Légalisation du cannabis

« Au lieu de trois bières, les clients vont en prendre deux avec un joint »

Peter Sergakis craint de nombreux impacts négatifs pour les bars et les restaurants

Peter Sergakis, qui possède une quarantaine de bars et de restaurants à Montréal, voit d’un mauvais œil la légalisation du cannabis. Il craint une baisse de la consommation d’alcool dans ses établissements ainsi qu’une hausse des accidents de travail dans ses cuisines.

« Je ne sais pas sur quelle planète Justin Trudeau était quand il a décidé de légaliser le pot ! », lance l’homme d’affaires, en précisant qu’il a vu plusieurs de ses employés « se détruire » en prenant de la drogue.

À son avis, la légalisation va provoquer des problèmes dans le milieu de la restauration. Il prévoit, par exemple, que ses cuisiniers vont sortir allègrement dehors fumer du cannabis comme ils l’ont toujours fait avec la cigarette. Ce qui risque de causer des accidents.

« Les cuisiniers travaillent avec des couteaux. J’ai hâte de voir si on n’aura pas plus de réclamations à la CSST [maintenant la CNESST]. »

— Peter Sergakis, président de l’Union des tenanciers de bars du Québec

L’Association des restaurateurs du Québec (ARQ) ne partage pas cette inquiétude, notamment parce qu’elle est basée sur la prémisse que la légalisation du cannabis fera augmenter la consommation. « Ce n’est pas parce qu’on légalise que le monde ne fumait pas avant », dit le porte-parole François Meunier.

De toute façon, poursuit-il, « c’est [le cannabis] interdit sur les lieux de travail et il faut que ce le soit. Ceux qui font preuve de souplesse le font à leurs risques et périls ». Pour éviter les ennuis, « il faut assurer une surveillance des employés et avoir une tolérance zéro », insiste l’ARQ.

Employeurs responsables

Peter Sergakis juge toutefois irréaliste l’idée de guetter tous ceux qui travaillent dans ses cuisines. « On me dit d’établir des règles. Mais on me niaise ! Comment voulez-vous que je contrôle ce que le monde fait dehors pendant leur pause ? » Jusqu’ici, il n’a transmis aucune directive ou politique écrite à ses employés, mais affirme leur avoir parlé du sujet.

De son côté, le Conseil du patronat du Québec (CPQ) rappelle que « les conséquences peuvent être graves pour un employeur s’il ne détecte pas adéquatement un état d’intoxication ».

« En cas d’accident, [l’employeur] pourrait être poursuivi au criminel s’il n’a pas pris tous les moyens pour l’éviter », explique l’avocate Karolyne Gagnon, vice-présidente Travail et affaires juridiques au CPQ.

« Il faut que l’employeur soit en mesure de reconnaître le plus rapidement possible un employé en état d’intoxication. »

— Karolyne Gagnon, vice-présidente Travail et affaires juridiques au Conseil du patronat du Québec

Le hic, c’est qu’il n’est pas évident de déterminer si un employé a consommé du cannabis et que « le dépistage par mode aléatoire doit être justifié, notamment par un risque d’accidents récurrents », ajoute-t-elle.

Baisse des ventes d’alcool

Peter Sergakis prévoit par ailleurs que les ventes de bière et de vin reculeront de 20 % dans les bars. 

« Au lieu de trois bières, les clients vont en prendre deux avec un joint », donne en exemple celui qui est également président de l’Union des tenanciers de bars du Québec, un OBNL regroupant quelque 680 membres.

L’expérience américaine tend à lui donner raison. Dans les États où le cannabis médicinal a été légalisé, une baisse de 15 % des ventes d’alcool a été enregistrée sur une période de 10 ans, a révélé une étude universitaire. Le vin a été plus touché (- 16,2 %) que la bière (- 13,8 %). Des experts croient que la légalisation du cannabis à des fins récréatives a un effet similaire.

D’ailleurs, dans un récent rapport sur le cannabis au Canada, la firme comptable Deloitte a affirmé qu’il sert « souvent d’alternative à la bière, aux spiritueux et au vin ». Résultat, « toutes les catégories d’alcool devraient être touchées, ce qui pourrait avoir des répercussions négatives sur les revenus de l’État, des sociétés d’alcool et des détaillants », a-t-on ajouté sans chiffrer quoi que ce soit.

L’ARQ envisage elle aussi « un changement de comportement » chez les consommateurs, notamment parce qu’il est totalement interdit de prendre le volant sous l’effet du cannabis alors que la loi est plus souple en ce qui concerne l’alcool.

« Les gens vont-ils célébrer davantage à la maison, car ils ne peuvent pas conduire ? demande François Meunier. C’est moins tangible en ville, mais en région, où il y a moins de taxis et de transports en commun, ça peut avoir un effet. »

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