il doit se transformer en savoir-faire, en compétence. On ne transmettra pas des connaissances qu’on ne peut pas réutiliser. Donc tout ce qui est culture générale est balayé du revers de la main. Toujours dans cette optique, on a rationalisé l’acte d’enseigner. Il n’y a plus de maître qui transmet son savoir, il y a un technicien interchangeable qui doit avoir des compétences en pédagogie. Enfin, on a introduit le concept d’efficacité ou d’efficience du processus. Comme dans une industrie. Sauf que sur la chaîne de montage, au lieu d’avoir une boîte de carton, il y a nos enfants.

Le taux de diplomation est un faux indicateur, selon vous ?

On vise le diplôme à tout prix et non la qualité du diplôme. Pourquoi ? Parce qu’actuellement, il existe deux types de subventions dans le système d’éducation : à l’entrée et à la sortie de l’élève. Il faut produire le plus de diplômes possible pour avoir le plus de subventions possible. On n’est plus dans un rapport de qualité ou d’excellence.

Vous critiquez également la transformation du rôle de l’enseignant. Pourquoi ?

On dit souvent en éducation que l’élève est au centre de son apprentissage. Dans ce contexte, le professeur devient un accompagnant et ce qu’on vise, c’est l’autonomie de l’élève. On va lui donner des méthodes de recherche pour qu’il découvre par lui-même les savoirs. Il y a encore des cours magistraux, jugés comme des cours passifs où l’étudiant ne fait rien, mais c’est faux, il fait quelque chose. Il écoute, il apprend. Les savoirs théoriques, ça a l’air ben plate, mais il faut être capable d’écouter pour être capable de comprendre.

On a souvent dit que l’école devait s’adapter aux jeunes qui évoluent dans un environnement interactif et technologique. N’est-ce pas un peu normal de trouver des façons de les intéresser ?

Oui, tout à fait. La pédagogie par projet, par exemple, a du bon. Ce que je dis, c’est que ce ne sont pas tous les savoirs qui peuvent s’apprendre comme des savoir-faire. Si je prends l’exemple de mes classes de cégep, c’est clair qu’on s’adapte et qu’on utilise de la pédagogie, mais on n’a pas tout réformé. Pas moi en tout cas. Je n’utilise pas de PowerPoint, j’écris encore au tableau et les étudiants restent assis deux heures. Il se passe quelque chose dans la classe et il n’est pas question qu’on prenne une pause. Oui, il y en a qui se tortillent sur leur chaise, mais force est de constater qu’ils sont là, et présents d’esprit. Il faut les amener à être attentifs.

Vous écrivez que tous les changements qu’a subis notre système d’éducation ne fonctionnent tout simplement pas, mais que personne ne veut en parler, que c’est un tabou. Que voulez-vous dire ?

Regardez la proportion d’analphabètes fonctionnels au Québec. On se dit : on va donner un peu plus de sous à l’organisme qui s’en occupe et on va régler le problème, mais il vient d’où, le problème ? Avant, au Québec, les gens n’avaient pas tous la chance de compléter un secondaire 5, mais aujourd’hui, ce n’est plus le cas. Je serais curieuse de connaître le taux d’alphabétisation chez les jeunes. Quand on va connaître la réponse, on va peut-être chercher une solution. Pour l’instant, il n’y a pas de plan, pas de vision.

L’autre chose qui me fait dire que le système ne fonctionne pas : le comportement des jeunes en classe. Prenez l’anxiété de performance. Dès que les étudiants n’ont pas de consignes, ils sont complètement démunis et incapables de débrouillardise. C’est bien simple, ils ne savent pas quoi faire, ils s’écrasent. Or c’est une conséquence directe de la manière dont on leur a enseigné au primaire et au secondaire. On les a habitués à obéir à des consignes. Mais quand on leur demande d’argumenter, ou qu’on leur pose une question à laquelle ils ne connaissent pas la réponse, ils paniquent. Ils disent : j’aime mieux ne pas répondre, j’ai peur de me tromper. Or c’est normal de se tromper, c’est comme ça qu’on apprend. Mais eux, ce qu’ils veulent, c’est avoir la bonne réponse. De la même façon, ils laissent des blancs partout dans leurs examens, encore une fois par peur de ne pas donner la bonne réponse. Ce sont des microproblèmes, mais ils cachent quelque chose de plus profond.

Y a-t-il une solution ? Que proposez-vous ?

