Élections fédérales 2019

Le spectre de Harper pour fouetter les troupes libérales

La menace de coupes conservatrices a teinté la première journée de campagne de Trudeau au Québec

La queue s’étire sur une centaine de mètres en ce début de soirée. La foule est bigarrée, cosmopolite, multilingue.

L’événement du moment : le grand rassemblement montréalais destiné à lancer pour de bon la campagne de Justin Trudeau au Québec.

Ils sont des centaines à attendre d’entrer dans le vaste centre d’art de la Petite-Bourgogne. La faune est plutôt jeune, bien plus « hip » qu’en après-midi lors du passage du chef libéral chez son candidat Réjean Hébert à Longueuil.

Un peu à l’écart des beaux vêtements et des égoportraits en série, Waly Sid attend patiemment son tour avec sa femme. Leur poupon dort dans un landau. Mauritanien établi au Québec depuis 12 ans, Waly est bénévole pour la campagne. Il n’a pas voulu rater sa chance de voir « son » chef, qui, dit-il en anglais, « réduit la discrimination au Canada ».

À l’intérieur, l’ambiance est fébrile. Plusieurs centaines de partisans s’entassent dans la vaste salle d’exposition, pancartes et gloussements d’excitation à la clé. Sur scène s’alignent les candidats québécois, parmi lesquels quelques ministres en vue du gouvernement sortant – Marc Garneau, Pablo Rodriguez, Diane Lebouthillier, Mélanie Joly…

Sophie Grégoire, la femme de Justin Trudeau, prend la parole la première, avant de passer le micro à celui qu’elle qualifie de « géant à sa manière », de « pragmatique et rêveur » : Steven Guilbeault. 

C’est dire tout l’espoir que les libéraux fondent sur le leader écologiste, fondateur d’Équiterre devenu candidat dans Laurier–Sainte-Marie. Le parti n’a pas détenu cette circonscription depuis 1990.

C’est donc à M. Guilbeault qu’est revenu l’honneur de galvaniser la foule pour introduire Justin Trudeau. Ce dernier a d’emblée scandé un « Bonsoir, Montréal ! » bien senti, point de départ d’un discours somme toute succinct d’un peu plus de 12 minutes, au cours duquel il a listé les principales réussites de son gouvernement, par exemple en matière d’emploi, de famille, de culture et d’environnement.

Avortement

L’ovation la plus bruyante est venue lorsque le chef libéral a réitéré que son parti « protégera toujours le droit des Canadiennes de choisir » si elles veulent procéder à une interruption de grossesse. C’est la première fois de cette jeune campagne que M. Trudeau lance un message aussi appuyé à ce sujet, alors que les verts et les conservateurs sont chaque jour interrogés quant à la position de leur parti et de leurs candidats sur l’avortement.

« C’est à la femme, et à la femme seulement, de prendre les décisions qui concernent son corps et son avenir, point final », a ajouté M. Trudeau, soulevant encore davantage la foule en liesse.

Un autre élément a fortement teinté le discours de Justin Trudeau : les inlassables mises en garde contre les « coupures » d’un potentiel gouvernement conservateur ainsi que l’évocation d’un retour aux « années Harper ». 

À cinq reprises le premier ministre a martelé l’une ou l’autre de ces menaces, à l’évidence une stratégie de la machine libérale au Québec. Andrew Scheer était pour ainsi dire absent de son texte, à l’exception d’une pointe pour souligner que le Parti conservateur était désormais plus « souriant ».

Le modus operandi était encore plus flagrant en après-midi. Pendant sa visite éclair chez Réjean Hébert, M. Trudeau a trouvé le moyen de prononcer le nom « Harper » six fois et le mot « coupure » quatre fois, en français ou en anglais, et ce, dans une allocution de moins de six minutes.

M. Trudeau n’a rien dit du tout sur son nouveau candidat et ne lui a pas adressé la parole devant la centaine de partisans venus l’écouter.

À l’évidence, la cible est bien claire sur le radar libéral.

Doublé en Mauricie

C’est à Trois-Rivières que le chef libéral avait fait, en matinée, le tout premier arrêt de sa tournée québécoise. La circonscription du même nom sera âprement disputée d’ici au 21 octobre, alors que libéraux et conservateurs tenteront de l’arracher au Nouveau Parti démocratique, qui y est installé depuis 2011.

Un sondage publié mercredi dans Le Nouvelliste plaçait la candidate libérale Valérie Renaud-Martin en avance. Elle était d’ailleurs au côté de son chef pour une annonce sur l’entrepreneuriat hier.

