Montréal

Immeubles délabrés, locataires expulsés

Le Regroupement des comités logement dénonce « une nouvelle forme de spéculation immobilière ». « On se débarrasse des locataires pour investir », dit son porte-parole.

Les locataires de deux immeubles délabrés qui appartenaient au même propriétaire ont été forcés d’évacuer leur domicile au mois d’octobre, sur ordre de la Ville de Montréal, qui a décrété les logements inhabitables.

Moisissures, coquerelles, punaises de lit, absence de chauffage et parfois d’eau courante… L’immeuble situé au 1150, rue Marie-Anne Est, dans l’arrondissement du Plateau-Mont-Royal, était dans la ligne de mire des inspecteurs de la Ville depuis un certain temps. À la suite de signalements, ils ont constaté « des infractions graves » du propriétaire concernant des infestations.

Face à l’inaction du responsable pour remédier à la situation, la Ville a d’abord effectué une extermination elle-même. Les inspections subséquentes ont cependant révélé d’autres problèmes, concernant notamment « la fin de vie utile du chauffage et l’approvisionnement en eau domestique », a indiqué Audrey Gauthier, relationniste à la Ville de Montréal, dans un courriel à La Presse.

Ces multiples problèmes ont rendu les conditions de logement indécentes, selon la Ville, qui a transmis au début du mois un avis d’évacuation.

« À l’approche de l’hiver, il existait de réelles possibilités d’incendie si des systèmes de chauffage d’appoint avaient été utilisés. »

— Audrey Gauthier, porte-parole de la Ville

Du jour au lendemain, les 31 résidants de l’immeuble de logements se sont vu imposer un préavis de deux semaines pour quitter leur domicile. Ils devaient évacuer les lieux avant le 17 octobre. La Ville a indiqué à La Presse que « quelques locataires se sont trouvé de nouveaux logements et sont déménagés ». Le service de référence de l’Office municipal d’habitation de Montréal (OMHM) accompagne neuf autres résidants délogés, qui sont temporairement hébergés gratuitement.

payés pour plier bagage

Le propriétaire a cédé l’immeuble de la rue Marie-Anne Est il y a moins d’une semaine à l’entreprise Mahlex. La société se spécialise dans « l’acquisition et la rénovation de propriétés sous-évaluées », selon son site internet.

Au mois de juillet, la firme immobilière avait acheté un autre bâtiment, dans l’arrondissement de Verdun, au même propriétaire. Cet immeuble, situé au 315 de la rue Rielle, est à présent visé par un avis d’expulsion de la Ville de Montréal.

Les acquéreurs de l’immeuble ont offert aux 32 résidants de la rue Rielle de résilier leurs baux, leur offrant des indemnisations en retour. Tous ont fini par accepter, sauf un, d’après Mahir Ozdilek, coadministrateur de Mahlex.

La Ville a indiqué que le bâtiment était « sous son radar depuis quelque temps en raison de son faible taux d’occupation ». Les locataires acceptant de mettre fin à leur bail laissaient peu à peu des appartements vacants. Selon la loi municipale, lorsqu’un immeuble est occupé à moins du quart de sa capacité, il est considéré comme dangereux pour la sécurité des locataires d’y habiter.

Ainsi, lorsque le nombre de logements occupés est descendu sous la barre des 25 %, soit huit appartements, la Ville a transmis l’avis d’évincement.

La Presse s’est rendue sur les lieux. L’immeuble est désert et en décrépitude. La grande majorité des appartements ont été vidés. Les tapis dans les couloirs ont été arrachés, du poison à rat a été dispersé dans plusieurs pièces.

Des travailleurs semblent déjà avoir amorcé des rénovations. Il n’y a plus de chauffage, plus d’eau courante, a dit un locataire à La Presse.

Mais quatre appartements sont encore habités, alors que l’interdiction d’occuper les lieux prendra effet le 31 octobre. Deux des locataires toujours sur place ont trouvé un toit et les deux autres pourront être pris en charge par l’OMHM. « Leur dossier est traité de façon prioritaire », a assuré Audrey Gauthier, de la Ville de Montréal.

