vague d’arrestations de militantes

Les rêves des femmes volent en éclats

Un mois avant d’autoriser les Saoudiennes à prendre le volant, le régime de Riyad vient d’arrêter plusieurs figures de proue du mouvement qui s’est longtemps battu pour accorder le droit de conduire aux femmes.

Eman al-Nafjan, blogueuse dans la trentaine, Loujain al-Hathloul, considérée comme l’une des femmes arabes les plus influentes du monde, et Aziza al-Youssef, vétérane du mouvement féministe saoudien, font partie des militantes ciblées par cette récente vague d’arrestations.

Une poignée d’hommes, incluant l’avocat de Loujain al-Hathloul, ont aussi atterri derrière les barreaux depuis une semaine.

La douzaine d’arrestations ont été conduites par la Présidence de la sécurité d’État, un organe mis sur pied par le prince héritier Mohammed ben Salman – qui se présente pourtant comme le grand réformateur saoudien.

La campagne de répression des derniers jours montre qu’entre cette image soigneusement cultivée par « MBS » et la réalité, il y a un gouffre.

La vague de répression a choqué autant les organisations qui documentent l’état des droits en Arabie saoudite que des militantes proches de celles qui viennent de se retrouver derrière les barreaux.

« Jamais dans toute l’histoire de l’Arabie saoudite des arrestations n’ont été accompagnées par une telle campagne de salissage public. »

— Une militante saoudienne qui a demandé à garder l’anonymat, pour protéger ses proches

Même son de cloche chez Human Rights Watch, qui signale que les médias contrôlés par l’État ont diffusé des photos des militantes arrêtées en les accusant de trahir leur pays et de mettre sa sécurité en péril.

« Cette campagne de répression sans précédent est terriblement préoccupante », s’inquiète Hiba Zayadin, chercheuse sur le Moyen-Orient pour Human Rights Watch, jointe hier en Jordanie.

Oui, le jeune leader saoudien a bel et bien assoupli les contraintes sociales longtemps imposées aux Saoudiens. Mais la répression politique, elle, s’est en réalité accentuée. Le nombre de prisonniers politiques a explosé, a constaté Human Rights Watch. Et la dernière vague fait passer cette répression à une nouvelle vitesse.

Les attaques « vicieuses » des médias contre les hommes et les femmes ciblés par le régime laissent croire que les autorités saoudiennes ont l’intention de leur imposer de lourdes peines, anticipe Hiba Zayadin.

Contradiction ?

Mais qu’est-ce qui a bien pu pousser Mohammed ben Salman à se lancer dans une nouvelle campagne de répression contre des militantes féministes et à saboter ainsi l’image positive qu’il a réussi à imposer dans l’opinion internationale ?

Les analystes évoquent plusieurs hypothèses pour expliquer cet apparent virage. Le prince héritier ne veut pas partager son image de réformateur et veut s’assurer que les médias internationaux n’en auront que pour lui le mois prochain, le jour où les femmes prendront le volant, avancent certains.

Mais c’est aussi, et surtout, une manière de montrer à la société civile que ses revendications ont des limites, observe Hiba Zayadin.

Elle rappelle que la bataille contre l’interdiction de conduire une voiture a mobilisé beaucoup d’attention médiatique. Mais que les militantes saoudiennes mènent parallèlement une bataille tout autant, sinon plus cruciale : celle visant à abolir le droit de tutelle que les hommes saoudiens exercent toujours sur leurs compatriotes féminines.

En emprisonnant celles qui participent à cette bataille, Mohammed ben Salman tente de réduire au silence tous ceux qui sont susceptibles de critiquer ses réformes.

« Nous sommes habituées au harcèlement juridique, mais personne n’avait prévu que le régime frapperait maintenant, et aussi fort », s’étonne la militante saoudienne jointe hier. Elle déplore qu’en ciblant publiquement celles qu’il accuse de « trahison », Riyad expose aussi leurs familles.

Le message est clair : Riyad a beau autoriser les femmes à conduire et permettre aux Saoudiens d’aller au cinéma, il ne leur donne pas pour autant de droits politiques.

« S’ils ouvraient la porte à la critique publique, ça menacerait directement le pouvoir de l’État », dit la militante jointe par La Presse.

Les réformes de Mohammed ben Salman se limitent au secteur du divertissement et à l’économie, renchérit Thomas Juneau, spécialiste du Moyen-Orient à l’Université d’Ottawa.

« La réforme actuelle est réelle, mais ce n’est pas une démocratisation », fait valoir le chercheur, qui revient d’un séjour professionnel en Arabie saoudite.

Selon lui, c’est le message d’une grande limpidité que vient d’envoyer Mohammed ben Salman.

Quant à celles qui espéraient que la levée de l’interdiction de conduire une auto n’était qu’un premier pas vers une plus grande libéralisation, elles viennent de voir leurs rêves voler en éclats, résume Hiba Zayadin.

Les détenues de Riyad

Eman al-Nafjan

Titulaire d’une maîtrise en enseignement de l’anglais, Eman al-Nafjan, une femme dans la trentaine, tient depuis 2008 un blogue très remarqué, Saudiwoman. En juin 2011, elle a défié l’interdiction de conduire imposée aux femmes en se baladant au volant d’une auto en plein Riyad. Elle compte près de 40 000 abonnés sur Twitter.

Loujain al-Hathloul

Loujain al-Hathloul, 28 ans, est une militante des droits des femmes très active sur les réseaux sociaux. Il y a quatre ans, elle a publié une vidéo la montrant en train d’essayer d’entrer en voiture en Arabie saoudite depuis les Émirats arabes unis, ce qui lui a valu deux mois de prison. Selon le magazine Arabian Business, elle vient au troisième rang des femmes les plus influentes dans le monde arabe derrière l’avocate Amal Clooney et la politicienne et femme d’affaires des Émirats arabes unis Sheikha Laibna Al-Qasimi, qui occupe la première place du classement.

Aziza al-Youssef

Cette professeure d’informatique à la retraite âgée de 60 ans a été l’une des forces motrices derrière une pétition demandant au royaume wahhabite de soustraire les femmes à la tutelle masculine. C’est elle qui avait été chargée d’acheminer une pétition de 14 700 noms appuyant la demande au Conseil consultatif royal. Le mot-clic de la campagne antitutelle : #IAmMyOwnGuardian.

Ce texte provenant de La Presse+ est une copie en format web. Consultez-le gratuitement en version interactive dans l’application La Presse+.