Opinion  Raif Badawi

À vous d’agir, M. Harper

C’est toute une nation qui vous demande de poser un acte de courage et de demander la libération de Raif Badawi

Monsieur le premier ministre,

Le bras levé, le fouet prêt à s’abattre, le bourreau a suspendu le temps, une fois de plus. Raif Badawi, les dents serrées, a repris son souffle, une fois de plus.

Pour une seizième semaine de suite, la flagellation a été reportée. Alors qu’il soigne les stigmates causés par les cinquante premiers coups reçus il y a trois mois, Raif Badawi et ses proches revivent, semaine après semaine, la terrible angoisse à savoir si le châtiment va s’abattre.

La main tendue depuis plus de deux ans des dizaines et des dizaines de milliers de Québécois et de Québécoises, de Canadiens et de Canadiennes, manifestent pour la libération de ce jeune blogueur saoudien, animateur du site internet Liberal Saudi Network, accusé dans son pays de diffamation de l’islam et condamné à mille coups de fouet et à dix ans de prison.

Vigiles, marches d’appui, pétitions, lettres ouvertes, soutien des grands journaux nationaux, déclaration de personnalités politiques, universitaires et artistiques, motion des plus importantes organisations humanitaires et civiles, dont le Barreau du Québec, résolutions des villes de Montréal, Saint-Jérôme et de Sherbrooke, c’est toute une nation qui demande la libération de cet homme étranger d’origine, mais frère dans la lutte pour les droits de la personne.

La main tendue, c’est toute une nation qui, depuis des mois, vous demande, monsieur Harper, de vous impliquer personnellement.

L’Organisation des Nations unies a dénoncé cette sentence cruelle et inhumaine imposée à ce lauréat du Prix Reporters sans frontières pour la liberté de la presse et du Prix du courage au Sommet de Genève pour les droits de la personne.

Ensaf Haidar, l’épouse de Raif Badawi, et leurs trois enfants, Najwa, Doudi et Miriyam, qui vivent à Sherbrooke comme réfugiés politiques, vous ont demandé, dans un déchirant cri du cœur, d’intercéder personnellement auprès de l’Arabie saoudite.

À l’heure où votre gouvernement impose des sanctions à plus d’une vingtaine de pays, dont plusieurs en raison de violations de droits de la personne, vous avez répondu que Raif Badawi n’était pas citoyen canadien et que vous étiez limité dans les mesures que vous pouviez prendre en son nom. Rappelez-vous, monsieur Harper, que le Canada a œuvré activement à la libération de Nelson Mandela et de Aung San Suu Kyi, sans qu’ils soient citoyens canadiens.

En mars, la cause du blogueur a été renvoyée devant la Cour criminelle saoudienne. Raif Badawi pourrait y être à nouveau jugé pour apostasie, soit l’abandon de la foi musulmane ce qui pourrait le mener à la peine capitale.

L’Arabie saoudite est le deuxième marché d’exportation en importance du Canada dans cette région du Golfe. L’an dernier, les compagnies canadiennes ont signé avec ce royaume des contrats pour des dizaines de milliards de dollars en équipement militaire. Le défunt roi Abdullah a établi une chaire de plusieurs millions de dollars pour le dialogue des civilisations à l’Université de Toronto. Nous avons des relations directes, tangibles et privilégiées avec l’Arabie saoudite. Qu’attendez-vous, monsieur Harper, pour les utiliser et demander la libération de Raif Badawi ?

On ne peut reprocher à monsieur Badawi que d’avoir utilisé des mots tels que « droit », « liberté », « tolérance » et « respect ». Des mots qui sont les liants et les fondements de notre société.

Je vous demande respectueusement, monsieur le premier ministre, de poser un acte de courage et de demander la libération de Raif Badawi auprès du nouveau roi Salman, qui a le pouvoir de le gracier.

Je vous demande d’intervenir le plus rapidement possible afin que cesse l’angoisse cruelle imposée à lui-même, mais aussi à sa femme et à leurs enfants, afin que cicatrisent leurs blessures qui sont de plus en plus celles des populations québécoise et canadienne.

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