Le spectre de Harper pour fouetter les troupes libérales
La menace de coupes conservatrices a teinté la première journée de campagne de Trudeau au Québec
La queue s’étire sur une centaine de mètres en ce début de soirée. La foule est bigarrée, cosmopolite, multilingue.
L’événement du moment : le grand rassemblement montréalais destiné à lancer pour de bon la campagne de Justin Trudeau au Québec.
Ils sont des centaines à attendre d’entrer dans le vaste centre d’art de la Petite-Bourgogne. La faune est plutôt jeune, bien plus « hip » qu’en après-midi lors du passage du chef libéral chez son candidat Réjean Hébert à Longueuil.
Un peu à l’écart des beaux vêtements et des égoportraits en série, Waly Sid attend patiemment son tour avec sa femme. Leur poupon dort dans un landau. Mauritanien établi au Québec depuis 12 ans, Waly est bénévole pour la campagne. Il n’a pas voulu rater sa chance de voir « son » chef, qui, dit-il en anglais, « réduit la discrimination au Canada ».
À l’intérieur, l’ambiance est fébrile. Plusieurs centaines de partisans s’entassent dans la vaste salle d’exposition, pancartes et gloussements d’excitation à la clé. Sur scène s’alignent les candidats québécois, parmi lesquels quelques ministres en vue du gouvernement sortant – Marc Garneau, Pablo Rodriguez, Diane Lebouthillier, Mélanie Joly…
Sophie Grégoire, la femme de Justin Trudeau, prend la parole la première, avant de passer le micro à celui qu’elle qualifie de « géant à sa manière », de « pragmatique et rêveur » : Steven Guilbeault.
C’est dire tout l’espoir que les libéraux fondent sur le leader écologiste, fondateur d’Équiterre devenu candidat dans Laurier–Sainte-Marie. Le parti n’a pas détenu cette circonscription depuis 1990.
C’est donc à M. Guilbeault qu’est revenu l’honneur de galvaniser la foule pour introduire Justin Trudeau. Ce dernier a d’emblée scandé un « Bonsoir, Montréal ! » bien senti, point de départ d’un discours somme toute succinct d’un peu plus de 12 minutes, au cours duquel il a listé les principales réussites de son gouvernement, par exemple en matière d’emploi, de famille, de culture et d’environnement.
L’ovation la plus bruyante est venue lorsque le chef libéral a réitéré que son parti « protégera toujours le droit des Canadiennes de choisir » si elles veulent procéder à une interruption de grossesse. C’est la première fois de cette jeune campagne que M. Trudeau lance un message aussi appuyé à ce sujet, alors que les verts et les conservateurs sont chaque jour interrogés quant à la position de leur parti et de leurs candidats sur l’avortement.
« C’est à la femme, et à la femme seulement, de prendre les décisions qui concernent son corps et son avenir, point final », a ajouté M. Trudeau, soulevant encore davantage la foule en liesse.
Un autre élément a fortement teinté le discours de Justin Trudeau : les inlassables mises en garde contre les « coupures » d’un potentiel gouvernement conservateur ainsi que l’évocation d’un retour aux « années Harper ».
À cinq reprises le premier ministre a martelé l’une ou l’autre de ces menaces, à l’évidence une stratégie de la machine libérale au Québec. Andrew Scheer était pour ainsi dire absent de son texte, à l’exception d’une pointe pour souligner que le Parti conservateur était désormais plus « souriant ».
Le modus operandi était encore plus flagrant en après-midi. Pendant sa visite éclair chez Réjean Hébert, M. Trudeau a trouvé le moyen de prononcer le nom « Harper » six fois et le mot « coupure » quatre fois, en français ou en anglais, et ce, dans une allocution de moins de six minutes.
M. Trudeau n’a rien dit du tout sur son nouveau candidat et ne lui a pas adressé la parole devant la centaine de partisans venus l’écouter.
À l’évidence, la cible est bien claire sur le radar libéral.
C’est à Trois-Rivières que le chef libéral avait fait, en matinée, le tout premier arrêt de sa tournée québécoise. La circonscription du même nom sera âprement disputée d’ici au 21 octobre, alors que libéraux et conservateurs tenteront de l’arracher au Nouveau Parti démocratique, qui y est installé depuis 2011.
Un sondage publié mercredi dans Le Nouvelliste plaçait la candidate libérale Valérie Renaud-Martin en avance. Elle était d’ailleurs au côté de son chef pour une annonce sur l’entrepreneuriat hier.
Un gouvernement libéral réélu promet de faciliter le démarrage de petites et moyennes entreprises, et espère du même coup convaincre plus de femmes et d’autochtones de se lancer en affaires.
La caravane de Justin Trudeau sera de retour en Mauricie aujourd’hui, alors qu’elle s’arrêtera au Festival western de Saint-Tite.
— Avec La Presse canadienne