Opinion : Sénat

À la défense des « hiboux »

La publication du livre Les sages hiboux, censé montrer aux tout-petits ce qu’est le Sénat, a fait rigoler bien des Canadiens. La plupart des sénateurs, qui ont pris connaissance de l’existence de l’ouvrage par le biais des médias, ont trouvé la chose moins drôle. Alors qu’ils travaillent d’arrache-pied pour redorer le blason de cette institution mal aimée, voilà qu’une autre tuile s’abat sur elle. Et comme ce fut souvent le cas dans le passé, cette tuile vient de l’intérieur !

Je ne blague pas quand je dis « travaillent d’arrache-pied » ; s’il y a une chose qui m’a étonné depuis que je siège au Sénat, soit depuis un peu plus d’un an, c’est la quantité de boulot qu’il y a à abattre. Nous ne sommes pas à plaindre, bien entendu ; sénateur, c’est un emploi absolument privilégié. Cela dit, on est loin de la sinécure souvent décrite par les médias et imaginée par les citoyens : les journées sont longues et extrêmement chargées, et les fins de semaine y passent.

Que font donc les sénateurs, à part s’imaginer en hiboux réglant les querelles des écureuils, castors, renards et autres députés ?

La semaine dernière, par exemple, ils ont adopté le projet de loi C-6. Ce projet de loi révoque des changements à la Loi sur la citoyenneté mis en place par les conservateurs de Stephen Harper. Cependant, avant de l’adopter, les sénateurs y ont apporté un amendement important afin que les personnes menacées de voir leur citoyenneté révoquée aient accès à une procédure d’appel. Cet amendement est le fruit d’un travail considérable accompli par la marraine du projet de loi, la sénatrice indépendante Ratna Omidvar, une experte des questions d’immigration.

Le Sénat a aussi amendé puis adopté le projet de loi C-37, qui vise à faciliter l’ouverture de sites de consommation supervisée de drogues. Le principal amendement imposera au personnel de ces sites d’offrir aux consommateurs « des options de pharmacothérapie » avant qu’ils ne s’injectent le produit illicite (et souvent mortel) qu’ils ont apporté avec eux. Cet amendement a été proposé par le sénateur conservateur Vernon White, un ancien haut gradé de la Gendarmerie royale du Canada, et a obtenu l’appui des sénateurs libéraux et des sénateurs indépendants, un bel exemple du travail non partisan dont est capable le Sénat.

Une réforme délicate

Un Sénat moins partisan et plus efficace : c’est l’objectif que vise la réforme à laquelle travaillent les sénateurs indépendants, avec l’appui d’un certain nombre de libéraux et de conservateurs. Le projet n’en est qu’à ses balbutiements et suscite une résistance certaine. Il faut dire qu’il s’agit d’une réforme délicate. Le désabusement populaire doit certes nous pousser à l’audace et nous insuffler de la détermination, mais il faut éviter les changements irréfléchis.

Bien entendu, les médias – ne comptez pas sur moi pour les blâmer ! – s’intéressent davantage à l’affaire Meredith qu’au ronron quotidien de la Chambre haute. De cette affaire, retiendra-t-on seulement le comportement déplorable d’un sénateur ? Ou bien admettra-t-on que cette fois-ci, à tout le moins, le Sénat a pris le taureau par les cornes ? Expulser un parlementaire qui n’est reconnu coupable d’aucun crime est chose rarissime ; au Sénat, cela ne s’est jamais vu en 150 ans. C’est pourtant ce que s’apprêtaient à faire les sénateurs avant que M. Meredith n’annonce sa démission mardi.

À une époque où toutes nos institutions sont mises à mal, le Sénat canadien a une pente particulièrement abrupte à remonter. Quelle que soit l’impression laissée par l’anecdote des hiboux, je peux témoigner du fait que les membres de cette chambre font tout ce qu’ils peuvent pour regagner la confiance des Canadiens.

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