DÉMISSION DE JEAN-LUC BRASSARD

« Je ne pouvais pas faire semblant »

Vidé émotionnellement par les contrecoups de l’affaire Marcel Aubut, en conflit ouvert avec un haut dirigeant du Comité olympique canadien (COC), Jean-Luc Brassard ne se sentait plus la force ni la légitimité pour mener la délégation canadienne jusqu’aux Jeux olympiques de Rio de Janeiro. À quatre mois de la cérémonie d’ouverture, il a préféré se retirer de son poste de chef de mission.

« Je me suis rendu compte, à ce moment-ci, que je n’étais plus le leader dont le Comité olympique canadien avait besoin, mais que j’étais dans le peloton à la recherche de mon souffle », a résumé Brassard dans sa première entrevue depuis l’annonce de sa démission, hier soir.

« J’étais exactement là où je ne voulais pas être, où je n’aurais jamais voulu être. Je n’étais plus le gars qui pouvait mener les athlètes, et ça me faisait épouvantablement mal de constater ça. »

— Jean-Luc Brassard

Après une longue réflexion, Brassard a pris sa décision définitive mercredi soir dernier lors d’une réunion des chefs de mission. À deux semaines d’une importante rencontre avec des entraîneurs et des dirigeants de fédérations, il ne voyait pas comment il pourrait jouer le rôle de motivateur qui lui était destiné.

« Ça m’a donné un coup, a-t-il raconté. Je me suis rendu compte que je n’avais plus de plaisir à faire ça. J’étais assez vidé par toutes les circonstances. »

Avec l’accord de Brassard, le Comité olympique canadien a repoussé jusqu’à lundi l’annonce de son départ et de son remplacement par l’ex-cycliste Curt Harnett pour ne pas risquer de perturber les Essais olympiques de natation qui se déroulaient à Toronto.

CONFLIT DE PERSONNALITÉS

Convaincu d’avoir pris la bonne décision, le champion olympique de 1994 est soulagé. Les mois qui ont suivi l’affaire de harcèlement sexuel impliquant l’ancien président Marcel Aubut l’ont vidé et profondément dérangé.

Il ne s’explique pas encore comment le COC a pu ignorer pendant cinq ans les « lumières rouges » allumées par le comportement et les agissements de M. Aubut, qu’il ne nomme jamais dans l’entrevue. « Personne n’a répondu à ces lumières rouges, et je n’ai toujours pas eu de réponses. »

Réclamant plus de transparence, Brassard a été invité, il y a trois semaines, à participer à une rencontre à Vancouver avec des membres de la haute direction du COC, dont la nouvelle présidente Tricia Smith.

« Plutôt qu’être un meeting productif, ç’a été un meeting destructeur. À partir de ce moment-là, ça devenait évident que j’avais un conflit de personnalité avec un des dirigeants. […] C’était évident qu’on avait atteint un point de non-retour entre lui et moi. »

— Jean-Luc Brassard, à propos d’une rencontre avec la haute direction du COC

Brassard a refusé d’identifier le dirigeant en question. Chris Overholt, actuel chef de la direction du COC, a participé à une rencontre en 2011 au cours de laquelle Marcel Aubut s’était fait demander de cesser ses comportements inappropriés. « Ça pourrait être lui », a simplement indiqué l’ex-chef de mission.

TIRAILLEMENTS

À son retour de Vancouver, Brassard a eu « mal au ventre pendant trois semaines ». « Je n’ai jamais mal au ventre dans la vie. Mais là, j’étais vraiment à l’envers. On s’est posé des questions difficiles, on s’est parlé dans le blanc des yeux, mais ça n’a rien réglé. Ça nous a divisés davantage. Je ne pouvais pas me l’avouer, mais à ce moment-là, c’était la fin pour moi. »

De passage en Floride pour des raisons personnelles, il y a deux semaines, Brassard a fait un détour pour visiter les meilleurs kayakistes canadiens à leur base d’entraînement hivernale. Ceux-ci l’ont questionné sur les événements des derniers mois.

« C’était très légitime de leur part, a dit l’ancien skieur acrobatique. Je ne pouvais pas leur mentir. Mais tout d’un coup, je me suis rendu compte que ce que je m’apprêtais à leur dire ne leur servirait absolument à rien dans leur préparation pour les qualifications olympiques. À la limite, ça pouvait devenir une distraction. »

À son retour en auto vers Montréal, un voyage qu’il a effectué d’un trait, il en est venu à la conclusion qu’il ne pouvait plus jouer son rôle de chef de mission. « Je ne pouvais pas faire semblant et jouer le cheerleader. »

VALEURS OLYMPIQUES

Tout en réitérant sa confiance en la présidente Tricia Smith, Brassard estime que le COC devra faire un meilleur examen de conscience. Le congédiement de trois employés dans la foulée d’un rapport sur la gestion du harcèlement est loin d’être suffisant, à ses yeux.

« Des gens ont perdu leur job, mais là-dedans, il y avait un concierge et un gars qui ouvre des portes », a-t-il ironisé.

« Pendant quatre, cinq ans, le Comité olympique canadien n’a pas appliqué à lui-même les belles valeurs de l’olympisme qu’il véhiculait pour se donner une belle image.

— Jean-Luc Brassard, à propos de l’affaire Marcel Aubut

« On fait ce que je dis, pas ce que je fais. À la limite, pendant une ou deux semaines, ça peut passer. Mais pendant quatre, cinq ans, ça n’a aucun bon sens. »

Les nombreux témoignages reçus d’employés, dont celui de la femme à l’origine de la plainte de harcèlement sexuel contre Marcel Aubut, ont touché Brassard. « Cette personne-là a toute mon admiration. Elle a eu le courage que beaucoup de monde n’a pas eu.

« Peut-être qu’à cause d’elle, le Comité olympique canadien se trouve dans une position plus avantageuse qu’il ne l’était en s’en allant vers Rio. »

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