Premièrement, il faut une véritable vision qui viendrait d’une volonté politique de remettre l’éducation au premier plan. Ensuite, il faut ramener la triade au cœur de l’école. Oui, l’enfant est au centre de son apprentissage, mais il n’est pas seul. Le professeur et le savoir doivent s’y trouver aussi.

Enfin, il faut mieux former les professeurs. Il faut que la volonté vienne d’en haut, mais aussi de la base, autant des parents que des enseignants que des directions d’école qui ne sont pas dupes et qui voient bien ce qui se passe. Je ne réinvente pas la roue avec mon livre, je nomme un chat un chat. Mais quand j’entends les politiciens dire que l’éducation est une priorité au Québec, je suis tannée de rire. C’est un mensonge éhonté.

Essai

Comment en sommes-nous arrivés là ?

L’âge de la régression ‒ Pourquoi nous vivons un tournant historique
Collectif d’auteurs
Premier Parallèle
317 pages

Consolidation des mouvements identitaires, volonté de démondialiser (pensez Brexit), propagation du racisme et de l’islamophobie, augmentation des crimes haineux, montée en puissance des démagogues… On croirait faire une revue de l’actualité récente. Selon les auteurs de cet ouvrage, ce sont tous là des signes de la grande régression que nous traversons actuellement. Comme on peut le lire dans la préface, « tout ce qui avait été écrit il y a presque vingt ans de cela, sur les répercussions, alors encore à venir, de la globalisation s’est avéré pour l’essentiel exact ». Inégalités sociales, élection de Trump, austérité… Les 15 intellectuels et chercheurs signent des textes éclairants sur ce qui est, et sur ce qui nous attend au cours des prochaines années. Un ouvrage précieux pour mieux comprendre la période trouble que nous traversons.

Essai

Banks, le voyageur

Voyager
Russell Banks
Actes Sud
314 pages

Si on aime l’écrivain Russell Banks, on se délectera de ses récits de voyage entrecoupés de réflexions méditatives sur sa vie amoureuse. Homme à femmes, Banks a été marié quatre fois et revient avec lucidité sur les couples qu’il a formés avec chacune de ces femmes (il est toujours uni à la quatrième). C’est aussi un aventurier qui a fait de folles virées, qu’il s’agisse de l’ascension du Kilimandjaro (un cadeau de ses amis pour ses 70 ans !), d’un entretien de six heures avec Fidel Castro à Cuba, ou de la montée de l’Aconcagua, un sommet de près de 7000 mètres entre le Chili et l’Argentine. Réflexions, confidences, méditations. On dirait bien que l’écrivain est arrivé à l’heure des bilans. Les fans apprécieront.

Essai

Les raisons de la colère

Rébellion
Femen
Des femmes Antoinette Fouque
188 pages

Pour plusieurs, le collectif Femen se limite à une bande de furies qui manifestent les seins nus dans des événements publics comme le Grand Prix. Mais que veulent les Femen au juste ? Dans cet ouvrage collectif, le mouvement – fondé en 2008 par des étudiantes ukrainiennes qui protestaient contre l’industrie du sexe – explique ses positions sur plusieurs sujets brûlants comme la prostitution, les intégrismes, l’accès à l’avortement, les droits des LGBT, etc. Réflexions, prises de position, témoignages… il ne s’agit pas d’un traité philosophique, mais plutôt d’un tour d’horizon des différentes positions défendues par cette organisation féministe qu’on peut qualifier de révolutionnaire. C’est aussi un récit des différents combats menés au fil des ans. Et un appel à la rébellion de toutes les femmes. Une lecture qui fouette.

Essai

Une vie chinoise

Notre histoire ‒ Pingru et Meitang
Rao Pingru
Seuil
360 pages

Ce livre, que certains ont qualifié d’« autobiographie à deux », ne ressemble à aucun autre. L’écrivain et peintre Rao Pingru, 90 ans, y raconte son histoire et celle du couple qu’il a formé avec Meitang, qui s’est éteinte il y a maintenant 10 ans. À travers cette histoire intime, c’est toute la Chine du XXe siècle qui se dessine. Pingru s’enrôle dans l’armée, se bat contre les Japonais, puis participe à la guerre civile. Il sera capturé et emprisonné durant 22 ans avant de retrouver sa bien-aimée qui l’a patiemment attendu. Illustré par plus de 200 aquarelles et dessins de Pingru, ce beau livre rouge était destiné aux petits-enfants du couple. Une éditrice a eu la brillante idée de nous le faire découvrir. Les amoureux de la Chine, ainsi que tous ceux qui aiment les belles histoires d’amour, apprécieront.

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