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UNE ANNÉE SUR MARS

Comment des astronautes peuvent-ils travailler et vivre dans un petit espace comme celui d’une future base sur Mars ? Pour le savoir, six scientifiques choisis par la NASA sont confinés pendant un an dans un dôme de 11 m de diamètre juché sur un volcan à Hawaii. Cette expérience sert à préparer le premier voyage vers Mars, prévu en 2030. La Presse s’est entretenue par courriel avec Cyprien Verseux, astrobiologiste français membre de l’équipe.

Cela fera bientôt six mois que votre équipe et vous êtes confinés sous le dôme. Pouvez-vous nous décrire une journée typique ?

Nos journées varient beaucoup. Aujourd’hui, je me suis levé à 5 h du matin et j’ai passé les quatre premières heures à travailler sur un article scientifique. Plus tard, j’irai courir sur le tapis de course, passerai un test pour une étude sur la coopération des coéquipiers, déjeunerai, expérimenterai une technologie de réalité virtuelle, travaillerai au laboratoire et ferai une nouvelle séance d’exercices.

Pendant le dîner, mes coéquipiers et moi discuterons sans doute de nos travaux en cours, puis la conversation dérapera sur des sujets plus personnels et les blagues fuseront. Après le dîner je danserai la salsa avec mes coéquipiers ou, s’ils sont occupés, jouerai un peu de ukulélé. Ensuite, je passerai une heure à répondre à des questionnaires et à des courriels, avant d’aller dormir un peu. Jusqu’ici, nous avons eu un jour de congé : Noël.

Comment se déroule l’expérience ? Le temps passe vite, ou bien ça vous semble long ?

Jusqu’ici, tout va bien. Parfois il y a quelques tensions, et parfois on aimerait pouvoir marcher à l’air libre ou parler à quelqu’un d’autre que nos cinq collègues. Mais nous sommes toujours capables de faire notre travail et personne n’est plus fou qu’à l’arrivée ! De toute façon, on n’a pas le temps d’avoir des états d’âme.

Ce qui me manque le plus, c’est les nouveautés et l’inattendu. Et j’ai l’habitude de passer du temps dehors… Cela fait près de six mois que je n’ai pas été exposé à l’air libre ou au soleil directement.

Vous vivez dans un dôme de 11 m de diamètre. Y a-t-il des chambres, ou bien c’est comme une grande tente et tout se passe sous le dôme ?

Nous avons des compartiments individuels : 4 m2, un lit une place et un petit bureau sous un plafond incliné. C’est le seul endroit où l’on peut vraiment s’isoler. Mais le manque d’intimité n’est pas aussi difficile à supporter que vous pouvez l’imaginer.

Les seuls moments où nous quittons le dôme sont lors des sorties extravéhiculaires (EVA). Dans ce cas, certains d’entre nous enfilent des combinaisons, puis sortent effectuer des travaux de géologie, d’exploration ou autres. Cela prend en général plus de la moitié de la journée. Même dans ces moments, nous ne sommes pas à l’air libre, à cause des combinaisons, mais c’est super de pouvoir marcher plus de 10 pas en ligne droite et de voir autre chose que les parois du dôme.

Comment avez-vous été choisis pour cette expérience ?

Nous avons passé des tests psychologiques, cognitifs et médicaux et des interviews. Notre expertise scientifique, nos autres compétences et les projets de recherche que nous avons proposés ont aussi été examinés.

Pour le test final, les huit candidats restants se sont retrouvés dans un parc national, dans le Wyoming. Nous avons été laissés à une entrée du parc avec de la nourriture, des produits pour purifier l’eau, des tentes et des cartes. Nous avons eu cinq jours pour atteindre l’une des sorties du parc. Deux instructeurs de la National Outdoor Leadership School (NOLS) nous suivaient pour nous évaluer et nous enseigner des techniques de survie. Chaque jour, deux d’entre nous étaient désignés leaders. À l’issue de ce test, les huit finalistes ont été séparés en six membres d’équipage et deux remplaçants.

Vous travaillez sur un projet pour utiliser des cyanobactéries pour produire éventuellement de la nourriture sur Mars. En quoi ça consiste ?

Ce projet, appelé CyBLiSS (cyanobacterium-based life support system), est basé sur des cyanobactéries : des bactéries vertes qui, comme les plantes, font de la photosynthèse. Grâce à leur résistance à des conditions extrêmes, elles pourraient être cultivées à grande échelle sur Mars avec un système relativement simple et être alimentées par l’atmosphère, l’eau et les sols martiens.

Les cyanobactéries pourraient être utilisées pour diverses applications comme la production de nourriture, de carburants et d’oxygène. Au lieu d’apporter des tonnes de nourriture, d’oxygène et autres denrées, les astronautes pourraient transporter de très légers tubes contenant des cyanobactéries et, une fois atterris sur Mars, les cultiver à partir de matériaux trouvés sur place pour développer des systèmes de production indépendants de la Terre.

Vous écrivez sur votre blogue que la nouvelle des attaques du 13 novembre à Paris s’est rendue jusqu’à vous et que l’info arrivait au compte-gouttes, car vous n’avez accès qu’à vos courriels et un délai de 20 minutes est imposé pour que votre serveur simule le délai de communications Terre-Mars. Comment avez-vous vécu cela ?

J’ai appris la nouvelle par le courriel d’une amie. À ce moment, l’attaque était en cours. À cause du délai, j’ai reçu des nouvelles très lentement. Et chaque nouveau courriel annonçait un nombre plus grand de victimes. Je n’ai pas su avant le lendemain si j’avais perdu des proches.

Ensuite, j’ai voulu comprendre. Isolé dans ce dôme, je ne savais même pas que la France était intervenue en Syrie. J’ai demandé à ce qu’on m’envoie des informations sur les attentats, leurs causes, le groupe État islamique et, de fil en aiguille, sur différents sujets associés. Pour la première fois depuis le début de la mission, naviguer sur l’internet m’a vraiment manqué.

C’est dans ce genre de moments que l’isolement est le plus difficile à supporter. Les événements qui affecteront le plus les premiers explorateurs sur Mars pourraient se produire sur Terre.

Lisez le blogue de Cyprien Verseux, rédigé en anglais et en français. 

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