Chronique

Le moment où tout a basculé…

Impossible de revenir sur l’année culturelle 2017 sans parler du MOMENT ; celui où tout a basculé et où un retour aux anciennes façons de faire est subitement devenu impensable, inconcevable, irrecevable, plus jamais possible.

Quand je pense à ce moment-là, je vois toujours la même scène diffusée en direct sur CNN. Dans cette scène, il n’y a pas Harvey Weinstein, ni Gilbert Rozon, ni aucun de ceux par qui le scandale des inconduites sexuelles est arrivé. Non, ils n’y sont pas. Pas encore.

Dans ma scène, il n’y a que la statue de Saddam Hussein dans Bagdad assiégé, une immense statue de pierre arrachée de son socle par la foule et qui s’effondre avec fracas, marquant la fin du tyran et de sa tyrannie – la fin d’un monde, en somme.

C’est cette image qui me revient en boucle quand je pense à Harvey Weinstein, à Kevin Spacey, à Charlie Rose, à Matt Lauer, à Rozon, à Salvail, à Archambault et à des dizaines d’autres – des géants, des titans, des monuments dont la statue a été déboulonnée et dont la carrière et la réputation sont ternies, salies, brisées à jamais.

La tentation est forte de croire que tout cela n’est que le fruit du milieu culturel, un milieu de débauche, d’excès et d’ambitions mal placées, mais c’est un leurre.

Le milieu culturel a l’avantage – ou le défaut – d’être constitué de gens connus et médiatisés dont les histoires ont valeur d’exemple. C’est pourquoi ce sont leurs inconduites sexuelles qui font les manchettes et non celles de l’obscur comptable ou du plombier inconnu. Mais qu’on l’admette ou non, le phénomène des inconduites sexuelles se retrouve dans tous les milieux. Et tôt ou tard, tous ces milieux où règne encore le silence vont être touchés et bousculés par la parole que le mouvement #MoiAussi a libérée.

Reste que culturellement parlant, 2017 n’a pas été qu’une année d’aveux douloureux, de dénonciations souffrantes et de chutes brutales. D’autant que c’est seulement le 5 octobre, date de publication de l’enquête sur Weinstein dans le New York Times, que tout a basculé.

L’année 2017 nous a tout de même offert des œuvres phares, des gestes artistiques lumineux et des propos empreints de beauté et de poésie. Bref, tout n’a pas été noir.

Si je devais choisir parmi tout ce que j’ai vu sur scène, au cinéma, dans les musées, les galeries ou à la télé cette année, j’arrêterais mon choix en premier, en tout premier, sur une série télé qui m’a captivée, bouleversée, ravie, tenue en haleine : Big Little Lies, réalisée pour le compte de HBO par Jean-Marc Vallée.

J’aurais sans doute préféré que mon cœur flanche pour une série tournée ici et signée par un auteur québécois, d’autant plus que le talent était au rendez-vous cette année, que ce soit avec L’imposteur, Au secours de Béatrice, District 31, Jenny ou Faits divers.

Mais dans l’absolu, mon coup de cœur en 2017, c’est Big Little Lies, pour cette histoire fascinante de femmes privilégiées et malheureuses comme les pierres qui n’ont aucune conscience de leur chance, pour le jeu extraordinaire des trois actrices – Laura Dern, Nicole Kidman et Reese Witherspoon –, pour les choix musicaux jouissifs de Jean-Marc Vallée et pour sa mise en scène rigoureuse et inspirée et sa façon toute personnelle de capter la vérité de ses personnages sans jamais tomber dans la caricature.

D’ailleurs, je ne répéterai pas assez toute mon admiration pour ce Québécois qui réussit à jouer dans les ligues majeures américaines sans se faire bouffer par la machine, sans faire de compromis artistique ni sacrifier sa recherche d’authenticité. Tout ce que je souhaite, c’est que le Québec, où il continue néanmoins de vivre, ne l’ait pas perdu artistiquement parlant.

En 2017, j’ai aussi craqué pour…

La bonne âme de Se-Tchuan au TNM, qui a commencé 2017 en beauté avec un feu roulant de répliques drôles et cinglantes signées Brecht, mises en scène (et en bouche) par Lorraine Pintal et mises en musique par Philippe Brault. Un petit bijou.

Habiter Villeray aux Écuries : le spectacle le plus sympa de l’année, signé par l’Abitibienne Marcelle Dubois. À la manière d’un détective ou d’un journaliste qui enquête, l’auteure nous a offert un portrait touchant du quartier Villeray à travers une galerie de personnages vrais et vivant tous encore à Villeray.