Un gouvernement libéral réélu promet de faciliter le démarrage de petites et moyennes entreprises, et espère du même coup convaincre plus de femmes et d’autochtones de se lancer en affaires.

La caravane de Justin Trudeau sera de retour en Mauricie aujourd’hui, alors qu’elle s’arrêtera au Festival western de Saint-Tite.

— Avec La Presse canadienne

Réjean Hébert assure avoir « tourné la page »

L’ex-ministre péquiste devenu candidat du PLC a changé d’avis sur la laïcité et la souveraineté

Non seulement le candidat libéral Réjean Hébert affirme avoir « tourné la page » sur ses convictions souverainistes, mais la position qu’il défend aujourd’hui sur la laïcité des employés de l’État est à l’exact opposé de celle qu’il a défendue au sein du gouvernement péquiste de 2012 à 2014.

Aux médias réunis dans son local de campagne hier après-midi à Longueuil, il a affirmé être « inquiet pour les minorités et pour les personnes qui vont perdre leur emploi en raison de leurs convictions religieuses ».

« Qu’on empêche quelqu’un de travailler à cause de ce qu’il porte, c’est un problème », a-t-il encore dit.

Or, il y a six ans jour pour jour, M. Hébert tenait un discours diamétralement opposé.

« On ne dit pas que les gens ne doivent pas pratiquer leur religion, mais quand on est au service de l’État, qu’on a à faire face à des utilisateurs de toutes tendances, toutes religions et toutes origines ethniques, on doit être neutre, et c’est ce que la charte affirme », confiait-il à La Presse le 16 septembre 2013.

M. Hébert était alors ministre de la Santé dans le gouvernement de Pauline Marois et commentait les inquiétudes du milieu hospitalier relativement à la charte des valeurs proposée par le Parti québécois (PQ). En suggérant d’interdire à tous les employés de l’État québécois de porter des signes religieux ostentatoires, cette charte allait encore plus loin que la Loi sur la laïcité de l’État du gouvernement de François Legault. L’actuelle mesure législative prévoit que les employés de l’État en situation d’autorité ne peuvent pas afficher de symboles religieux, et son application a été élargie aux enseignants.

Solidarité

Pour justifier ses propos de 2013, M. Hébert invoque aujourd’hui la « solidarité ministérielle » qui le liait aux positions de son gouvernement de l’époque. 

« Ce n’était pas un enjeu important pour moi », dit-il. De toute façon, fait-il remarquer, « la stratégie sur la charte [des valeurs] n’a jamais abouti ».

Il refuse en outre de révéler si, à l’époque, promouvoir la charte des valeurs correspondait à ses convictions profondes. « Je ne vous en parlerai pas non plus », tranche-t-il, brandissant cette fois le « secret ministériel ». « Je n’irai pas là-dedans », conclut-il.

En fin de journée, hier, Jean-François Lisée, ex-chef du PQ qui était lui aussi ministre de 2012 à 2014, a écrit sur les réseaux sociaux que « Réjean Hébert était parmi les plus enthousiastes promoteurs de la Charte ».

« Contrairement à ce qu’il affirme maintenant, il était très engagé dans le débat et tenait absolument à ce que l’interdiction des signes religieux s’applique au réseau de la santé, a poursuivi M. Lisée. De plus, il refusait l’idée d’une clause grand-père [clause de droits acquis] et préférait virer les récalcitrants. Il a le droit de changer d’avis (supposons), mais pas de réécrire sa propre histoire. »

Croisé en soirée au lancement montréalais de la campagne libérale, M. Hébert a simplement indiqué qu’il ne savait pas « où Jean-François Lisée prend ça ».

« Je lui laisse ça », a ajouté le candidat avant de mettre fin à la conversation.

Dans tous les cas, M. Hébert se range désormais derrière la position de Justin Trudeau. Encore hier matin, le chef libéral n’a pas exclu de contester la loi québécoise devant les tribunaux.

« Ce serait irresponsable qu’un gouvernement ferme la porte à tout jamais sur une question de droits fondamentaux », a affirmé le premier ministre sortant hier matin à Trois-Rivières.

M. Hébert a précisé que « si à un moment donné, ça se retrouve devant la Cour suprême, le gouvernement fédéral ne peut pas se défiler de ses responsabilités et doit éclairer la cour sur les enjeux des droits et libertés ».

« les feuilles vont rougir »

La laïcité n’est pas le seul enjeu au sujet duquel Réjean Hébert a retourné sa veste. La souveraineté du Québec en est un autre.

Aux partisans réunis dans son local de campagne dans l’attente de la visite de Justin Trudeau, le candidat a fait remarquer que bientôt, « les feuilles vont rougir, et le Canada aussi ».