« Embellir le quartier »

Les propriétaires actuels des deux bâtiments disent vouloir rénover leurs nouveaux investissements immobiliers. « Ces gens vivaient dans des taudis, a commenté Mahir Ozdilek. Dans six mois, vous ne reconnaîtrez pas l’endroit. »

Conscient de l’impact de la situation sur les locataires, certains d’entre eux étant très peu fortunés, M. Ozdilek a expliqué qu’il trouvait malheureux que des gens qui « vivaient là » aient dû partir, mais que lui n’avait mis personne à la porte.

« On a rencontré tout le monde individuellement et on n’avait pas à le faire, mais on leur a offert des montants très généreux pour les compenser, a-t-il dit. Pour certains, on leur a donné des montants qui dépassent leurs revenus annuels. La plupart étaient très, très contents. »

Sa firme souhaite « embellir le quartier », a soutenu M. Ozdilek, en parlant de l’immeuble de Verdun. « Ce n’est pas moi qui ai inventé la gentrification », a-t-il ajouté, se défendant d’avoir quoi que ce soit à se reprocher.

Spéculation ?

« C’est une sorte de nouvelle forme de spéculation immobilière, une bonne manière de faire de l’argent. On se débarrasse des locataires pour investir », commente Maxime Roy-Allard, porte-parole du Regroupement des comités logement et associations de locataires du Québec (RCLALQ).

Interrogé sur la possibilité pour les locataires évacués de retrouver leurs logements à la suite des rénovations, le cofondateur de Mahlex a laissé entendre que les loyers qui seront instaurés ne le permettront pas. « Le montant qu’ils payaient avec des problèmes de coquerelles, de punaises et de drogues, ce n’est pas ce que ça va être dans six mois. »

« Selon notre investissement, les revenus locatifs vont être conséquents. On ne va pas en faire des logements sociaux. »

— Mahir Ozdilek, coadministrateur de Mahlex

La Ville de Montréal « a un peu joué le jeu des propriétaires » en forçant les locataires à quitter leur domicile, déplore Maxime Roy-Allard.

Le RCLALQ suivait de près le dossier des logements de la rue Marie-Anne Est. L’organisme demande depuis des années que la Ville soit plus coercitive envers les propriétaires pour les forcer à respecter les droits des locataires. « L’évacuation devrait être le dernier recours, avance M. Roy-Allard, qui croit que la municipalité n’en a peut-être pas fait assez. Ça devrait être quand ils ont tout essayé, qu’il y a un danger imminent. »

De telles situations surviennent plus souvent que la couverture médiatique le laisse entendre, a assuré M. Roy-Allard. Selon son organisation, il faudrait que la Ville réclame le droit de saisie des « propriétaires véreux » et crée des logements sociaux à partir des immeubles négligés, puisqu’il en manque grandement à Montréal. « C’est la seule solution. La Ville doit utiliser les moyens qu’elle possède. »

les propriétaires pénalisés

La Ville de Montréal réclame désormais 196 000 $ en frais et amendes aux anciens et nouveaux propriétaires des deux immeubles de logements, a appris La Presse. Certains coûts ont déjà été facturés et « le compteur continue à rouler », a fait savoir Geneviève Jutras, attachée de presse de la mairesse de Montréal, dans un courriel.

Les sommes se rapportent à des travaux en lieu et place non effectués, à des coûts d’inspection ainsi qu’à des constats d’infraction pour insalubrité et non-respect de règlements. Le tout concerne aussi bien l’immeuble de la rue Marie-Anne Est (à hauteur de 160 000 $ environ) que celui de la rue Rielle (plus de 40 000 $).

« Pour nous, un propriétaire qui enlève le chauffage et l’eau courante pendant que des locataires y habitent, c’est un propriétaire qui ne prend pas ses responsabilités », a écrit Mme Jutras à La Presse, à propos des nouveaux acheteurs.

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