Revolution : l’expo surtout musicale et auditive du Musée des beaux-arts de Montréal sur les années 60 et 70 qui a su réveiller et faire revivre comme si c’était hier tous mes souvenirs d’adolescence.

Footloose, la comédie musicale de l’été dernier, mise en scène, traduite et adaptée par Serge Postigo, qui nous a révélé l’énergie volcanique et la puissance vocale et rythmique de la talentueuse Éléonore Lagacé.

In Vitro (ou comment ne pas faire de bébé), le one-woman-show drôle et bouleversant de Véronick Raymond, actrice, auteure, communicatrice et future ex-mère, perdue au pays de la procréation assistée.

Jérôme Bosch : Le jardin des délices de Marie Chouinard. Parce qu’on ne se lasse jamais des chorégraphies de la grande Marie, même quand elles nous dérangent, nous troublent, nous tétanisent ou nous exaspèrent.

Le pont Jacques-Cartier illuminé par Moment Factory et un consortium de studios montréalais parce que même si ça prend 500 projecteurs, 2708 tubes électriques et des kilomètres de filage, il n’y a rien de plus beau qu’un pont qui brille de tous ses feux la nuit.

Olafur Eliasson : Maison des ombres multiples. L’expo très tactile et interactive d’un artiste danois connu et célébré dans le monde entier et qui se souvenait d’avoir participé à sa première exposition de groupe non pas à Milan, à Tokyo ou à Londres, mais à Amos, en Abitibi.

Expo 67 : Mission impossible, le documentaire de Guylaine Maroist, Michel Barbeau et Éric Ruel. Grâce à des archives exceptionnelles et rarement accessibles, le documentaire nous plonge au cœur du projet fou et furieux que fut Expo 67 et ses extraordinaires bâtisseurs.

Montréal symphonique : le plus beau, le plus gros, le plus atypique, historique et symphonique concert des célébrations du 375e anniversaire : un moment absolument magique à la fin de l’été au pied de la montagne, que nous ne sommes pas près d’oublier.

Sur ce, chers lecteurs, je vous souhaite le plus beau et magique temps des Fêtes et au moins un MOMENT de paix, de bonheur et de grâce.

Chronique

Mon année 2017 en 17 œuvres

MUSIQUE

Le rock n’est pas mort

Le rock, dont on annonce depuis des années l’imminente disparition, n’est pas mort en 2017. À preuve, les excellents albums de The War on Drugs (A Deeper Understanding), The National (Sleep Well Beast), Spoon (Hot Thoughts) et The xx (I See You). Ceux que j’ai le plus écoutés cette année. Des guitares au premier plan, des arrangements dans l’air du temps et de l’excellent songwriting.

Le silence des troupeaux de Philippe Brach

Dans la mouvance folk-rock, très prisée au Québec, un album s’est démarqué en 2017 : Le silence des troupeaux de Philippe Brach, avec ses instrumentations originales, ses élans de guitares se mariant à des arrangements de cordes et ses interludes orchestraux à la Sgt. Pepper’s Lonely Hearts Club Band. La voix riche de Brach, mélange de Fred Fortin et de Rufus Wainwright, sa poésie simple et souvent drôle (Rebound chantée par un chœur), ses mélodies accrocheuses avaient tout pour séduire.

Arcade Fire au Centre Bell

Son plus récent album, Everything Now, a beau être parmi ses moins réussis, la bande d’Arcade Fire est toujours aussi électrisante sur scène. Son passage dans un Centre Bell archicomble début septembre, après la déception d’un Centre Vidéotron dégarni, a semblé galvaniser les troupes. Sur une scène centrale rotative, s’échangeant leurs instruments comme à leur habitude, Win et Will Butler, Régine Chassagne, Richard Reed Parry, Tim Kingsbury, Sarah Neufeld et Jeremy Gara ont enchaîné leurs succès des 15 dernières années sans temps morts. Le concert mémorable de bêtes de scène au sommet de leur forme.

Rest de Charlotte Gainsbourg

Le quatrième album studio de Charlotte Gainsbourg, Rest, réalisé par le Français SebastiAn, compte parmi ses collaborateurs Guy-Manuel de Homem-Christo (la moitié de Daft Punk), Owen Pallett, Connan Mockasin et Paul McCartney. Et il est magnifique. La chanteuse et comédienne a écrit pour la première fois ses propres paroles, la plupart sont en français. Il est beaucoup question de sa sœur Kate, qui s’est suicidée, dans ces textes mélancoliques, alors que la musique électro entraînante, funky et dansante de SebastiAn a des accents rétros à la Charlotte Forever, album composé pour Charlotte Gainsbourg à l’adolescence par son père Serge. L’effet de contraste entre la gravité des textes et le côté joyeusement mélodique de la musique – beaucoup plus assumé que sur ses précédents disques 5:55, IRM et Stage Whisper – est irrésistible.

