À MA MANIÈRE MEGA BRANDS

Moins cher ici qu'en Chine !

Mais comment ai-je pu réussir ce coup-là ? Chaque semaine, un (ou une) entrepreneur nous raconte par quels moyens il a concrétisé un projet important.

Pop ! Huit briques de plastique sont éjectées de la presse à injection qui vient de les mouler. Huit secondes plus tard, pop !, l’appareil crache une nouvelle fournée. Puis repop, une autre.

Une douzaine de machines semblables s’alignent dans une perspective qui se perd au fond de l’usine de Mega Brands à Montréal. Popopopopop…

Ces nouvelles machines à injection, dont la pression de 300 tonnes est exercée par un système électrique, consomment 40 % moins d’énergie qu’un modèle hydraulique traditionnel. « Elles produisent 40 % plus vite », ajoute Daniel Bourgeois, vice-président production chez Mega Brands.

De l’autre côté de la passerelle qui traverse l’usine, il désigne un groupe de 15 presses, qui se consacrent à l’injection des plus petites pièces. « Auparavant, 100 % de cette production était faite en Chine. On a rapatrié une cinquantaine de moules à Montréal. Et aujourd’hui, nos pièces coûtent de 30 à 50 % moins cher que les mêmes pièces fabriquées en Chine. »

Moins cher qu’en Chine, ce titanesque McDonald’s de la fabrication en série, ce Walmart de l’injection à bas prix ?

« C’est surtout une question de temps de cycle » – c’est-à-dire le délai entre deux « pop ».

« On fonctionne avec un cycle de 8 à 10 secondes. En Chine, on travaille à 30 secondes avec un opérateur par machine. Ici, j’ai un opérateur pour 15 machines. »

Car les presses, plutôt que rechargées manuellement, sont alimentées en granules de résine par un réseau de conduits qui les pompent depuis de grands silos placés à l’extérieur de l’usine.

L’ÉNIGME DU RETOUR

Au milieu des années 90, Daniel Bourgeois avait activement contribué à la délocalisation de la production vers l’Asie. « On parlait d’un taux horaire de 50 cents de l’heure. C’était très alléchant d’aller voir comment ça se faisait. »

Près de 20 ans plus tard, il a aussi piloté le retour vers Montréal – sans malaise ni remords. « Je travaille depuis les années 90 avec la Chine. Je connais les forces des deux côtés. »

Comment s’est prise la décision de revenir ? « Ça a commencé en 2011, raconte-t-il. On voulait d’abord répondre aux besoins de nos clients. »

On le sait, le tempo de l’industrie des jouets est donné par le père Noël. La mode est aussi changeante qu’impérieuse : la moitié du catalogue de Mega Bloks est renouvelée chaque année. Il faut répondre aux demandes fluctuantes à la vitesse du traîneau du susdit vieillard. Or, le transport maritime depuis l’Asie amputait deux mois au calendrier automnal.

« On se disait que si on pouvait gagner sept semaines avec le même prix, on serait gagnants. » 

— Daniel Bourgeois

Les pièces au plus grand volume de production ont été rapatriées. Le Céleste Empire a conservé la fabrication des éléments qui demandent davantage d’intervention humaine, « comme de petites figurines et des pièces avec de la décoration ».

En 2010, l’usine montréalaise possédait une quarantaine de presses à injection. Elle en compte maintenant près de 90, qui moulent des pièces de plastique à un rythme frénétique.

Mais il fallait encore emballer tout ça.

LEUR COMPTE EST BON

Quel est le plus grand défi de production ? La réponse étonne : « Le manque de pièces dans une boîte. »

Pour sélectionner, compter et ensacher les différentes pièces d’un emballage, le sous-traitant chinois comptait sur des compteurs en chair et en os. À Montréal, Mega Brands a misé sur des compteurs automatiques. « Ça n’existait pas dans le domaine du jouet. On s’est inspirés de l’industrie alimentaire et pharmaceutique. C’est comme compter des pilules, à la différence que mes pilules ont mille formes différentes. »

La première chaîne spécialement conçue a été mise en place en 2011 et la huitième a été installée en 2014.

« Aujourd’hui, on compte les pièces pour un sac avec un seul opérateur, alors que la Chine, pour le même sac, employait 100 employés. »

MISE EN BOÎTE

Les boîtes d’emballage en carton étaient fabriquées et encollées en Chine, puis expédiées à Montréal. Il restait à déplier la boîte, fermer le rabat à une extrémité, et la remplir par l’autre bout. Pouvait-on faire mieux et moins cher ici ?

« À l’époque, on avait commencé à comparer et on ne croyait pas pouvoir y arriver. Mais Norampac a investi de son côté pour rendre le projet possible. »

Daniel Bourgeois nous présente une de ses quatre nouvelles chaînes d’emballage. Le carton plat est automatiquement replié et encollé au début de la chaîne. Plus loin sur le convoyeur, des employés déposent six sachets de pièces dans les boîtes aux couvercles ouverts, telles de petites boîtes de pizza. Le contrôle visuel est ainsi beaucoup plus facile qu’avec les anciennes boîtes, qu’il fallait remplir par une extrémité.

Un lecteur optique compte ensuite le nombre de sachets dans les boîtes qui défilent. Si le compte n’y est pas, la boîte fautive est repoussée de côté.

Au bout de la chaîne, la boîte est fermée et scellée. « Ça demande la moitié moins d’opérateurs ! »

Résultat, le risque d’erreurs dans l’emballage ne s’exprime plus en pourcentage, mais en ppm, comme s’il s’agissait de particules dans l’air. Mega Brands a réduit son taux à 10 ppm, c’est-à-dire 10 pièces manquantes par million de pièces produites.

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Ces trois technologies « sont les gros piliers qui nous ont permis de réduire de 50 % notre dépendance à la Chine », résume Daniel Bourgeois.

Depuis 2011, Mega Brands a investi plus de 35 millions en équipement de production dans son usine de Montréal – la plus grande usine de jouets en Amérique du Nord. « En 2011, 80 % de notre production était faite en Chine. Aujourd’hui, c’est 40 %. La production à Montréal a triplé, et notre coût de production s’est amélioré énormément. On est devenus compétitifs. On s’est aperçu que nos prix de jouets pouvaient être inférieurs à celui d’un même jouet fabriqué en Chine. »

Néanmoins, il n’est pas question de tout rapatrier la fabrication. Mega Brands a atteint son objectif d’« indépendance par rapport à la Chine », mais il demeure souhaitable de conserver une base de production sur le sol chinois.

« On vend en Chine. On veut donc fabriquer également en Chine. On va travailler avec les meilleurs partenaires, mais les deux usines coexistent. »

Une coexistence pacifique et rentable.

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