Il a vanté le Parti libéral qui, « de tout temps, a été l’artisan du progrès social, pour la santé », rappelant les réalisations en ce sens des premiers ministres Lester B. Pearson et Pierre Elliott Trudeau.

Il n’y a pas si longtemps, il aurait été impensable d’entendre Réjean Hébert étaler une telle profession de foi. Mais de son propre aveu, l’élection de 2014, qui a donné un mandat majoritaire aux libéraux provinciaux, a sonné le glas de sa ferveur souverainiste. À ses yeux, ce qui a « plombé » les chances du PQ à l’époque, c’est le poing en l’air de Pierre Karl Péladeau, qui réclamait alors un nouveau référendum sur la souveraineté.

« Quand je faisais mon porte-à-porte, j’ai constaté que les gens ne voulaient plus rien savoir d’un référendum », raconte M. Hébert. 

« Le Québec a un levier beaucoup plus intéressant à l’intérieur du Canada pour négocier des accords internationaux, lutter contre les changements climatiques et promouvoir le français et la culture québécoise. »

— Réjean Hébert, candidat du Parti libéral du Canada

Si un nouveau référendum était organisé au Québec, il voterait non. « La page est tournée », dit-il.

Avant de se positionner sur l’axe souverainisme-fédéralisme, M. Hébert assure que c’est l’équité sociale et la santé de la population qui ont, depuis toujours, été les moteurs de son implication politique.

Gériatre de carrière, puis professeur et doyen de la faculté de médecine de l’Université de Sherbrooke, Réjean Hébert a été élu sous la bannière péquiste à l’Assemblée nationale du Québec en 2012 dans la circonscription de Saint-François, en Estrie. Il a été ministre de la Santé dans le gouvernement de Pauline Marois avant d’être défait aux élections de 2014. Il se présente aujourd’hui pour le Parti libéral du Canada dans Longueuil–Saint-Hubert, sur la Rive-Sud de Montréal.

Parti conservateur du Canada

Un candidat condamné pour alcool au volant en 1992

Après qu’Andrew Scheer a expulsé un candidat manitobain pour des propos hostiles à l’endroit des immigrants et des musulmans et en a défendu deux autres pour des propos dénigrant la communauté LGBT, voici que les agissements passés d’un candidat québécois refont surface.

La Presse a découvert qu’Hugues Laplante, homme d’affaires qui se présente dans la circonscription de Châteauguay–Lacolle, avait été arrêté pour conduite avec les facultés affaiblies en 1992. Il avait plaidé coupable.

Cette fois, la formation semblait au courant des antécédents de ses candidats. De fait, c’est M. Laplante lui-même qui en aurait informé le parti, afin de prévenir toute confusion avant que ne commence la campagne.

Par courriel, l’attachée de presse pour le Québec du Parti conservateur, Josée Morissette, a fait savoir que « dans ce cas-ci, le parti considère que les antécédents judiciaires du candidat n’étaient pas une entrave à sa nomination ». 

« Monsieur Laplante a fait face à ses responsabilités, a purgé sa peine et est devenu un citoyen exemplaire, impliqué et dévoué dans la société. »

— Josée Morissette

Appelé à commenter la situation, M. Laplante a fait parvenir le commentaire suivant : « Je suis une personne honnête. Ma famille, mes employeurs, mes amis savent ce qui m’est arrivé il y a plus de 25 ans. Je ne suis pas très fier de ça. Cela m’a fait réfléchir, j’ai vieilli, je suis devenu père de famille. Je me suis impliqué durant plusieurs années auprès de jeunes d’équipes sportives, car pour moi il est très important de prôner les saines habitudes de vie. »

Quand passer l'éponge ?

Lors des dernières élections fédérales, en 2015, le Parti conservateur avait expulsé le candidat de Repentigny, Buddy Ford, parce qu’il avait été arrêté quatre ans plus tôt alors qu’il avait en sa possession une quantité « minime » de cannabis. Une accusation pour laquelle M. Ford avait reçu une absolution inconditionnelle. « C’était un joint ! avait-il dit à La Presse. C’était à un party, on m’a donné ça, c’est resté dans mes poches et… c’est ça. »

La décision de montrer la porte à M. Ford en début de campagne avait été prise dans un contexte où le chef du Parti conservateur, Stephen Harper, défendait une position strictement antidrogue, alors qu’à l’opposé, Justin Trudeau proposait la légalisation du cannabis aux Canadiens.