THÉÂTRE

J’aime Hydro de Christine Beaulieu

C’est dans le doute de sa démarche, dans son aveu d’ignorance maintes fois répété, dans l’autodérision qui traverse son spectacle comme un fil d’Ariane que Christine Beaulieu a touché, à mon sens, une corde sensible auprès du grand public avec son merveilleux spectacle J’aime Hydro. Il y a énormément de questions et d’informations pertinentes dans ce documentaire théâtral ingénieux. Hydro-Québec est un fleuron dont le développement exponentiel est remis en question par la dramaturge et comédienne de la manière la plus efficace : avec bonne foi et honnêteté, en pesant le pour et le contre, en présentant les deux côtés de la médaille et en faisant entendre une multiplicité de points de vue. Dire que J’aime Hydro fait œuvre utile serait bien réducteur. C’est un service essentiel.

FILMS

Call Me by Your Name de Luca Guadagnino

Cette histoire d’amour pure campée en Lombardie, entre deux jeunes hommes de 17 et 24 ans, est le film le plus émouvant que j’ai vu cette année. La montée en puissance d’une tension sexuelle subtile, l’élan des premiers émois amoureux, la répression des sentiments à une époque – le début des années 80 – où l’homosexualité était encore vécue clandestinement par plusieurs. Le chamboulement du cœur, exacerbé par la musique new wave de l’époque (Love My Way des Psychedelic Furs) et la bande originale de Sufjan Stevens. Le sublime duel d’acteurs de Timothée Chalamet et Armie Hammer. Et cette scène d’anthologie, belle à pleurer, d’amour inconditionnel, entre un père et son fils.

I Am Not Your Negro de Raoul Peck

Le prolifique cinéaste haïtien Raoul Peck a réalisé un bijou de film biographique sur l’écrivain et militant afro-américain James Baldwin. I Am Not Your Negro, œuvre originale et percutante, trace à travers des images d’archives des parallèles troublants entre les mouvements des droits civiques des années 60 et celui de Black Lives Matter aujourd’hui. Une communion entre la pensée de Peck et celle de Baldwin, un intellectuel homosexuel à une époque (les années 50 et 60) où il fallait énormément de courage pour s’afficher ouvertement, fait par ailleurs réfléchir au rapport à la différence. Le discours éloquent de James Baldwin, disparu en 1987, est on ne peut plus actuel, 30 ans plus tard. Comme quoi plus ça change…

Les affamés de Robin Aubert

Avec son cinquième long métrage, Les affamés, Robin Aubert a fait un retour au cinéma de genre, 12 ans après Saints-Martyrs-des-Damnés. L’acteur-cinéaste a signé cette année un film de zombies inspiré et poétique, qui se pose en métaphore du contexte social actuel : l’accueil que l’on réserve aux étrangers, le clivage entre les campagnes et les villes, etc. Émaillé d’un humour noir absurde qui marque des pauses dans un récit haletant, fort en tension et en émotions, Les affamés se démarque par son originalité dans le paysage cinématographique québécois.

Visages, villages d’Agnès Varda et JR

L’artiste JR, 34 ans, est connu notamment pour avoir affiché des photos géantes de Palestiniens et d’Israéliens sur le mur de sécurité de Jérusalem en 2007. Agnès Varda, 89 ans, fut l’une des figures de proue de la Nouvelle Vague. Ensemble, ils sillonnent les villages de France à bord du « camion photographique » de JR, à la rencontre des gens qu’ils photographient et dont ils racontent les histoires. Visages, villages est un film absolument charmant de poésie, mené par deux êtres libres et fantaisistes. Il y a une odeur de Nouvelle Vague dans les dialogues décalés et la mise en scène à quatre mains des cinéastes, ainsi que bien des clins d’œil à Godard, dont l’ombre plane sur le film jusqu’à la fin. Et on se demande s’il ne s’agira pas du testament artistique d’Agnès Varda.

