Mon clin d’œil

Normalement, quand des voitures tournent en rond, durant des heures, à Montréal, c’est pour trouver du stationnement. Sauf aujourd’hui…

Témoignage

Une mort annoncée

« Je reste à l’hosto. Cancer stade 4 avec tumeurs au cerveau. Espérance de vie de 1 ou 2 ans si je me soigne… Pas sûre ! J’aime mieux mourir jeune et en bonne santé avec l’aide à mourir plutôt que moisir pendant deux ans. »

Voilà comment j’apprenais, par texto, que mon épouse était condamnée. Les analyses démontreront rapidement que c’est un mélanome et qu’elle n’en a que pour quelques mois.

La page web du ministère de la Santé exposant les critères pour avoir droit à l’aide à mourir dit qu’il faut « éprouver des souffrances physiques ou psychologiques constantes, insupportables et qui ne peuvent être apaisées dans des conditions jugées tolérables ». Le verbe « éprouver » est au présent, pas au futur. Nous comprenons qu’il faut que ça fasse mal avant d’y avoir droit – perspective peu réjouissante.

Mon épouse ne veut justement pas éprouver ces souffrances insupportables ni infliger son état aux êtres chers pendant des semaines ou même des mois. C’est le but du recours à l’euthanasie.

Nous faisons rapidement le tour des possibilités de suicide assisté offertes ailleurs dans le monde. Toutes sont inaccessibles pour des raisons de résidence requise ou de délais trop longs.

On se met à discuter de méthodes de suicide, évidemment sans mon aide pour ne pas encourir les conséquences du Code criminel. Elle est déjà trop faible pour s’aider elle-même à mourir. Elle est coincée.

Elle a déjà abordé un peu le sujet avec le médecin, mais pas en détail, tous les deux attendent d’avoir un exposé à venir de l’oncologue au sujet des traitements possibles.

Un jour, je croise par hasard dans le couloir de l’hôpital le médecin responsable des soins palliatifs et de l’aide à mourir et lui expose ma compréhension de la situation.

Sa réponse ? Elle n’a pas besoin d’être enfoncée dans la torture et la déchéance. On peut faire ça rapidement. Quel soulagement ! Un gros souci en moins.

Mais il en reste un autre, et non le moindre : le cerveau est rempli de tumeurs, dont une de 4 cm de diamètre. Pour l’instant, il n’y a que de la faiblesse au côté gauche et des pertes d’équilibre, mais la confusion mentale s’en vient et personne ne peut prédire quand et à quelle vitesse. C’est sûr qu’elle va perdre la possibilité de consentir. Si on attend, on va savoir combien de temps ça prend, mais là, il sera trop tard. La loi est ainsi faite.

Finalement, trois semaines après le texto du début de cette histoire, l’euthanasie a eu lieu à la maison dans de très bonnes conditions. Elle est morte dignement, heureuse, en pleine possession de son esprit. Ce jour-là, elle envoya ceci à ses amis et proches : « Née sous une bonne étoile, je quitte aujourd’hui la vie sans regret, avec le sentiment de l’avoir savourée, même si la révolte contre les injustices fut pour moi un paradoxe insoluble. »

Peut-être aurait-elle pu vivre lucide encore quelques semaines, mais le risque était trop grand pour essayer de voir.

J’ai écrit ces lignes pour que les lecteurs comprennent bien que l’euthanasie est disponible avant que ça fasse mal. Ça, je ne le savais pas, et je me rends compte qu’autour de moi personne ne le sait non plus.

Nous devons améliorer notre loi pour que l’euthanasie puisse être disponible aux gens encore lucides atteints de maladies dégénératives mentales ou physiques. Elle doit aussi nous permettre de l’appliquer à notre moi futur incapable de consentir.

Il reste du chemin à faire pour que la dignité et l’autonomie humaines soient pleinement reconnues.

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