Hier, Andrew Scheer a dû se porter à la défense de deux autres candidats qui auraient tenu des propos dénigrants envers les communautés LGBT sur les réseaux sociaux par le passé. « Les deux candidats que vous avez mentionnés se sont excusés pour leurs paroles », avait répondu M. Scheer aux journalistes en point de presse hier. « Et c’est clair que leur langage était inacceptable et offensif à la communauté LGBT, alors je suis content [qu’ils se soient] excusés », avait-il ajouté.

Comme dans le cas d’Hugues Laplante, il a refusé de faire tomber le couperet.

— Avec la collaboration de William Leclerc, La Presse, et de La Presse canadienne

La journée en bref

Parti conservateur

Scheer promet de rétablir le crédit d’impôt pour les transports en commun

Le chef conservateur Andrew Scheer a promis de rétablir le crédit d’impôt pour les transports en commun créé par l’ancien gouvernement de Stephen Harper, il y a plus de 10 ans. Les conservateurs associent cette mesure à des initiatives environnementales, mais la présentent surtout comme un moyen d’aider les Canadiens à économiser de l’argent. M. Scheer a accusé le chef libéral Justin Trudeau d’avoir rendu la vie plus coûteuse lorsqu’il a annulé ce crédit d’impôt il y a deux ans – le gouvernement le jugeait inefficace. Le crédit de 15 % s’appliquerait aux laissez-passer mensuels, de même qu’aux laissez-passer hebdomadaires et aux cartes électroniques s’ils sont utilisés pendant une période prolongée, pour les trains de banlieue et les autobus interurbains, les autobus urbains, les tramways et les métros et traversiers locaux.

NPD

Singh promet de faire réduire les factures de téléphonie cellulaire

Le chef du NPD, Jagmeet Singh, a ciblé les entreprises de télécommunications canadiennes en promettant d’imposer un plafond sur les prix des services de téléphonie cellulaire et d’internet. M. Singh a déclaré qu’un gouvernement néo-démocrate ordonnerait également la création d’un forfait de base obligatoire avec des données illimitées et abordables, et faciliterait, pour les fournisseurs de services tiers, l’utilisation des réseaux de Rogers, Bell et Telus. « C’est probablement l’une des factures les plus frustrantes que les gens paient, le téléphone portable et l’internet », a déclaré M. Singh dans une salle remplie de la région de Toronto.

Bloc québécois

Blanchet veut faire respecter la « souveraineté environnementale » du Québec

Dénonçant le pouvoir du fédéral d’implanter certains types d’infrastructures interprovinciales sans égard aux lois et règlements du Québec, le chef bloquiste Yves-François Blanchet a rappelé que la menace de la construction de l’oléoduc Énergie Est planait toujours sur le Québec, bien que la population y soit opposée. « Quand il y a un conflit juridictionnel entre Ottawa et une province, le patron, c’est Ottawa », a-t-il lancé. Le Bloc a invité les autres chefs à respecter la « souveraineté environnementale » du Québec, en écho à un projet de loi déposé durant le dernier mandat, mais qui est mort au feuilleton.

Parti vert

Nouvelle controverse sur le passé des candidats

Le Parti vert veut éviter qu’on fouille dans le passé de ses candidats et a recommandé à ceux-ci de resserrer la confidentialité de leurs comptes sur les réseaux sociaux. Cela fait suite à quelques controverses. La candidate des verts dans Louis-Hébert, Macarena Diab, a déjà repris une publication antiavortement en 2008 et elle a dû s’en dissocier. Jeudi, l’Ontarien Erik Schomann a dû démissionner en raison de propos islamophobes. « On nous a dit de rendre nos pages Facebook privées, de changer nos paramètres », a affirmé le candidat des verts dans Bécancour–Nicolet–Saurel, David Turcotte. M. Turcotte a même révélé que « le parti a demandé qu’on change de nom car les journalistes font des recherches pour trouver du “crunchy” sur nous ». Par ailleurs, Elizabeth May a de nouveau dû faire le point sur la candidature du Québécois Pierre Nantel, qui s’est dit souverainiste cette semaine. Mme May a cherché à mettre fin à la controverse en affirmant que M. Nantel resterait membre et candidat du Parti vert.

Au Québec aujourd’hui

C’est au tour de Justin Trudeau de s’arrêter au Festival country de Saint-Tite aujourd’hui, bouclant les visites officielles des principaux partis : le Bloc y était hier, une semaine après les conservateurs et les néo-démocrates. Yves-François Blanchet et les bloquistes seront aujourd’hui à Laval ainsi que sur la Rive-Sud de Montréal. Quant à Maxime Bernier, il fait de nouveau campagne dans son fief de Beauce.

— La Presse canadienne et La Presse

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