ROMANS

Ici, ailleurs de Matthieu Simard

Simon et Marie emménagent dans une maison de campagne. Un drame se trame. On saura rapidement que ce jeune couple ne survivra pas à son déménagement près d’un village à la dérive. On finira par apprendre pourquoi. D’une écriture subtile et sensible, Matthieu Simard installe une atmosphère d’angoisse, un climat anxiogène, avec beaucoup de psychologie. Ici, ailleurs est un récit réaliste auquel sont incorporés des éléments de fantastique. Il s’agit d’un roman à deux voix, celles de Simon et Marie, qui semblent parler d’un même souffle, avec juste assez de variations pour qu’on les distingue dans ce relais ingénieux, sans pour autant qu’il y ait de ruptures de ton. L’écriture de Matthieu Simard porte un espoir lumineux, un humour en filigrane, qui fait mieux digérer ce récit incontestablement sombre.

L’avancée de la nuit de Jakuta Alikavazovic

L’auteure française d’origine bosniaque Jakuta Alikavazovic raconte les amours tragiques et déchirantes d’Amélia et de Paul. Amélia habite un hôtel ; Paul y travaille. Ce sont des étudiants de deux classes sociales bien différentes. Le garçon pauvre deviendra un nouveau riche ; la fille de riche s’enlisera dans son passé. Les amoureux tenteront de rattraper le temps perdu. Jakuta Alikavazovic se penche sur le point de rupture dans une histoire d’amour. Elle s’intéresse aussi aux liens filiaux – au père de l’un, à la mère de l’autre, à une fille que son père veille jalousement – ainsi qu’au rapport à la mère patrie : en l’occurrence la Bosnie en pleine guerre civile. L’avancée de la nuit est un roman troublant, fluide, épuré, magnifiquement écrit.

ARTS VISUELS

Leonard Cohen : Une brèche en toute chose / A Crack in Everything au Musée d’art contemporain

Leonard Cohen, le poète, le chanteur, l’enfant de Montréal, revit au Musée d’art contemporain, un peu plus d’un an après sa mort. L’émouvant et très riche hommage de l’exposition Leonard Cohen : Une brèche en toute chose / A Crack in Everything permet de suivre l’évolution de l’homme et de l’artiste. La première salle happe littéralement le public avec ses films d’archives sur trois murs, refaisant le parcours de Cohen sur scène. Dans une autre salle, on découvre l’écrivain en devenir, dans le germe et la genèse de ses écrits. Ailleurs, on nous invite à écouter des chœurs ou à voir une performance de danse de Clara Furey. L’expérience dans son ensemble est enivrante. On y passerait des jours, à se laisser bercer par cette voix unique, tristement disparue.

L’expo Chagall au Musée des beaux-arts de Montréal

Avec plus de 300 œuvres, le Musée des beaux-arts de Montréal a organisé en début d’année une exposition Chagall de calibre international. Des tableaux de collections particulières et de différents musées, des costumes confectionnés pour l’opéra et le théâtre, des vitraux, des croquis, des céramiques, une installation vidéo de la fresque de l’Opéra Garnier… Toutes les périodes de création de cet artiste immense, né dans une famille hassidique, sont illustrées et accompagnées de musiques, notamment klezmer, constamment au cœur de l’œuvre de Chagall. Une grande réussite.

Carne y arena d’Alejandro González Iñárritu

Projet de réalité virtuelle, Carne y arena d’Alejandro González Iñárritu a été présenté en première mondiale au Festival de Cannes. Cette installation sur des migrants qui tentent d’entrer clandestinement aux États-Unis met en scène les personnes qui l’ont réellement vécue. Pendant près de 7 minutes, on assiste, en immersion totale – avec l’impression de marcher dans le désert, pieds nus dans le sable –, à l’arrestation musclée de ces hommes, femmes et enfants, guatémaltèques pour la plupart, traités comme des animaux par des agents américains. Une expérience artistique avant-gardiste, à la fois exaltante, bouleversante, terrifiante et transcendante. En espérant qu’elle se rende jusqu’à nous.

Chronique

Une année à abattre ? Quand même pas !

L’année qui se termine a été généreuse pour moi. Grâce à elle, j’ai passé une journée dans un cloître des carmélites, j’ai assisté aux adieux de Clémence DesRochers, j’ai été stupéfait (le mot est faible) devant les looks de Céline Dion, j’ai vécu à fond les célébrations du 375e anniversaire de Montréal, j’ai suivi l’Orchestre Métropolitain dans sa première tournée et je me suis pourléché les babines devant les séries The Crown et Dix pour cent.

J’ai aussi assisté, peiné et déstabilisé, aux nombreux scandales qui ont secoué le milieu culturel. Au début du mois d’août, le baiser forcé d’un spectateur à la journaliste Valérie-Micaela Bain durant un reportage en direct retenait mon attention et la vôtre. Je me demandais où tracer la ligne entre ce qui est acceptable et ce qui ne l’est pas. On était loin de savoir à ce moment-là que des histoires d’agressions et d’inconduites sexuelles complètement sordides allaient exploser.

