Sean Day

Une étiquette lourde à porter

Qu’ont en commun John Tavares, Aaron Ekblad et Connor McDavid ?

Ils ont tous les trois obtenu le statut de « joueur exceptionnel » accordé par Hockey Canada, ce qui leur a permis de jouer dans la Ligue de l’Ontario dès l’âge de 15 ans.

Ils ont tous trois été des premiers choix universels dans ce circuit junior, puis dans la Ligue nationale quelques années plus tard.

Le défenseur Sean Day a lui aussi obtenu ce statut de joueur exceptionnel en 2013. Mais lui n’a pas été choisi premier au repêchage de l’OHL, ni à celui de la Ligue nationale qui s’amorce vendredi.

À vrai dire, on ne s’attend même pas à ce qu’il soit réclamé au premier tour.

Que s’est-il passé ?

À la base, une erreur d’évaluation de Hockey Canada qui avait été aveuglé par ce qu’avait pu faire un défenseur de 14 ans avec ses 6 pi 3 po et 220 lb. Il faut dire que le jeune colosse était doté d’un coup de patin phénoménal. Mais de fil en aiguille, les lacunes dans son jeu ont invalidé toute comparaison avec les Tavares, Ekblad et McDavid.

Day a joué trois saisons avec les Steelheads de Mississauga où une horde de dépisteurs sont restés sur leur faim en le voyant manquer de constance et d’instinct de compétition, en plus d’afficher une mauvaise condition physique.

« Il a joué comme s’il était au-dessus de ses affaires », résume un éclaireur ontarien qui l’a souvent vu à l’œuvre.

Cet hiver, Day a dit regretter d’avoir obtenu le statut d’exceptionnel, car il ne se perçoit plus comme « ce genre de joueur-là ». Il aurait préféré être traité comme les autres.

« C’est une étiquette difficile à porter. Les gens l’ont beaucoup embêté et, à vrai dire, je me sens un peu mal pour lui. Ce n’est pas sa faute s’il a été désigné ainsi. »

— Dan Marr, directeur de la Centrale de recrutement de la LNH

« Il s’est amélioré en tant que joueur, mais peut-être pas de la façon dont on serait en droit de s’attendre de la part d’un patineur qui obtient un statut de joueur d’exception, estime Dan Marr, directeur de la Centrale de recrutement de la LNH. Mais c’est un gars qui a fait de son mieux, qui apprend de ses erreurs et qui a joué son meilleur hockey à la fin de la saison. »

UN DRAME FAMILIAL

L’étiquette que traîne Sean Day n’est pas la seule chose qui fait de lui un cas à part.

Le jeune arrière est né en Belgique de parents canadiens. Il a ensuite vécu à Singapour, où il a appris à patiner. Combien de joueurs de hockey peuvent en dire autant ?

Rentrée en Amérique, sa famille s’est établie au Michigan, où Day retourne chaque été – entre autres pour pêcher. Les années ont passé jusqu’à ce que cet enfant dans un corps d’homme domine suffisamment la classe midget pour que ses parents et son agent déposent une demande de statut particulier auprès de Hockey Canada. Le cadeau était empoisonné.

Day a affiché un différentiel de -35 à sa première saison, alors que les Steelheads formaient l’une des pires équipes de l’OHL.

Puis, en octobre 2014, tout a chaviré.

Son frère Scott, coupable de conduite en état d’ébriété, a happé mortellement une femme de 62 ans alors qu’il était au volant de sa camionnette. Il a plaidé coupable l’été dernier et purge actuellement une peine de prison qui sera d’au minimum 57 mois.

Le jeune hockeyeur en a été sérieusement ébranlé.

« Au Combine, les équipes m’ont demandé de parler de ma famille et le sujet est venu sur la table, a confié Day à La Presse. Je ne veux pas utiliser cela comme excuse, mais ç’a été difficile pour moi. Ce le serait pour n’importe qui. Je veux dire… c’est mon frère. Je pense avoir géré la situation assez bien. Je ne peux rien y faire, je dois juste vivre avec. »

« [Mon frère] est devenu mon plus grand fan. Il ne se soucie pas que je n’aille pas le voir pour quelque temps et que je me concentre sur mon entraînement. Il sait que j’irai le voir souvent dès que j’aurai plus de temps. »

— Sean Day

Ajoutez à cela le fait que sa mère souffre de lupus – une grave maladie du système immunitaire – et vous comprendrez pourquoi Day n’a pas toujours eu la tête au hockey et qu’il a dû rater des matchs afin de rentrer au Michigan.

Les critiques qui ont déferlé sur lui doivent être mises en perspective.

« Les gens oublient que nous sommes encore des enfants », avance Day dont la physionomie pourrait presque lui donner 10 ans de plus.

« Nous sommes jeunes, mais nous devons agir comme des hommes matures à cause de la façon dont on nous observe. La plupart des jeunes de 18 ans n’ont pas à gérer cet environnement, à donner des entrevues ou à voir des recruteurs graviter toujours autour d’eux. »

CONTRÔLER SON POIDS

Mais Sean Day ne veut pas se servir de ses soucis en dehors de la patinoire pour expliquer comment un joueur jadis étiqueté « exceptionnel » peut aujourd’hui être classé au 59e rang des patineurs nord-américains par la Centrale.

Il dit avoir beaucoup mûri, que les critiques ne l’affectent plus autant et qu’il mange désormais ses légumes.

« J’ai fait de mon mieux durant la saison morte pour effacer les doutes par rapport à ma condition physique, dit-il. Je me sens mieux que jamais et je ressens un engagement envers le hockey qui est immense par rapport à ce que c’était avant.

« Si une équipe tente sa chance avec moi au premier tour, je peux garantir qu’elle ne sera pas déçue. J’ai des atouts dignes du premier tour, il s’agit de faire ce qu’il faut. »

— Sean Day

« Je veux voir où tout ça peut me mener et à quel point je peux être bon. Je sais que je peux rivaliser avec ces gars-là. Tout le monde dit que je ne suis pas en forme, mais je veux voir ce que je peux être en étant en forme. »

« Je serai toujours un gars assez lourd, ne serait-ce qu’à cause de mon bas du corps. Mais j’aimerais descendre à 220-225 livres. Je n’ai jamais été sur la glace à m’entraîner tous les jours comme je le fais cette année. J’en suis arrivé à un point où l’entraînement est devenu une dépendance parce que j’en ai vu les bienfaits. »

Day voulait redevenir un joueur parmi tant d’autres ; c’est en plein ce que le processus menant au repêchage lui permet de faire. Après trois ans à jouer en banlieue de Toronto, à faire rêver et à décevoir les recruteurs, il peut marquer le début d’un nouveau chapitre et redémarrer l’ordinateur.

S’il se prend véritablement en mains, celui que le magazine McKeen’s a qualifié de meilleur patineur du repêchage 2016 pourrait s’avérer un choix fructueux.

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