Une année est faite de mille et une choses. Et celle qui s’achève n’échappe pas à cette habitude. Voici, en quelques lignes, quelques-unes des émotions que m’a fait vivre 2017.

Mâchoire décrochée

Je vais toujours me souvenir de l’ambiance qui a régné le vendredi 19 mai, très tôt le matin, dans le parc Jeanne-Mance, lorsque des centaines de spectateurs, jeunes et vieux, sont venus assister au réveil de la Petite Géante. Cette première intervention des Géants, par la compagnie française Royal de Luxe, donnait le coup d’envoi à trois jours de pure magie et, aussi, le ton aux festivités du 375e anniversaire. Plus tard, en après-midi, sous un soleil éclatant, des milliers de gens se sont réunis dans le Vieux-Port pour y découvrir le Scaphandrier. Je n’ai jamais vu autant d’émerveillement sur des visages. On s’était beaucoup interrogé sur la pertinence de célébrer 375 ans d’histoire. J’ai compris à ce moment-là à quel point les Montréalais avaient besoin de ces émotions-là. Après ces moments féeriques, nous risquons de trouver l’été 2018 un peu… ordinaire.

Gorge nouée

Au sommet de mes émotions de scène se trouve la pièce Des arbres à abattre, présentée dans le cadre du FTA. Cette production du Teatr Polski, de Wroclaw, m’a complètement envoûté. Imaginez un instant : cette pièce polonaise (avec surtitres) de quatre heures m’a habité pendant des jours. Un ami (dont-je-dois-taire-le-nom-car-il-est-connu) m’a dit que c’était du « vieux théâtre européen ». Cet ami mérite le bagne au DIX30 pendant 15 ans. Cette pièce, jouée derrière une vitre, dont l’action est bâtie autour d’une réunion de camarades de théâtre après l’enterrement d’une amie, avait la langueur de Tchekhov et le charme irrésistible du temps qui passe. Interprétée par une distribution de haut calibre, elle fut une grande leçon de théâtre. De plus, sachant les difficultés que la troupe a eues pour venir nous voir, l’émotion ne pouvait qu’être multipliée par deux. Elle fait partie de mes plus beaux souvenirs de théâtre.

Sourire esquissé

On a beaucoup parlé de diversité sur les scènes québécoises. Je me souviens d’avoir interviewé plusieurs personnes du milieu théâtral en 2016 à ce sujet. Si j’étais convaincu de la volonté de certains de changer les choses, je l’étais moins en ce qui a trait à d’autres. Je dois avouer qu’on assiste dans la présente saison à un effort de mieux représenter la réalité de la métropole. À ceux qui n’ont pas hésité à engager des comédiens et comédiennes provenant des minorités culturelles, je dis un gros bravo. Aux autres, je dis qu’il n’est surtout pas trop tard pour embarquer dans le train.

Fou rire incontrôlable

La vidéo qui m’a fait le plus rire cette année a été vue des millions de fois en 2017. La vidéo en question a été réalisée par un caméraman du Weather Channel. Désirant avoir le meilleur point de vue sur le Georgia Dome d’Atlanta pour filmer sa démolition, le journaliste est arrivé vers 4 h du matin alors qu’une implosion du dôme était prévue pour environ 7 h 30, le 20 novembre dernier. Au moment opportun, le pire est survenu : un autobus s’est placé juste dans l’angle de la caméra, privant le journaliste de son plan de rêve. Quand l’autobus est reparti, on ne voyait plus qu’une montagne de poussière devant le dôme. Si sa vidéo a été autant regardée, c’est surtout à cause de la drôlerie de la chose et des jurons que l’homme profère (camouflés par des bips). Comme quoi une nouvelle peut souvent en cacher une autre.

Sentiment de vide

Il a eu la très mauvaise idée de mourir le 25 décembre 2016. Une date bâtarde qui arrive trop tard pour les bilans de cette année-là et trop tôt pour ceux de 2017. C’est pourquoi je termine cette chronique avec la mort de George Michael. Ce chanteur, incontestablement le roi de la pop (une pop de qualité qui ne suscite pas la honte quand on l’écoute et qu’on l’aime), est parti trop tôt. Il avait tellement de chansons à faire, de projets à réaliser. J’ai eu le bonheur de le voir à Londres lors de son fameux spectacle Symphonica au cours duquel il reprenait Going to a Town de Rufus Wainwright. Comme des milliers de fans qui puisaient dans ses chansons une façon de vivre le spleen ou de faire la fête, je dois dire qu’il me manque terriblement.

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